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« demasquer le masque ». (4)origine et fonction.

Publié le 30 décembre 2015 par Regardeloigne

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 Le masque est un faux visage qui couvre la figure et parfois tout ou partie de la tête, sur lequel on peut imprimer, outre les principales caractéristiques et les symptômes de l'âme, et ce de façon définitive - et en amont, toute forme d'expression humaine et culturelle.

Lever le masque c'est mettre au jour ce qui est caché, paraître tel qu'on est en effet, livrer ses intimes sentiments ou encore parler franchement ; le porter c'est donc l'inverse : se cacher, dissimuler ses traits et ses émotions ou parler indirectement. C'est offrir à autrui une fausse apparence de soi, c'est créer un personnage dont les attributs visuels ne sont que symboliques, sociaux et esthétiques.

Ainsi comme avec le déguisement, de manière temporaire, le masque, qui représente l'identité d'un personnage, permet l'altérité, le changement d'identité.

À l'inverse du monde animal, c'est effectivement par le visage que l'identité individuelle s'objective prioritairement et que les humains se reconnaissent de manière civique et cognitive.

En ce sens, la carte d'identité des pays occidentaux ne conserve, en image, que le sommet du corps, comme si l'identité individuelle ne se résumait qu'à cette partie visible – pourtant facilement muable et modifiable – du corps humain.

Le masque a alors ce pouvoir esthétique de modifier et de dissimuler l'attribut principal de l'identité individuelle humaine.

Toutefois, la notion de personne a longtemps été du seul ressort de la psychologie et de la philosophie : une longue tradition occidentale et judéo-chrétienne s'est interrogée sur la persona, devenue progressivement la catégorie permettant de penser comme indissociables l'âme et le corps, doués de raison et donc fondamentalement perfectibles.

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Le masque rend donc anonyme la notion même de personne Persona, qui était le masque de scène, est devenu peu à peu le porteur de masque, l'acteur, puis le personnage joué par l'acteur, le rôle.

Du théâtre, il est passé de l'autre coté de la scène, c'est-à-dire à un rôle social, joué par un personnage social. Ce personnage et son rôle pouvaient être alors considérés soit selon un sens purement sociologique, le rang, la richesse ou la responsabilité par exemple, soit selon la conscience apportée à remplir les devoirs de la charge, à assumer la dignité requise par la fonction ou le statut.

La persona latine constitue donc le rôle social que joue un individu qui est positionné sociologiquement. Le masque, dans cette terminologie, permet ainsi de jouer un rôle, mais un rôle reconnu par le reste de la société.

Loin d'être naturelle et univoque, l'idée judéo-chrétienne et dogmatique de la personne s'est donc progressivement révélée n'être qu'une forme particulière parmi d'autres de la représentation de l'être humain, tant pour les éléments constitutifs de celui-ci que pour son fonctionnement et son insertion dans l'organisation sociale d'un groupe donné.

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C'est pourquoi le masque, ou le fait de masquer le visage, symbolise la métaphysique de la présence, et devient ainsi l'outil d'anonymat le plus fonctionnel et le plus usité dans les fêtes carnavalesques. Il bouleverse, en ce sens, un certain ordre, une hiérarchie sociale établie et reconnue.

Porter le masque est donc une expression et un acte politique subversif, en déréglant les références d'une structure admise de la vie sociale et de la notion établie de personne, en s'opposant à son essence même, c'est-à-dire l'ordre .L'étymologie même du terme masque reste équivoque.

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Du bas latin mascha ou masca, qui veut dire « sorcière », « être hideux » ou « malfaisant », et apparu pour la première fois en 643, il semblerait que le sens aurait glissé au fil des siècles vers « faux visage » destiné à faire peur ; ou encore de mask, en indo-européen, dénommant le linceul de mort. Plus tardivement aux environs du XIVe siècle, le terme masca donnera le nom mascarel, qui est de même forme que l'italien maschera et de l'espagnol mascara, substantifs des verbes mascherare et mascarar et de l'ancien français mascerer : « barbouiller » à quoi se rapporte le verbe machurer, noircir. Noircir le visage à l'aide d'enduit, dans la période médiévale, était la forme la plus fréquente du masque .

