"Christmas Time is here again !" Pour ce Noël, les principales plateformes de streaming voient arriver en écoute illimité l'intégralité de la discographie des Beatles.
Ce jeudi 24 décembre, depuis 00h01, Deezer, Spotify, Apple Music, Google Play, Tidal, Slacker, Groove, Rhapsody, et Amazon Prime proposent de retrouver les albums "Please Please Me" (1963), "With The Beatles" (1963), "A Hard Day's Night" (1964), "Beatles For Sale" (1964), "Help!" (1965), "Rubber Soul" (1965), "Revolver" (1966), "Sgt. Pepper's Lonely Hearts Club Band" (1967), "Magical Mystery Tour" (1967), "The Beatles" (1968), "Yellow Submarine" (1969), "Abbey Road" (1969), "Let It Be" (1970), "The Beatles 1962 - 1966" (1973), "The Beatles 1967 - 1970" (1973), "Past Masters (Volumes 1 & 2)" (1988) et "1" (2000).
Happy Crimble !", lance le site officiel du groupe anglais, en référence à leur disque de Noël.
La nouvelle (de Noël) a été accueillie chaleureusement par l'industrie de la musique. "Cela illustre toute la dynamique du streaming qui est devenu un vecteur majeur de la monétisation de la musique", estime Pascal Nègre, président d'Universal Music France. Au premier semestre 2015, le streaming a généré 1,03 milliard de dollars de revenus. Cette consommation de musique sans téléchargement représente désormais un tiers du chiffre d'affaires du marché musical américain, selon la RIIA (Recording Industry Association of America).
Pourtant, l'arrivée tardive de la discographie des Beatles sur les plateformes de streaming interroge. Si la chanteuse Adele peut s'afficher comme illustre réfractaire, quid du groupe britannique dont deux membres sont décédés ? L'explication tient à une histoire rocambolesque de gros sous, d'une optimisation fiscale qui a mal tourné, et d'une brouille avec Michael Jackson...
Obligé de payer pour jouer ses chansons
Les Beatles sont devenus une poule aux œufs d'or qui détient le record d'albums vendus dans le monde (plus de 600 millions). Mais pas uniquement pour les membres du groupe.
Depuis 1970, les "Fab Four" ne possèdent plus les droits sur leurs créations. Au grand dam de Paul McCartney qui confiait il y a quelques années au "Daily Express" :
Ce qui n'est vraiment pas agréable quand je suis en tournée, c'est que je dois payer pour avoir le droit de jouer mes chansons. A chaque fois que je joue 'Hey Jude', je dois payer quelqu'un."
En effet, il doit s'acquitter à chaque concert du copyright de ses chansons à la maison d'édition Sony/ATV. La structure possède les droits d'édition des Beatles, tandis qu'Universal Music International détient les droits d'enregistrement du groupe (avec un droit de veto), depuis le rachat des deux tiers d'EMI en 2012.
Rien à dire sur les pubs Orange
Concrètement, si une marque comme Orange souhaite utiliser la chanson "Revolution" pour une publicité, elle s'adresse à Sony/ATV, et aucun des anciens membres des Beatles (ou leurs héritiers) ne sont consultés. Ils touchent tout de même des royalties sur ces utilisations (ce pourcentage est tenu secret), via la société Apple Corps contrôlée à 100% par Paul McCartney, Ringo Starr et les familles de George Harrison et John Lennon.
En revanche, si Universal Music souhaite publier un nouveau CD ou rendre les chansons enregistrées disponibles sur les plateformes de téléchargement et de streaming, alors les anciens membres des Beatles ou leurs héritiers doivent donner leur accord.
Cela explique pourquoi le groupe met autant de temps avant d'être disponible sur les plateformes modernes. Il a fallu attendre 1987 pour trouver leur discographie rééditée en CD (soit 5 ans après l'arrivée de ce format), 2010 pour pouvoir la télécharger légalement sur iTunes (soit 7 ans après son lancement), et 2015 pour l'écouter en streaming (soit 8 ans après la création de Deezer)...
Sony/ATV s'est imposé comme la première maison d'édition musicale au monde, dont le catalogue rassemble plus de deux millions de chansons, de Queen à Michael Jackson, en passant par Frank Sinatra, Leonard Cohen et donc les Beatles.
1965 : la quête du moins d'impôts
Pour comprendre ce qu'il s'est passé, il faut remonter au milieu des années 1960. Alors que la Beatlemania bat son plein, le groupe de Liverpool trouve qu'il paye beaucoup trop d'impôts. Il faut dire que la taxe sur les grandes fortunes peut monter jusqu'à 96% des revenus. Ce qui agace profondément George Harrison, auteur de "Taxman" pour l'album "Revolver", une chanson à charge contre le fisc :
Si tu conduis une voiture, je taxerai la rue. Si tu essaies de t'asseoir, je taxerai ton siège. Si tu as froid, je taxerai la chaleur. Si tu marches, je taxerai tes pieds."
Les Beatles veulent payer moins d'impôts. Tout comme l'ensemble de ceux qui dirigent leurs affaires, à commencer par Brian Epstein, leur manager, et Dick James, un spécialiste du droit musical qui a créé la société Northern Songs où sont déposés les copyrights des chansons du groupe.
