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La Bavière vue par la lorgnette d´un journaliste lors de l´Exposition universelle de Paris en 1867

Publié le 19 décembre 2015 par Luc-Henri Roger @munichandco

La Bavière vue par la lorgnette d´un journaliste lors de l´Exposition universelle de Paris en 1867

L´exposition de 1867 vue à vol d´oiseau
(Source: extrait de l article de  Wikipedia)

La lecture des fascicules de L´exposition universelle de 1867 illustrée, volume 2, pp. 55 à 59) est des plus instructives. Comment les Français voyaient-ils le Royaume de Bavière au début du règne de Louis II de Bavière, voila ce que nous apprend un article de J. Laurent-Lapp (traducteur, journaliste politique, critique d'art, 1836-1904) consacré à la Bavière et au Wurtemberg, dont je reproduis ici,  le plus fidèlement possible, la partie consacrée à la Bavière. Le journaliste dresse un portrait consternant de la situation de cet Etat.
La Bavière et le Wurtemberg à l‘Exposition universelle. 
"Un homme d'état éminent a dit un jour, du haut de la tribune, qu'une capitale était le pouls d’une nation. Si cette qualification peut s'appliquer à certaines villes, comme Londres et Paris, qui résument et représentent le génie national d'un pays, on ne saurait l'employer pour d'autres. Munich est du nombre de ces dernières.
M. Octave Lacroix, notre collaborateur et ami, avec une imagination de poète qu'on ne saurait méconnaître, a parlé ici même de la Bavière [Il s´agit d´un article publié dans le premier volume du meme recueil de fascicules, consacré aux Beaux-Arts en Bavière. Ndlr]. La Bavière, pour lui, tient le sceptre de l’art en Allemagne, et Munich y rayonne, comme jadis rayonnait Athènes, au milieu des petites républiques de la Grèce.
Voilà qui n’est pas contestable, et nous nous inscrirons encore moins en faux contre son jugement, quand il dit que Munich n'est pas, entre les capitales de l'Europe, un de ces centres bruyants qui regorgent d'une multitude industrieuse, commerçants et affairés. Mais c’est précisément de là que nous partirons pour établir ce que nous ne nous cachons pas d’appeler un réquisitoire.
Si l’art pouvait être en Allemagne le représentant de la pensée, Munich serait sans doute la capitale intellectuelle de ce pays. Heureusement l’expression du génie germanique ne peut-être cherchée que dans les arts de la parole et dans le sein fécond des sciences philosophiques. Il y a plus. On peut affirmer que l’art a été chargé à Munich d’une mission mauvaise. Trois générations de rois se sont évertuées à noyer dans un océan de mysticisme les esprits trop prompts à s'enflammer pour les idées sociales, et à enlever aux nobles préoccupations de la science, les intelligences qu'il fallait étouffer dans cette lourde atmosphère d'un art stérile. On a bien voulu faire de Munich l’Athènes de l'Allemagne, y produire des Plidias et des Praxitèles, mais on s'est bien gardé d'y élever des Solons, des Sophocles et des Platons.
Chaque fois qu’il s'agissait de combattre pour les principes immortels du libre arbitre, de la dignité humaine et de la liberté universelle, les philosophes, fuyant la Bavière, se répandaient par toute l’Allemagne, à Berlin, à Iéna, et le soir seulement du combat, alors que la lutte les avait épuisés sans leur avoir toujours donné la victoire, ils se retiraient à Munich, pour s’endormir dans le calme effrayant et le silence funèbre de cette nécropole artistique. Ainsi Schelling et Gœrres.
Voilà ce qu'ont produit trois rois, amateurs et protecteurs des arts par politique ou par tempérament. Le roi Louis I qui, à de bons instincts, à de généreuses dispositions, alliait une haine profonde de la société moderne, s'obstinait à ne pas voir la marche de l'humanité, et ne voulait pas non plus que son peuple s’en aperçût; mais il dut comprendre qu'il n'avait pas la puissance de Josué, lorsque éclata la révolution de 1848. Son fils, le roi Max, n'aimait pas la danse, ou, pour être plus exact, les danseuses, comme son père, mais il adorait la chasse. Chorégraphie et cynégétie, le trio est complété aujourd hui par un roi dilettante qui n'a une oreille attentive que pour les compositions de l'auteur de Tannhauser et du Lohengrin , et n'écoute qu'avec distraction et indifférence les cris d‘appel de ses soldats qu'on égorge à Kissingen.