Cependant, une voie historique prétend que le mot serait issu du latin larva, dont le sens se rapporterait à un être de l'au-delà ou plus précisément au spectre du à une mort violente, mais reste néanmoins l'expression courante pour désigner le masque .

L'usage s'étant progressivement imposé dans le registre théâtral pour assurer la non identification des acteurs, et par extension dans le monde profane et quotidien pour protéger l'anonymat du porteur occasionnel.

Sorcière, spectre, mort, revenant, fantôme, le mot larva, en latin conserva son sens premier et fut, pour ces acceptions, très rapidement négativement connoté par la hiérarchie de l'Église, comme la présence néfaste et précisément incontrôlée du démon, mêlant sacré et profane, vie et mort.

Le masque est donc, par son essence même, subversion ».

NICOLAS Jérôme - 2006 - Université Lumière Lyon 2

 

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Le masque est équivoque et multiple. Réputé cacher, protéger- l'on peut voir sans être vu- il démasque aussi et révèle. il contraint son porteur à abandonner sa face habituelle.. Travailler sous le masque, dans le théâtre, le rite, le carnaval conduit à explorer de plus en plus profondément l'être humain, en ses pulsions les plus secrètes. Tout ce que la société inhibe, le masque le fait resurgir et met en jeu un tête à tête avec l'Autre où se transgressent les limites du moi pour frayer avec les « dieux », les « démons », les ancêtres », comme avec les forces de la nature « sauvage ».Peut-on alors continuer, comme le fait le dictionnaire, de le qualifier de » faux visage » ; le nôtre est-il si « vrai » alors que c'est lui qui peut prendre tous les « rôles masqués, les « apparences » que lui imposent les statuts et les codes sociaux et le regard de l'autre comme vu dans l'article précédent. Les grecs anciens utilisaient d'ailleurs le même mot pour designer visage et masque puisque , pour eux, être était être vu. Ce « faux visage » dont je revêts le mien propre n'est-il pas au contraire plus sincère puisque révélant ce que le mien dissimule soigneusement : la véracité profonde de tout existant, ses pulsions, ses fantasmes, ses croyances et mythes, son tragique existentiel et son lien à la mort.

On comprend bien le rapport et la présence originelle du masque au théâtre qui retrouve toute sa place de nos jours. Ce que donne à voir la scène à travers une production artificielle qui fut d'abord masquée, c'est l'être de chacun une vérité épurée, une révélation de la passion, du désir, de la mort .on y côtoie le mythe par son pouvoir de révélation et le jeu par celui de conjuration et de catharsis.

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L'identité est d'abord affaire de visage. Le discours psychanalytique a insisté depuis Freud, sur une dialectique de soi et du visage de l'autre (la mère du tout jeune enfant) puis du visage en miroir. Tout en insistant (trop ?) sur le caractère illusoire (Lacan).  L'expérience du visage est cependant ce qui m'accueille dans le monde humain, m'humanise comme être ouvert à l'autre. L'enfant éprouve très vite un intérêt psychique  pour cet autre qui est aussi l'autre de la puissance: puissance de donner et de priver, d'être là ou pas, de répondre à la demande ou de la refuser. Mais parce que cette expérience est au-delà de ce  qui s'offre à ses facultés de compréhension, gestes et présence de l'autre, ses apparitions éparses ou régulières, il y a de donc de l'énigmatique, du désir face à un désir inconnu qui me marqueront à jamais. C'est donc une expérience vulnérable parce que reposant sur un jeu d'images comme on l'a vu dans l'expérience du jeune Sartre des Mots. Mais cette vulnérabilité débouche justement sur une exigence éthique ; l'identité n'est pas qu'affaire de connaissance, puisque que la fabrication du visage comporte une part d'inconnaissable, d'infinie insatisfaction .J'ai à m'en faire le dépôt le défenseur intransigeant le garant éthique. C'est ce qui me revient de véracité.

