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Libéralisme et liberté d'expression (1/2), sous la direction d'Henri Lepage

Publié le 02 janvier 2016 par Francisrichard @francisrichard
Libéralisme et liberté d'expression (1/2), sous la direction d'Henri Lepage

Libéralisme et liberté d'expression est un livre collectif paru il y a quelques six mois sous la direction d'Henri Lepage. Il comprend une introduction, une présentation des auteurs, neuf contributions, et une postface.

Les trois premières de ces contributions - les plus longues - sont les versions écrites d'interventions faites lors d'une réunion organisée par l'Institut Turgot  à l'Assemblée nationale le 26 janvier 2015.

Patrick Simon demande qu'il soit mis un terme en France au "retour vers la société archaïque que nous connaissons depuis peu, le législateur ayant promulgué par certaines lois des interdictions d'exprimer telle ou telle opinion".

Exemples non exhaustifs de cette régression:

- la persécution subie par le professeur Sylvain Gouguenheim pour avoir osé écrire que la pensée d'Aristote avait été transmise par le monde occidental avant la transmission arabe

- les condamnations judiciaires subies par l'ancien député Christian Vanneste pour avoir repris à son compte le propos d'Oscar Wilde: "Je remercie Adam de n'avoir pas été homosexuel car s'il l'avait été je n'existerais pas" (décisisons cassées sans renvoi par la Cour de Cassation)

- l'interdiction de dire du mal d'une religion à l'exception du christianisme: "là on peut y aller à fond la caisse"

- l'interdiction d'évoquer le trafic d'esclaves organisé par les Arabes

- les lois mémorielles et les lois sanctionnant l'expression d'opinions jugées racistes ou discriminatoires

- la condamnation judiciaire d'Eric Zemmour pour avoir dit lors d'un débat télévisé que la raison de l'interpellation fréquente pour contrôle d'identité de noirs ou d'Arabes était que "beaucoup de trafiquants de drogue sont noirs ou arabes"

Patrick Simon rappelle que "souvent, les pensées nouvelles comme les grandes découvertes ont été des ruptures radicales et se sont opposées à la "doxa" de l'époque".

Conformément à la Convention européenne des droits de l'homme, "même les opinions qui heurtent, choquent ou inquiètent doivent pouvoir s'exprimer".

Sinon on aboutit à un tabou inversé: "Au lieu de laisser la vérité combattre le mensonge et s'affronter à lui en utilisant la seule méthode digne des sociétés qui ont des règles de droit, à savoir les preuves, on criminalise l'opinion fausse, lui donnant par là même une importance qu'elle n'avait pas, et l'on sanctuarise l'opinion vraie, la retranchant dans une forteresse dont elle n'avait nul besoin et qui ne fait que l'affaiblir."

La conception de la liberté d'expression est fondamentalement différente en France et aux Etats-Unis, rappelle Jean-Philippe Feldman, faisant référence à l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 d'une part, au premier amendement de 1791 à la Constitution américaine de l'autre:

"Dans un pays, on déclare une liberté que l'on met aussitôt sous la protection du législateur, alors que, dans l'autre, on garantit la liberté contre celui qui est considéré comme son violateur potentiel le plus dangereux: le législateur fédéral."

La Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales est du même genre de construction socialiste que la Déclaration française, mais la Cour européenne des droits de l'homme adopte une jurisprudence des plus libérales... et elle condamne régulièrement la France dans le domaine de la liberté d'expression... qui y est mise à mal au nom de la prévention.

Au nom de la prévention, en 2014, le Conseil d'Etat a ainsi interdit les spectacles de Dieudonné en application d'un prétendu principe de "dignité" ou de la protection de l'individu contre lui-même. Or pour être un Etat de droit et non pas un Etat de police, la France doit appliquer un régime répressif et non pas préventif:

"C'est le régime répressif qui est le plus favorable à la liberté, puisqu'au lieu d'interdire a priori, il permet de réprimer a posteriori en tant que de besoin. En matière de liberté d'expression, un Etat de droit se traduit donc non pas par une censure interdisant les expressions individuelles, mais par d'éventuelles poursuites à la suite de propos tenus."