Munich inspire à tout voyageur un sentiment de profonde tristesse. Cette impression se reproduit chez le visiteur qui, au Champ de Mars, parcourt la section bavaroise. Quoi! c'est là ce pays qui compte 77 000 kilomètres carrés de superficie, qui est peuplé de 4 millions et demi d'habitants, qui occupe la partie la plus fertile de l'Allemagne, la position la plus avantageuse pour le commerce de transit. Le sud de l’Allemagne n‘est-il pas en constant rapport avec le nord où sont les cités grandes et prospères, les centres industriels et les débouchés maritimes? Et quel pays dans le sud a une position plus belle que la Bavière? L'Autriche ne peut plus réduire à l’inaction sa voisine , maintenant que la maison de Habsbourg ne relève plus de la société germanique et qu’elle se tourne vers les provinces slaves pour se refaire un poids dans l’équilibre européen. Et quand on regarde cette vigoureuse et robuste race de Bavarois, au point de vue physiologique, que voit-on? Des corps superbes, taillés comme dans le granit, une exubérance de vitalité étonnante, des constitutions à défier toute atteinte destructrice; enfin un spectacle qui rappelle que Burdach a jugé qu’il devait en être ainsi, parce que la Bavière était le pays qui produisait le plus de bestiaux et où l’on consommait le plus de viande. Et ce serait là un peuple naturellement artiste, perdu dans les vapeurs de la métaphysique et du mysticisme! Point n'est besoin de discuter pareille thèse: le bon sens se charge de répondre; celui qui ne connaît point l’histoire politique des cours d’Europe à l’égard  de l'esprit libéral au dix-neuvième siècle.
Le peuple bavarois est tenu sous une tutelle regrettable que ne justifient ni ses aptitudes, ni ses aspirations, ni sa position dans l’Europe au point de vue géographique et politique. Et pour prouver notre propos, commençons la revue de ce que nous voyons de ce peuple au Champ de Mars et constatons qu´il n´occupe, comme les Etats les plus déshérités qu´un côté d´un secteur des plus secondaires. La géographie nous apprend que la Bavière est un pays très fertile fécondé par de nombreux cours d eau, que le sol recèle de nombreux et de précieux métaux. Le sel se trouve à Traunstein [ écrit sans doute par erreur Fraunstein dans le texte (NDLR)], à Rosenheim, à Kissingen, à Orb, à Durckheim; des eaux minérales jaillissent à chaque pas d´une terre accidentée; le fer s ´exploite au Fichtelgebirge et dans le Haut-Palatinat,  l´argent près de Rerneck, le mercure au Stahlberg et à Wolfstein. D´autres endroits fournissent du cobalt, du cuivre, des pierres à aiguiser, des pierres meulières, des ardoises et du graphite. Saviez vous que la Bavière produit la meillleur terre de porcelaine? Encore une richesse non exploitée. Nous en marquerons plus d´une sur notre route Les prairies sont vastes et l élève bétail s y fait sur une grande échelle ; près de 250 000 ruches d'abeille donnent un miel excellent, et les rivières, les étangs et les lacs sont peuplés de poissons. Mais quel profit en tire le pays et quels sont les chiffres que l'exportation pourrait opposera notre accusation de somnolence?
Les grandes forêts qui couvrent le versant des montagnes occupent environ un tiers du royaume et fournissent de beaux bois de construction, mais la Bavière a-t-elle fait les mêmes efforts que I'Autriche pour nous faire admirer ses produits forestiers au Champ de Mars ?
La renommée nous a appris qu'Augsbourg se distinguait par sa bijouterie, Erlangen par ses tapis, Nymphenbourg par sa porcelaine, Wurzbourg par ses chapeaux, le Rhoengebirge par ses horloges, et Nuremberg par ses jouets et son tabac; mais qu'en penser après notre visite au Palais?
Une seule réputation, qui n'est point mensongère, c'est celle de la bière. Six mille brasseries produisent annuellement cinq millions et demi d'hectolitres. Voilà pour la quantité. Une médaille d'or accordée à cette triomphante boisson, connue sous le nom de Salvador, et débitée à l'Exposition par M. Sedlmayer, de Munich. Voilà pour la qualité. 
Singulière contradiction l C'est ce peuple robuste qui, au milieu des tabagies et des brasseries, aurait entrevu à travers les nuages de fumée, et en se montant l'imagination par des flots de bière, l'idéal le plus abstrait de l'art le plus pur!
Des vins, nous n'en avons guère vu, etmpourtant le Frankenuvein et les crus de Ridelsee, de Sommerach et d'Eschendorff ont leur mérite.
Et maintenant, pour ne dire qu'un mot du commerce, Bamberg, Nuremberg et Schweinfurth ne devraient-ils pas être les comptoirs de ce pays, si admirablement placé pour le transit, entre l’Allemagne du Nord, l’Autriche, la Suisse et l'Italie ? Mais malgré la grande quantité de voies de communication, malgré les nombreuses rivières navigables et le canal Louis, qui joint le Mein au Danube, c´est-à-dire la mer du Nord à la mer Noire et à la Méditerranée, malgré un réseau de chemins de fer, qui fait communiquer les grands centres de population avec le reste de l'Europe, le commerce est presque nul.
On peut admettre que la Bavière a exposé au milieu d'une tourmente générale de l’Allemagne, dans. les conditions les plus fâcheuses, alors que l'appel de tous les hommes valides, portait dans l'agriculture, l'industrie et le commerce, un trouble dont les conséquences se font encore sentir aujourd'hui. Mais s'il est un pays qui a dû souffrir plus que la Bavière, c'est I'Autriche, à laquelle les plus rudes coups ont été portés, et voyez la différence.