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Dans certaines cultures, des paires de masques, reflètent cette expérience par leur dualité :il est des masques apaisées au traits humains réguliers, au yeux parlants : on les offre comme cadeau de mariage,, comme monnaie d'échanges, dans la société Swaihé , dans le cadre d'un échange codifié et maitrisé. Mais ils est d'autres masques , souvenir de l'informe et du surcroît de jouissance pulsionnelle ,autre figure de la face, aux yeux exorbités, ou désorbités, qui renvoient au désir faisant fi de l'alliance mesurée pour aller chercher l'objet de son désir au-delà de tout code. Ces masques sont aveugles , et l'on sait depuis les mythes grecs Actéon, Tirésias et Œdipe qu'il y a un interdit de voir les dieux, de violer impunément des espaces et de transgresser les codes comme la Parenté qui se sanctionne par la perte des yeux.Le masque unit ainsi dans sa dialectique propre le spéculaire du visage, une sorte d'idéal du moi comme dans les masques Baoulé ou Chokwe, avec le sauvage et l'informe ne serait-ce d'abord que par ses matériaux de fabrication prélevés sur la « brousse ».
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il est le travail premier de la culture mettant en forme le « primitif et d'abord celui de la mort et comme médiateur ; il accompagne l'être au cours de son développement comme les masques d'initiation. Plusieurs populations, possèdent de petits masques-souvenirs, de la taille d'une main, faits à l'image du grand masque et que chaque initié conserve par-devers lui, dans un sac approprié, de manière à lui rendre périodiquement un hommage garant de sécurité. Les Pende reçoivent ce petit masque individuel au terme d'une initiation où ils ont été l'enjeu du combat que se livrent le masque de la mort et le masque tutélaire. Dans le royaume du Bénin, les fonctionnaires du palais portaient des petits masques à la ceinture. On rencontre également deux niveaux de masques dans la société Bassa où les uns, particulièrement monstrueux et délirants, représentent les esprits de la forêt et constituent une propriété collective tandis que les autres, de propriété individuelle, veillent sur leur possesseur et répondent à des canons plus esthétiques et plus physionomistes.

 « Sa signifiance, en revanche, il la révèle à l'observateur dans un champ d'antithèses. Masquer, c'est cacher, camoufler, dissimuler, tromper; et, d'une certaine façon, le masque est imposture. Le masque cependant proclame, exhibe, révèle, désigne; et d'une autre façon, il s'offre comme épiphanie. C'est bien là, dans cette double relation qu'il entretient avec chacun, que le masque témoigne de son ambivalence fondamentale : en revêtant un masque de démon, le prêtre ne confère pas davantage à son visage une apparence démonique que, par l'image insolite, il ne souligne le démonique que masque habituellement son visage démasqué. Témoignant de nos ambivalences, le masque est ainsi l'agent double d'une dialectique de l'imposture et de l'épiphanie. Par les modifications de quelque nature qu'il impose à l'apparence, le masque paraphe culturellement l'incertitude qu'au plus profond de l'âme, l'homme éprouve de sa propre condition ». Jacques Bril Le Masque Ou Le Pere Ambigu .Payot

