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Arts de la rue : mais pourquoi Niort ne veut plus de sa “grande volière” ?

Publié le 18 décembre 2015 par Blanchemanche
#CNAR
  • Sophie Rahal

  • Publié le 18/12/2015.

  • L'un des bâtiments des usines Boinot, qui exportaient leurs gants de cuir dans le monde entier.
    L'un des bâtiments des usines Boinot, qui exportaient leurs gants de cuir dans le monde entier.Photo : Marie Delage/Courrier de l'ouest
    Le Centre national des arts de la rue de Niort est obligé de quitter la ville : “la grande volière”, le site historique qui l'accueillait depuis 2011, pourrait être détruit. La mobilisation prend forme.
    Pour qui ne s'est jamais promené à Niort, ce n'est qu'un terrain en friche, au milieu duquel trônent de vieux bâtiments délabrés, témoins d'une splendeur révolue. Mais dans ce quartier, au début du quai Maurice Métayer, là où la Sèvre niortaise se rapproche du centre-ville, le nom des rues a toute son importance. Rien que sur un plan, on remarque les deux rues qui entourent l'édifice : celle de la Mégisserie d'un côté, et de la Chamoiserie de l'autre. A la lecture de ces noms, un pan de l'histoire des lieux se dévoile. Car c'est bien le travail du cuir qui a fait la renommée et la richesse de Niort pendant plusieurs siècles. A cet endroit, se trouvaient précisément les usines Boinot, symbole de cette prospérité et de ce savoir-faire mondialement reconnu : d'abord la teinturerie, puis la chamoiserie-ganterie, qui employait près de 2 000 ouvriers et réalisait encore 55 % de la production française de gants en 1939.Fermées en 2006, les usines Boinot sont la mémoire de ce passé ouvrier. Aujourd'hui, il n'en reste que des vestiges. La fabrique, la maison patronale, et le grand séchoir : une bâtisse vieillotte et imposante, ornée d'un escalier en colimaçon usé sur l'une de ses façades décrépies et prolongée par un bardage tordu et abîmé. Le lieu qui cristallise toute l'attention depuis quelques jours se trouve tout près : surnommée « la grande volière », la grande halle aux cuirs est occupée depuis 2011 par le Centre national des arts de la rue (CNAR), qui s'y est installé il y a plus de quatre ans. Aujourd'hui, l'endroit est menacé de démolition.
    « Choisir, c'est renoncer » ?
    On rembobine. En mars 2014, Jérôme Baloge (parti radical valoisien) met fin dès le premier tour des élections municipales à près de soixante ans de gestion socialiste. Parmi les projets de la nouvelle équipe, il est rapidement question de réaménager la zone du port, située au pied des usines, et de lancer un vaste plan de reconquête verte de la friche Boinot, dont l'achèvement est espéré pour 2019. L'idée est de procéder à d'importants travaux de dépollution pour réhabiliter l'endroit, et d'y construire un parc naturel urbain qui traversera la ville autour de la Sèvre. Contacté par Télérama, le maire précise qu'un concours d'architectes doit permettre de sélectionner trois projets qui seront étudiés avec attention par la municipalité.
    Quid alors de ces bâtiments historiques? Le grand séchoir, la maison patronale et la fabrique seront réhabilités, assure Jérôme Baloge. En revanche, impossible de conserver « la grande volière » : la démolition du bâtiment doit être votée lors du conseil municipal de ce vendredi 18 décembre, et rien ne pourra être reconstruit sur ce site, classé en zone inondable. Impossible également, pour des raisons budgétaires, de continuer à héberger le CNAR. « Au vu de la situation financière, la ville de Niort a assez vite estimé qu'elle ne pourrait plus nous soutenir », confirme Bruno de Beaufort, directeur de l'institution. « Nous avons ensuite vite senti que le CNAR  n'était pas en très bonne position dans l'éventail des activités de la ville », précise-t-il.En réalité, la mairie de Niort subventionne déjà trois autres établissements (en plus du CNAR, qu'elle a financé à hauteur de 150 000 euros annuels entre 2012 et 2014 puis 135.000 euros en 2015) : la Scène nationale « Le moulin du