En 1965, tout ce petit monde se retrouve au cabinet d'avocats Stephenson Harwood & Tatham, et décide d'introduire en Bourse Northern Songs afin que les quatre membres des Beatles soient payés en dividendes plutôt qu'en salaires, allégeant grandement la facture fiscale.
Les deux auteurs-compositeurs du groupe, John Lennon et Paul McCartney, détiennent chacun 20% de Northern Songs, le manager Brian Epstein récupère 10%, et les 50% restant reviennent à Dick James.
1970 : la perte des droits
Sauf qu'en 1969, c'est la débandade et Dick James est inquiet. Brian Epstein est mort d'une overdose, John Lennon et Paul McCartney ne se parlent plus, et le groupe est au bord de l'explosion. Craignant que l'action de Northern Songs ne s'effondre en Bourse, il décide de vendre.
Lew Grade, riche propriétaire de la maison d'édition musicale ATV, flaire la bonne affaire. Il trouve un accord avec Dick James en 1970, et réussit à convaincre les deux Beatles brouillés. Le groupe vient de perdre ses droits.
Mais l'histoire ne s'arrête pas là. Paul McCartney (dont la fortune s'élèverait aujourd'hui à 850 millions d'euros) ne cesse de regretter d'avoir laissé filer ses droits. Depuis la séparation du groupe en 1970, il a failli racheter ATV à deux reprises, renonçant à chaque fois au dernier moment, estimant le prix trop élevé.
En 1982, l'ancien Beatles sort "The girl is mine" avec Michael Jackson, qui termine l'année en troisième position du classement Billboard Hot 100. Les deux stars s'entendent à merveille et décident de renouveler l'expérience. En 1983, ils enregistrent "Say, Say, Say", qui restera en tête du Billboard Hot 100 jusqu'à la fin de l'année. Paul McCartney se confie alors à celui qu'il voit comme son "petit frère".
Je lui ai dit : 'Pense à te lancer dans l'édition musicale'", a-t-il raconté. "Il m'a regardé, je croyais qu'il plaisantait, et il m'a dit : 'Je vais acheter tes chansons.'"
1985 : la rupture avec Michael Jackson
En 1985, l'avocat de Michael Jackson, John Branca, apprend à son client que le nouveau propriétaire d'ATV, le riche Australien Robert Holmes, souhaite vendre. Le chanteur de "Thriller" va alors aligner 47,5 millions de dollars (John Branca avait évalué le catalogue à 39 millions).
Paul McCartney se sent trahi. Il tente de négocier avec Michael Jackson, en vain. Selon l'ex-Beatles, le nouveau propriétaire d'ATV ignore ses lettres et ses appels. Il lui aurait simplement déclaré :
Oh Paul, c'est juste du business."
La rupture entre les deux stars est consommée.
1995 : la prise de contrôle de Sony
Dix ans plus tard, Michael Jackson fait face à de graves difficultés financières. Il décide alors de vendre la moitié d'ATV au Japonais Sony, contre plus de 100 millions de dollars. L'entité Sony/ATV est créée, comptant notamment dans son catalogue 200 chansons cosignées John Lennon et Paul McCartney. Elle vaut aujourd'hui autour de 2 milliards de dollars, selon "Forbes".
Mais Paul McCartney ne s'avoue pas vaincu. Il affirme que "dans dix ans environ, une grande partie du catalogue [des Beatles lui] reviendra, légalement", évoquant une clause de la loi américaine sur le droit d'auteur.
Effectivement, en 2018, il devrait reprendre possession des droits d'édition des premières chansons des "Fab Four" sorties en 1962. De quoi faire grincer des dents chez Sony/ATV.
Ça ne concerne que le marché américain", rétorque un porte-parole de la maison d'édition au "Monde". "Savoir exactement ce qui retournerait ou pas [à Paul McCartney] n'est pas clair. Pas sûr non plus que cela concerne les groupes qui ne sont pas américains, comme les Beatles."
2015 : vers une cession à Warner ?
Les Beatles reçoivent la MBE en 1965 (PETER SKINGLEY / UPI / AFP)
Les Beatles en 1965 (Peter Skingley / UPI / AFP)
Encore faut-il que Sony/ATV ne change pas de main. La saga a rebondi avec la mort du roi de la pop. Ses héritiers (ses enfants Paris, Prince Michael et Blanket, et sa mère Katherine) ont récupéré le contrôle de la moitié de Sony/ATV. Mais c'est au tour de Sony de faire face à des difficultés financières.
Le Japonais aurait lancé cette année un processus de cession de sa participation dans la maison d'édition, sur lequel les héritiers Jackson sont prioritaires. Pas sûr toutefois qu'ils puissent aligner les 2 milliards de dollars nécessaires.
La moitié de Sony/ATV pourrait alors tomber dans l'escarcelle d'une autre grosse major. Le nom de Warner Music est évoqué avec insistance en cette fin d'année. A moins qu'un certain Paul McCartney ne fasse un come-back (il dispose d'une fortune évaluée à 693 millions d'euros).
Les péripéties de l'aventure des droits des Beatles ne sont pas terminées, mais au moins il est possible de profiter de leur discographie en streaming.
Publié le: Vendredi 25 Décembre 2015 - 00:30Source: nouvelobs