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Personne ne sait où et quand a décidé pour la première fois un être humain de prendre un objet pour se couvrir le visage. Mais l'effet du masque sur celui qui le portait et sur son public dut avoir été immédiat et puissant. Les masques et les déguisements ont ainsi une longue omniprésence dans la société humaine. Mais peut-être faut-il voir plus loin, dans l'origine, que le fait d'un héritage culturalisé. Il s'inscrit peut être dans les profondeurs de la phylogenèse, dans le mimétisme animal où il se confond avec son milieu pour échapper au prédateur. L'animal pratique ainsi le leurre, l'illusion visuelle pour tromper l'agresseur ou le rival. Homochromie couleur du milieu qui eut devenir changeante épousant les variations de celui-ci. Dans l'ethos de l'animal se révèle ce qui sera le paradoxe du masque :le camouflage , la dissimulation comme l'exhibition(parades amoureuses ou agression).il y est donc question de défense et de jeu vital par aliénation d'identité. Le jeu animal justement (simuler un comportement) pourrait parfois apprendre à l'animal l'usage de conduites qui, au cours de sa vie, lui permettront de faire face à des situations de menace ou de danger.

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out est donc là avec le masque, l'autre et nous, la vie et la mort, l'illusion et le réel, le proche et le lointain. Et par-dessus tout l'étrange et l'étranger, l'être venu d'ailleurs, et les profondeurs du choc métaphysique. Recourir au masques c'est retrouver l'étrange qui naît du face à face de l'homme avec son image. Son utilisation remonte aux cérémonies rituelles, au culte des ancêtres ou des morts, aux rites d'initiation ou de fertilité, aux fêtes de Carnaval. Pourtant, originellement destiné à des cérémonies festives, il s'est peu à peu éloigné du cultuel et du religieux au profit de la littérature et de l'art. Théâtre et carnaval se rejoignent et reposent tous deux sur le déguisement et le masque, communs au spectacle et à la fête. Le carnaval, base de toute la dramaturgie occidentale, est une théâtralisation du combat de l'été et de l'hiver commune à de nombreuses civilisations.
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Dans l'Antiquité, les rites dionysiaques ont donné naissance au théâtre grec dans lequel, tragédie, comédie et carnaval se fondent dans la part « archaïque » de l'homme. Les chants narratifs héroïques, origine de la tragédie, issus des chants et chœurs dionysiaques ont donné naissance à des parades carnavalesques, source de la comédie. Tragédie ou comédie sont alors le passage d'un rituel spectaculaire à un spectacle rituel, la tragédie étant liée au culte des morts et la comédie aux esprits de la fertilité. Les danses du bouc, animal favori des dieux, se changent en tragédies, les chants des « cosmates » en comédies et les acteurs, le visage masqué, incarnent des immortels, des héros ou plus simplement des citoyens capables de juger le pouvoir et d'assumer la critique sociale".
En Orient, perdurent les représentations traditionnelles masquées ou à peintures faciales (Kathakali, nô, opéra pékinois) et le masque retrouve sa place dans les mises en scènes contemporaines(Craig, Théâtre Du Soleil)

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De meme La Suisse ou les pays de l'Est ont conservé dans leurs carnavals(voir l'article correspondant) des rites masqués qui ne sont pas sans quelque analogie avec certaines pratiques africaines ou indiennes. Solstice d'hiver, sortie de l'ours annonçant le printemps donnent encore lieu à des cérémonies variées qui s'apparentent aux rites de fertilité ou aux visites des « étrangers ». Les « perturbateurs » s'habillent en secret et ne doivent pas être plus reconnus que l'anonyme porteur du masque de feuilles chez les Bobo.

De ci, de là, des coutumes carnavalesques demeurent donc :les grands carnavals contemporains(Nuremberg, Binche, les Antilles ) par leur musique par exemple, gardent quelque chose de la fête primitive ritualisée..

 

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Comment déchiffrer ces vestiges énigmatiques, protéiformes, si nous les examinons dans des vitrines de musée ? Il est possible que les fêtes à masques contemporaines, (mascarades), ne soient que les résidus et les traces d'une liturgie primitive dont les détails nous demeureront à jamais inaccessibles. Seules nous en seraient parvenues des bribes de rituels ou de comportements festifs ,telles les pratiques chamaniques ou le carnaval, dont l'élaboration culturelle, depuis des millénaires, continue de se poursuivre au gré de l'évolution des courants historiques ;sans cesse donnant lieu à des renaissances dans le théâtre contemporain par exemple. C'est sans doute dans la profondeur du temps qu'il faut situer l'invention et la signification du « faux visage » .