Or si l'on applique ce principe de prévention en matière pénale, on arrive "à cautionner le maintien en détention d'un individu présumé dangereux à l'issue de sa peine"... et à transformer l'État de droit en État sécuritaire. La tolérance au risque dans nos sociétés étant de plus en plus faible, l'État est encouragé à intervenir toujours plus: "Prompt à s'insurger contre l'arbitraire, l'homme est enclin à dénoncer tout aussi spontanément les faiblesses de la répression".

Certes, si l'État doit avoir un rôle, c'est d'assurer la sécurité des personnes. Mais cette dérive sécuritaire aboutit à ce que les individus n'aient "plus d'autre liberté que celle de se sentir - prétendument - en sécurité". A mesure qu'il prend de l'expansion, en se muant en État-providence, et qu'il s'avère incapable de résoudre les calamités qu'il engendre par là même, l'État se conforte dans son rôle de protecteur abusif: "Ainsi l'impuissance de l'État se nourrit-elle de son omnipotence." Ce qui nourrit aussi l'utopie de ceux qui rêvent d'une société sans État...

La société sans risques, c'est celle des régimes totalitaires, du moins c'est ce qu'ils prétendent: "Pour paraphraser Friedrich Hayek, la liberté d'agir, qui conditionne le mérite moral, comporte la faculté d'agir mal. Le libre arbitre implique la possibilité de l'erreur; la suppression de l'erreur aboutit à gommer le libre arbitre pour établir une société prétendument parfaite."

Cette société prétendument parfaite, c'est le fameux modèle social français, où l'État hypertrophié se révèle incapable d'assurer la sécurité publique. Jean-Philippe Delsol explique pourquoi: "C'est que l'État consacre tant de ses dépenses à assister les résidents français, il dépense si volontiers pour soigner et loger, nourrir et éduquer tous ceux qui habitent son territoire, qu'il attire toujours plus ceux du monde entier qui veulent bien y vivre pour autant qu'ils n'aient pas à y travailler et qu'il n'a plus les moyens de supporter les charges de ses fonctions régaliennes: défense, sécurité, justice."

Et cette prodigalité a l'effet inverse de celui escompté: "Le naturel humain hait celui qui le sauve en soulignant ses faiblesses, il n'aime pas la main qui le nourrit. Par sa prodigalité mal placée, l'État social alimente une poudrière qu'il n'a plus les moyens de contenir. Il abaisse, en l'entretenant de mauvais subsides, une population qui bientôt se révolte en se nourrissant des thèses radicales qui lui donnent à rêver."

La France laïcarde nie son origine chrétienne et méconnaît le principe de base de la séparation du politique et du religieux, conforme à la parole du Christ ("Rendre à César ce qui est César et à Dieu ce qui est à Dieu"), qui n'est pas négation du religieux, mais reconnaissance de deux domaines distincts:

"Cette séparation a contribué à la création d'interstices de liberté là où il n'y avait jamais auparavant qu'un pouvoir unique et généralement omnipotent. Elle a fait germer la liberté de pensée et de parole, protégée tantôt par l'un tantôt par l'autre, et ce faisant elle a favorisé l'initiative, la recherche, la créativité, le progrès en ressourçant le judaïsme, la philosophie grecque et le droit romain à partir desquels elle a contribué à la naissance d'une civilisation unique au monde par sa richesse et son inventivité.

"En niant cette origine, l'idéologie française a voulu affirmer un modèle unique, celui de la laïcité militante et exclusive, et la supériorité de sa parole. Ce faisant, elle a donné des armes aux islamistes qui condamnent également, mais différemment la séparation du religieux et du politique."

Résultat: "Les jeunes dont la soif de spiritualité est conforme à leur nature, comme à celle de tous les hommes, se laissent volontiers séduire par l'Islam, qui, à tout prendre, apparaît plus prometteur que la pauvre laïcité française dont l'idéal se limite à la manne très fade d'un État-providence qui n'a plus les moyens de sa politique."

La loi, du fait de l'instauration furtive de ce modèle unique, laïque et obligatoire, tend de plus en plus à dicter le comportement que chacun doit avoir plutôt que d'interdire les comportements des uns qui nuisent aux autres. Bref, prenant la place de la responsabilité individuelle, de loi-liberté elle devient loi-soumission et loi unique, avec pour corollaire une parole unique et unilatérale. Dieudonné et Zemmour, pour ne citer qu'eux en savent quelque chose.

Francis Richard

Libéralisme et liberté d'expression, sous la direction d'Henri Lepage, 112 pages, Texquis


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