Nous allons, après cette vue d'ensemble, parcourir la galerie, et noter, au moins en passant, ce qui vaut relativement la peine d'être mentionné. Mais nous sommes aussi embarrassé que notre dessinateur qui, lorsque nous lui avons commandé une vue de l'exposition bavaroise, pour rester fidèle à notre programme d'accompagner chaque article d'une gravure, n'a pu que nous donner une vitrine renfermant -— des corsets.
En partant du Jardin central nous trouvons d'abord le premier groupe, l'histoire du travail et les beaux-arts. Un article spécial leur a été consacré déjà, un second viendra compléter le premier; il est donc inutile de nous arrêter. Citons pourtant MM. Piloty et Loehle, de Munich, qui ont exposé un volume donnant en planches fort intéressantes l'histoire du développement de la lithographie inventée par Aloïse Sénefelder, à Munich.
Nous avons parlé nous-même, dans une livraison précédente, du groupe Il, qui comprend les arts libéraux. MM. Hallberger et Pustet, libraires, l'un à Munich, l'autre à Ratisbonne, ont reçu leur part d'éloges. Une spécialité de la Bavière est la fabrication des crayons, des graphites et des ardoises. La fabrique de M. Faber, près Nuremberg, jouit d"une réputation européenne. A côté de lui, il faut encore nommer M. Rehbach, à Ratisbonne, et M. Beissbarth, à Nuremberg.
Le groupe du mobilier ne peut_nous donner qu'une triste idée du goût allemand, et nous ne citerons pas le nom de ce tapissier mal inspiré, qui. a exhibé un ameublement démodé, relégué depuis cent ans dans quelque arrière-boutique et sorti tout exprès en 1867 pour affronter le soleil du Champ de Mars. Le même reproche de manque de goût et de lourdeur de formes peut s'adresser à deux vases en albâtre et verre bleu que produit la fabrique de M. Steigcrwald, et qui par leurs dimensions attirent l'attention du visiteur. La maroquinerie et la tabletterie sont loin de pouvoir rivaliser avec celles de I'Autriche.
Bayreuth et Bamberg ont envoyé des tissus et des toiles dont on ne peut que louer la solidité, mais pourquoi la cordonnerie n'expose-t-elle que des pantoufles et des chaussons, et la chapellerie que des chapeaux tyroliens? Évidemment, c'est une des branches les plus développées de la fabrication bavaroise, mais ce n'est qu'une des branches.
Nous voilà près des joujoux de Nuremberg. D'avance mon cœur a tressailli. Que de souvenirs! Comme dans un rêve j'ai vu passer les troupeaux que je menais à la prairie, les armées que je menais au combat, les Polichinelles, les Turcs, les Chinois et les bayadères que je faisais marcher à ma guise. Troupeaux en bois, soldats en plomb, bonshommes en carton, le seul nom de Nuremberg vous avait ressuscités de cette vallée de Josaphat où repose l'enfance de chacun de nous. L'illusion n'avait duré ‘qu'une minute, et la triste réalité était là. Encore une réputation qui s'écroule! Ce lourd carrosse doré, à huit chevaux, tenus en main par des domestiques grotesques, est-ce là le dernier mot de cet art si naïf et si profond à la fois?  L'article Paris s'est-il levé pour Nuremberg comme une tête de Méduse, et n'essaye-belle même plus de lutter‘? Mais alors pourquoi l’Allemagne philosophe ne s´avise-t-elle pas de produire des poupées. revêtues des costumes de tous les peuples du monde‘? Ce serait là un moyen ingénieux d'apprendre aux enfants la géographie, comme on leur enseigne la lecture avec des lettres en pain d'épice ou en petits fours. N'est-ce pas là une tâche digne de Nurcmberg, et capable de lui refaire une réputation perdue‘? Et quoi de plus enviable qu'une réputation établie parmi les enfants ? C'est là une gloire dont le souvenir parfumé suit l'homme par toute sa carrière. 
Devant les joujoux que nous présente aujourd'hui Nuremberg, Monsieur Bébé lui-même passe dédaigneux, en haussant les épaules avec un mouvement qu'il a surpris à Fanfan Benoîton, et comme lui il s'écrie: Ça fait pitié l ‘
Nous n'avons plus rien à citer. Les bois qui servent pour le parquetage et pour les instruments à musique, les couleurs, et parmi celles-ci le bleu d'outremer et le vert de Nuremberg avec ses nuances variées, voilà les seuls produits qui nous ont encore frappé. 
Nous avons terminé notre course, et, comme dit le poete allemand, nousjetons un dernier regard sur le tombeau de nos illusions. Ileureusement l'avenir est là, et cette pensée nous rassure. Ce qui a jusqu'à présent empêché la Bavière de prendre la place qu'elle mérite parmi les nations de l'Europe, c'est l'intolérance de son gouvernement et l'influence de ses instituteurs jésuites. ll ne faut point perdre de vue que Munich est le poste le plus avancé de la politique ultramontaine. C'est de là que la sainte milice surveille les œuvres de la pensée germanique. Ce dernier mot ne donne-t-il pas la clef de l'énigme?"

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