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Il y a une énigme du masque, qu'on méconnait en le réduisant à l'objet inerte, insignifiant des vitrines de musées, objet d'une contemplation esthétisante comme dans les « Arts Premiers » ; on perd alors ce que Breton appelait sa «  beauté convulsive ». Le masque ne retrouve sa pleine signification que lorsqu'il s'anime par le corps de ses porteurs, mus par la musique et la danse dont il procède, selon les codes d'une société initiée. Le masque entraine au point culminant d'une cérémonie, longuement préparée en v ue de se concilier des forces bénéfiques ou de vaincre des démons, de capter des énergies d'un monde à l'autre. A travers le masque passe le souffle d'un au-delà irrationnel, et dans la concentration d'une communauté tout entière livrée à l'accomplissement d'un rite, contemplant à travers des images une série de de symboles et de concepts connus d'elle seule, masque et costume, profération, chorégraphie, musique et sons, occupation de l'espace, sont indissociables.
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Le masque, n'est pas qu'une deuxième peau sur le visage, une tête autre, mais le tout d'un corps un corps qui semble transformé extérieurement et qui, en réalité, est transformé de l'intérieur. Le porteur réputé prêter son souffle pour animer la structure du masque est lui-même animé par l'esprit afférent à ce masque et doté provisoirement d'une énergie supérieure à la sienne. Présentant un dieu, un ancêtre un esprit de l'au-delà, il entre dans un état « autre » en s'introduisant dans le masque. Il ne reste pas immobile, il danse, il saute, il est agité de soubresauts, il est sollicité par une musique de plus en plus puissante. Le costume peut être imposant ou autoriser les acrobaties car le « spectaculaire » n'est pas exclu, notamment dans les cérémonies profanes ; les parcours sont immuables, la chorégraphie codée, Le masque est aussi une « personne », on le nourrit, il existe par « familles » (le père, la mère) ; héraut, musiciens, compagnons, imposent sa domesticité. Il est, le temps de la cérémonie, animé par son porteur, le lieu du sacré.

  

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« EN FACE de ceux qui étaient demeurés de ce côté-ci un HOMME s'est dressé EXACTEMENT semblable à chacun d'eux et cependant (par la vertu de quelque opération » mystérieuse et admirable) infiniment LOINTAIN, terriblement ÉTRANGER, comme habité par la mort, coupé d'eux par une BARRIÈRE qui pour être invisible n'en semblait pas moins effrayante et inconcevable, telle que le sens véritable et /'HONNEUR ne peuvent nous en être révélés que par le RÊVE.

Ainsi que dans la lumière aveuglante d'un éclair ils aperçurent soudain /'IMAGE DE L'HOMME, criarde, tragiquement clownesque, comme s'ils le voyaient pour la PREMIÈRE FOIS, comme s'ils venaient de se voir EUX-MÊMES. Ce fut à coup sûr un saisissement qu'on pourrait qualifier de métaphysique ….. » TADEUSZ KANTOR.

Terminé le rituel, brulé le roi-carnaval, disparue la communauté, l'objet masque devrait disparaître. Sa forme durable est un leurre. Certaines sociétés ont ainsi la coutume de brûler leurs masques après les célébrations qui les concernent. En Nouvelle-Guinée, des tribus procèdent à cette destruction chaque année et c'est également le cas de nombreuses sociétés africaines en ce qui concerne les masques funéraires. Il ne s'agit pas là d'une destruction pure et simple car les masques sont sculptés à nouveau aussitôt que de nouvelles célébrations se préparent. Il s'agit bien plutôt d'empêcher qu'une habitude ne finisse par coder des formes et des significations. En détruisant les masques, et chaque nouvelle génération se trouve devant de nouvelles possibilités de créativité, en référence à un pulsionnel sans cesse débordant et par invention d'objets sans cesse créés.

