Esotérique
A une certaine époque les chevaux français étaient nombreux à traverser la Manche pour aller défier les anglais, notamment sous l'impulsion conquérante de Marcel Boussac, en réussissant à gagner des classiques et une centaine de courses par an jusque dans les années cinquante.
Depuis vingt ans , il en est tout autrement, l'esprit de conquête s'est réduit à quelques tentatives frileuses. Trop confortable d'évoluer à la maison, de piocher dans la manne de nos propres allocations, mais aussi, trop compliqué de lutter avec des chevaux pour la plupart endurcis à 2 ans.
Désormais c'est seulement entre 20 et 30 chevaux français qui vont courir par an (principalement en Angleterre) pour une poignée de victoires (c'est à peu près l'équivalent des partants qu'Aidan O'Brien présente sur nos pistes chaque année).
Leur participation se concentre essentiellement sur des tentatives dans les Guinées et durant Royal Ascot, un tiers des participants étant la plupart du temps entraîné par André Fabre et Alain de Royer Dupré. Par comparaison c'est six fois moins que les chevaux anglais et irlandais qui viennent courir en France, autant attirés par le prestige de certaines épreuves que par le montant supérieur des allocations. Depuis 1995, les anglais et irlandais ont capté 80m€ d'allocations avec 2800 partants quand les français captaient seulement 14m€ avec un peu moins de 500 partants.
John Gosden est l'un des plus fidèles et son Arc avec Golden Horn peut s'envisager
Pour autant, André Fabre est l'un des rares, autant par sa fascination des courses anglaises que par son sens du défi, à tenter encore sa chance, même si cela l'est peu moins que dans les années 90 où il gagnait les Champion Stakes avec Tel Quel , le St Leger avec Toulon, ou avec des 2 ans comme Zafonic crucifiant Inchinor dans les Dewhurst puis Barathea dans les Guinées, ou encore Zieten dans les Middle Park Stakes.
Malgré des tentatives moindres, il réussit encore de jolis coups comme avec Esotérique, Miss France et Pour Moi. Pour ce qui est de l'Irlande, il n'y plus fait galoper quoi que ce soit depuis la tentative de Gagnoa dans les Irish Oaks où elle avait terminé derrière deux pouliches d'Aidan O'Brien.
Aidan O'Brien est certes aussi un bon entraîneur, mais si on le compare avec André Fabre dans leurs tentatives à aller gagner sur le terrain de l'autre, il soutient difficilement la comparaison. En effet, pour le même nombre de victoires acquises (une cinquantaine) André Fabre a engrangé 11m€ d'allocations avec 130 partants en Angleterre et en Irlande, quand de son côté Aidan O'Brien a perçu à peine plus (14m€) avec trois fois plus de partants en France. Ce qui souligne ici , s'il la fallait le talent d'André Fabre pour viser juste, d'engager hors de ses bases avec la pertinence voulue, alors que l'entraîneur irlandais (qui a parfois bien du mal à prioriser les potentiels de tous ses Galileo) vient en France motivé par une sorte de stratégie opportuniste (souvent avec des chevaux moyens) dans l'optique, à minima, de faire de belles places. A ce titre, certaines années, il est même reparti sans rien gagner (comme en 2003 bien qu'ayant présenté une trentaine de partants).
Seulement mais voilà, dans un pays comme l'Angleterre qui attire plus de 6 millions de spectateurs sur ses hippodromes, soit dix fois plus que chez nous avec quatre fois moins d'hippodromes, la compétition sportive est inhérente à la culture hippique. Sans pour autant faire la panacée des courses anglaises qui sont aussi confrontées à des difficutés (mais dont l'attractivité est en hausse) et d'en faire un modèle idéalisé, on peut simplement constater que notre frilosité à aller défier les autres sportivement, c'est aussi quelque part la conséquence d'un repli sur soi, de la certitude conventionnelle (conservatrice) d'évoluer (ou plus exactement de régresser) dans un système dont les équilibres ne sont jamais menacés, alors que tous les signaux d'un lent déclin ont déjà commencé à s'allumer.