Roc », le Centre d'art contemporain « La villa Pérochon », et le Camji, dédié aux musiques actuelles. Trois structures dont le maire précise qu'elles ont vu leur budget renforcé, en plus de faire l'objet d'investissements nouveaux. La mairie a donc choisi. Et renoncé à abriter l'un des treize pôles nationaux de création des arts de la rue que compte l'Hexagone. Si Jérôme Baloge promet que la ville continuera à accueillir des arts de la rue, « un genre qui a toute sa place », d'autres voix se font entendre, et certains, bien qu'ils reconnaissent l'ouverture d'esprit de l'édile, évoquent une équipe municipale frileuse devant les choix des spectacles programmés. Ainsi, le souvenir d'un spectacle de rue du répertoire de la compagnie Kumulus donné en 2009 (où des hommes dénudés mais grimés se mouvaient à l'intérieur de cages pour questionner les réflexes racistes et la peur de l'autre) a visiblement échauffé les esprits et laissé des traces. Preuve, s'il en fallait, que les arts de rue ne sont pas qu'un divertissement...
    « Ne pas opposer culture et sécurité »
    Ailleurs, on dénonce le coût exorbitant du projet de démolition (plus de 2 millions d'euros, un chiffre que conteste la mairie), et on s'offusque des choix qui sont opérés par la mairie en matière de gestion budgétaire. Installer des caméras de vidéosurveillance dans la ville revient forcément plus cher que de subventionner une équipe et des projets artistiques, nous explique-t-on. Des critiques que le maire a rapidement balayées lors de ses premiers voeux à l'hôtel de Ville, en janvier 2015, appelant alors à ne pas « opposer culture et sécurité ».Certains regrettent aussi que le lieu, souvent considéré comme une « verrue » dans le paysage niortais, ne puisse pas trouver sa place au milieu du projet de parc urbain.« Il serait dommage de détruire cet endroit au potentiel extraordinaire qui, une fois rénové, pourrait être à nouveau le lieu du partage avec le public et accueillir des associations, des expositions, ou des manifestations, déplore ainsi Pascal Rome, fondateur de la compagnie OpUS, dont les créations sont connues dans toute la France. Tout est déjà sur place : l'espace, la hauteur, l'acoustique et l'absence de nuisances sonores, le chauffage, la situation idéale...». D'autres, enfin, déplorent le manque de concertation de la part de la municipalité, et craignent la « deuxième mort » de cet endroit. Car la grande volière a déjà failli disparaître... lorsque la mairie était gérée par les socialistes. « Je me sens d'autant plus concerné que j'ai moi-même failli signer la démolition de cet espace, se souvient Pascal Duforestel, ancien premier adjoint au maire de l'époque. Nous cherchions alors un endroit où implanter le CNAR, et avions pensé à démolir la grande volière pour l'y installer, avant de revenir sur notre décision au dernier moment, devant l'opposition que ce projet avait suscitée ».
    Mal-aimé
    Longtemps mal-aimée des Niortais, qui n'ont pas su se l'approprier, la grande volière est aujourd'hui devenue un symbole. Une pétition, lancée la semaine dernière pour « sauver la grande volière des usines Boinot », a déjà récolté près de 1 500 soutiens. De quoi ragaillardir les citoyens qui se mobilisent, convaincus qu'en détruisant ce bâtiment, c'est un bout de l'histoire de leur ville qu'on arrache. « Le ton s'est durci », observait un bon connaisseur du dossier. « Le groupe qui se mobilise aujourd'hui teste sa propre capacité de résistance : les gens ont pris conscience que le lieu allait disparaître, et ça remue beaucoup de choses en eux »« Après Cognac pour Niort, nous quittons Niort pour La Rochelle. C'est comme ça, il faut sans cesse être en marche », résume, plus philosophe, Bruno de Beaufort, le directeur du CNAR. Qui constate néanmoins qu'une fois encore, les arts de la rue sont contraints au déménagement. http://www.telerama.fr/scenes/arts-de-la-rue-mais-pourquoi-niort-ne-veut-plus-de-sa-grande-voliere,135813.php

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