S'il acquiert avec nous une nouvelle sacralité comme « objet muséal » c'est au prix d'une métamorphose et une éternisation de l'éphémère qui le fait entrer comme objet d'art à contempler dans le Musée Imaginaire dont l'occident serait le dépositaire désormais comme l'a voulu Malraux

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. Les sociétés traditionnelles ont d'ailleurs vite compris que le masque-objet, déchu du rite, gagnait ainsi « une valeur ajoutés » dans le tourisme et l'échange marchand : elles fabriquent à la demande et fabriquaient déjà, dès les temps coloniaux, des masques, bien plus spectaculaires (et rigoureusement propres) que ceux des rituels.Ainsi les masques dogons, évolutifs et intégrant des éléments de dérision(masques peuhls, de colons, de touristes) se sont figées dans des formes immuables suite à la demande des touristes, s'attendant à ne voir que ceux dont avait parlé Griaule. C'est donc la copie sur demande, parfois faite à partir d'exemplaires de musée qui est plus fidèle à un canon de formes (styles) ;l'artisan africain s'il a bien reçu des techniques de fabrication produit souvent son masque sous l'inspiration d'un rêve ou d'une apparition quelconque. Si œuvre d'art il y a, c'est parce qu'elle possède une « agentivité », en s'écartant du modèle strict ;ce qui est vrai de toutes formes d'arts vivant au dépens de l'académisme décadent.

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. » Les masques renversent en effet les hiérarchies, au niveau des générations comme des lignages. Ils autorisent simultanément certains comportements prohibés dans la vie quotidienne.

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Les danses constituent par exemple un lieu d'expression de la compétitivité ou de la sorcellerie. Enfin, s'inscrivant dans un processus d'évolution permanente où émergent des figures inédites et disparaissent des éléments désuets, il figure un contre-modèle de la répétition et de l'harmonie et constitue un des ressorts de l'élan culturel, en même temps qu'un terrain d'aménagement critique des normes. Là est le paradoxe du masque folklorisé : l'objet porteur de dynamisme est devenu l'objet-symbole d'une tradition invariable. Destinées au seul regard extérieur, les mises en scène du masque gomment toute trace matérielle de modernité (les vêtements ou accessoires importés visibles – chaussures de sport, lunettes de soleil… – dans le rituel y sont par exemple absents) et correspondent à la nécessité économique du théâtre touristique. Les jeunes danseurs, dont l'intention est de satisfaire le public étranger, reconstituent un rituel propre à l'imaginaire colonial : aucune trace d'évolution ne transparaît dans ce folklore qui ne conserve que les moments les plus spectaculaires de la représentation. Néanmoins, la mise en scène du masque dépasse la fabrication de spectacles à l'intention exclusive du regard extérieur. Le souhait le plus cher de nombreux visiteurs reste en effet de voir les masques évoluer dans leur contexte et les habitants de Sangha, haut lieu du tourisme et de l'ethnologie, contentent là encore leur désir, comme en témoignait l'organisation, en 1994, de l'avant-dernier dáma dont l'annonce avait était largement diffusée sur les radios maliennes, ainsi qu'auprès des agences de voyage. Se pose alors la question de la coïncidence possible de leur regard avec la dimension diachronique et l'attitude subversive des masques ». .Anne Doquet.Les Masques Dogon .Karthala

