Retrouvez mon interview à Sandrine Chesnel de l’Express ci-dessous :
Depuis les attentats de janvier, l’Observatoire de la laïcité a été très sollicité pour intervenir dans les établissements scolaires, les entreprises ou les institutions, et expliquer les principes de la laïcité à la française. L’analyse de Nicolas Cadène, son rapporteur général.
Un mot, beaucoup d’effets. Pendant l’année 2015, la laïcité a souvent fait les gros titres. La façon dont ses grands principes sont ou non respectés a régulièrement été pointée du doigt. « Après-Charlie » dans les écoles, menues des cantines, voile à l’université, crèches de Noël… Retour sur une année de polémiques avec Nicolas Cadène, rapporteur général de l’Observatoire de la laïcité, une instance consultative rattachée au Premier ministre qui a pour objectif de veiller au respect du principe de laïcité en France.
« La laïcité est un des fondements de la citoyenneté française »
Qu’est-ce que la laïcité en 2016?
Trois principes simples: la liberté de conscience et de culte, la séparation des organisations religieuses et de l’Etat, et l’égalité de tous les citoyens devant la loi quelles que soient leur croyance ou leur conviction. Il faut se rappeler qu’au départ, la laïcité en France a été pensée pour protéger les minorités religieuses qui étaient persécutées en raison de leurs croyances (juifs, protestants), et leur garantir les mêmes droits que l’ensemble de la population. La laïcité n’est pas une conviction mais le principe qui les autorise toutes, sous réserve du respect de l’ordre public.
Parle-t-on davantage de laïcité depuis un an?
C’est évident. Même si un mouvement de fond fait que depuis plusieurs années le sujet de la laïcité intéresse davantage les citoyens, on en parle encore plus depuis l’attentat contre la rédaction de Charlie Hebdo, parce que cela touchait à la religion et à la liberté d’expression. C’est finalement une bonne chose, car la laïcité est un des fondements de la citoyenneté française. Le problème, c’est qu’aujourd’hui le mot « laïcité » est devenu un mot « fourre-tout », une réponse systématique à tous les maux de la société. Or le mot « laïcité » ne se suffit pas à lui seul. Pour faire vivre ce principe, il faut qu’un certain nombre de conditions soient réunies, comme la mixité sociale, et la lutte contre toutes les discriminations. Jean Jaurès le disait déjà en 1904: « La République doit être laïque et sociale, elle restera laïque si elle sait rester sociale ».
« On ne doit pas interdire tout ce qui ne plaît pas à certains »
N’y a t-il pas de place pour le débat sur la laïcité?
Si, bien sûr. Débattons de la laïcité, mais à condition d’entendre toutes les voix, et pas seulement celles de certains de nos intellectuels, qui continuent d’avoir une vision de la laïcité fausse juridiquement. On ne devrait pas laisser dire, comme je l’ai souvent entendu, que la laïcité impose la neutralité religieuse dans l’espace public. C’est faux. La neutralité religieuse (et également politique) ne s’impose qu’aux agents de l’Etat et à ceux qui exercent une mission de service public. Depuis 2004, un cadre a également été posé dans les écoles, collèges, et lycées publics qui interdit seulement le port de signes ou de tenues manifestant ostensiblement une appartenance religieuse. Une obligation qui ne concerne pas les élèves de l’enseignement supérieur, parce qu’ils sont majeurs, et adultes, et ont fait leur propre choix convictionnel.
La crispation sur la question de la visibilité des religions est-elle un effet collatéral de l’après-attentats?
En période de tension et de crise, la tentation du repli sur soi, identitaire ou communautaire, est très forte, c’est certain. D’autant que la peur et la défiance augmentent. C’est pourquoi, par exemple, l’Education nationale forme désormais ses enseignants à la laïcité, pour qu’ils sachent comment en transmettre les principes. C’est nécessaire dans une société où beaucoup de confusions existent autour de la notion de laïcité. Ainsi, l’année dernière, nous avons été alerté du cas d’un rabbin, en région toulousaine, empêché de voter car il portait une kippa. C’est une fausse interprétation du principe de laïcité qui conduit à ce type de situation.
De même, une femme qui se promène dans la rue avec un foulard sur la tête n’est pas en infraction avec le cadre juridique de la laïcité. Nous n’avons pas de police vestimentaire en France, et c’est heureux! Sauf à vouloir basculer dans un régime autoritaire, on ne doit pas interdire tout ce qui ne plaît pas à certains. De même que vous pouvez tout à fait ne pas partager les valeurs, la mode vestimentaire ou la vision du monde des punks, mais pour autant, vous ne pouvez pas leur interdire de se promener avec une crête sur la tête. La limite, c’est que tout le monde doit respecter le cadre républicain et que personne n’a le droit d’imposer à autrui ses propres convictions.
En 2015, la laïcité s’est également invitée au menu des cantines…
Je voudrais d’abord souligner que c’est un sujet qui est revenu sur le devant de la scène à la faveur des élections départementales, alors que depuis plus de 30 ans les cantines servent des repas de substitution (à ne pas confondre avec des repas hallal ou kacher, qui ne sont pas servis) sans que personne n’y trouve à redire. Il faut ensuite rappeler que contrairement à ce qui a pu être affirmé ici ou là, le respect de la laïcité n’implique pas que tous les enfants des écoles françaises mangent du porc, ou du poisson le vendredi!
Cependant, l’Observatoire de la laïcité recommande que les cantines scolaires proposent tous les jours deux repas différents, dont un repas végétarien, sans séparer les élèves selon leur choix. Il faut comprendre que dans ce cas, l’offre de choix entre deux repas n’est pas une réponse à une demande particulière ou communautariste, mais une solution qui répond aux besoins de tous, quelles que soient la religion, les pratiques alimentaires des familles, ou tout simplement l’envie personnelle de l’enfant.