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Qu'il soit donc élément de parure ou pièce de vêtement, qu'il entre dans les rites et liturgies du sacré ou parmi les débordements des réjouissances profanes, porté devant les foules ou réservé au secret des initiations, l'objet masque universel , participe de par ses fonctions , du ludique, du festif du religieux, du théâtral, autant et plus que de l'esthétique .A ces divers titres, tout masque — de bois, de métal, de peau, de fibre, de poterie — interpelle l'ethnologue, le préhistorien, l'historien des religions, le psychanalyste, l'homme de théâtre, le folkloriste. On peut donc se demander quelle nécessité ancienne et contraignante, toujours présente cependant, a pu ainsi donner naissance à ce symbole du simulacre associé à un si grand nombre de rituels, de réjouissances et de cérémonies. Peu de sociétés ont ignoré le masque appliqué sur le visage si ce n'est peut-être l' Australie et la Polynésie. Encore Levi Strauss a –t-il par ailleurs signalé l'équivalence, dans maintes cultures, de l'élément graphique de la peinture corporelle ou du tatouage et de l'élément plastique constitué du visage lui-même, et d'un décor qui l'accuserait et le soulignerait . Une parenté essentielle et profonde existe entre le masque et le tatouage ou d'autres inscriptions corporelles comme les scarifications.

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«  Une réelle parenté symbolique existe donc bien entre les innombrables techniques de modification des expressions faciales et corporelles. Sans doute, les pratiques épidermiques du maquillage et de la peinture, les pratiques dermiques du tatouage et même les pratiques scarificatoires s'enracinent-elles aux mêmes nécessités d'impliquer le corps lui-même dans les croyances et les attitudes de la Société à l'égard de ses plus hautes préoccupations. Mais il en va de même des revêtements : qu'il s'agisse du voile, destiné à assurer l'anonymat des traits — vis-à-vis des humains comme des esprits —, ou du masque mortuaire destiné, lui, à en perpétuer les particularités identificatoires ; qu'il s'agisse aussi des revêtements corporels, déguisements et métamorphoses, extension souvent nécessaire du masque proprement dit, qui conduiront aux immenses constructions à structure d'osier comme les Géants des Flandres par exemple ou les Dragons de partout. Dans l'espace sémantique que limite l'inscription dans les corps et la projection dans le dé-cor(ps), entre la scarification et la statue, se rencontreront tous les aménagements physiques : l'intérieur, le contigu et le lointain définissent, selon le cas, l'une des dimensions d'un univers dont une autre se constitue autour du dualisme de l'immobilité et du mouvement, ce dernier impliqué dans une troisième et l'impliquant : le sens, que nous chercherons à découvrir. » Jacques Bril Le Masque Ou Le Père Ambigu .Payot.

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A travers ces objets de bois, d'ivoire ou de papier, se révèlent les panthéons des cinq continents, l'animisme, le bouddhisme, le chamanisme par exemple ainsi que des modes de vie ,des systèmes de pensée. L'être masqué intervient dans l'aire intermédiaire où il nous met en rapport avec le Tout de la Nature. Assimilé temporairement à l'une de ces forces qu'il faut se concilier ou conjurer, il n'existe, ne signifie, n'agit qu'en présence d'une communauté et en fonction de croyances collectives Il célèbre et fait revivre des mythes qui ont l'adhésion de tous .L'Africain ne respectait pas un masque-objet mais l'esprit qui y est enfermé. Le masque rituel, mémoire mythique, revivifie la cosmogonie, relie l'homme à la force [sacrée des ancêtres et des dieux, permet de renaître. S'introduire à l'intérieur d'un masque sacré est un honneur mais présente un danger. L'on doit être agréé et se soumettre à un apprentissage. Le forgeron qui, dans certaines sociétés, choisit un arbre, réceptacle de force vitale, pour sculpter un masque, est semblablement en danger et doit apaiser cette force par des offrandes.

Le masque est inséparable de ceux qui appartiennent à un même clan, des objets rituels, fétiches, totems, d'une société donnée, inséparable des mythes qui l'ont engendré. Tenter de comprendre les masques, c'est vouloir entrer dans le mystère d'autres civilisations, c'est essayer à un autre mode de représentation et de pensée.

 

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A SUIVRE.


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