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En Immersion (2016) : réalisme expressionniste

Publié le 10 janvier 2016 par Jfcd @enseriestv

En Immersion est une nouvelle série de trois épisodes qui ont été diffusés les uns après les autres le 7 janvier sur les ondes d’Arte. Se déroulant à Paris, le personnage principal est Michel Serrano (Patrick Ridremont), un policier de bureau qui découvre qu’il est atteint d’une grave maladie et qu’il n’en a que pour six mois à vivre. Sur ces entrefaites, il découvre que sa fille Clara (Pénélope Leveque) est en train de tomber dans l’enfer de la drogue et décide, comme s’il s’agissait d’un geste ultime, de s’infiltrer dans l’univers des revendeurs afin de l‘éradiquer. Création de Philippe Haïm, En Immersion réussit à nous offrir une histoire aux accents de tragédie d’opéra tout en s’ancrant bien dans une réalité qu’il ne se gêne pas pour dénoncer.

En Immersion (2016) : réalisme expressionniste

En noir et blanc

On ne peut pas dire que Michel s’épanouissait dans son milieu de travail, loin de là. Sauf que lorsque son médecin lui annonce une longue déchéance sur quelques mois seulement, c’est comme s’il avait besoin de vivre pleinement avant qu’il ne soit trop tard et sa fille lui en donnera malgré elle l’opportunité. Clara est une lycéenne qui s’est éprise de Quentin (Phénix Brossard), un compagnon de classe et pseudo tombeur qui semble préférer autant la drogue que ses conquêtes. Prête à tout pour ses beaux yeux, Clara consomme elle aussi, mais elle est véritablement dans le pétrin lorsqu’elle s’approprie la drogue d’un autre jeune homme que la police vient juste d’arrêter. Originaire du Mali, Soudoumbé (Victor Viel) vient tout juste de débarquer en France et tout de suite son père (Eriq Ebouaney) lui donne de la drogue à vendre près des lycées du coin. En haut de cette hiérarchie de revendeurs de stupéfiants se trouve Guillaume Leanour (Olivier Chantreau), un fils de riche dans le début de la trentaine qui éprouve quelques problèmes avec ses fournisseurs. Justement, Michel parvient à se faire passer pour l’intermédiaire de l’un d’eux avec tellement de brio qu’ il devient l’allié de Guillaume. Le problème est que Clara finit par se retrouver dans les mailles du piège que son père et la police veulent tendre à ces escrocs.

La première question qui se pose en regardant En Immersion est de savoir pourquoi Haïm a décidé de tourner sa série en noir et blanc. En entrevue le créateur cite ces raisons : souci d’unité, clin d’œil aux chefs-d’œuvre, dont ceux de Kurozama et au film noir, mais l’autre raison qu’il cite et qui colle le mieux à la prise de ce choix est sans conteste la « déréalisation » de ce qui nous est présenté : c’est-à-dire que le récit s’apparente au conte ou à une vision subjective de la réalité : celle de Michel. Son médecin le lui a dit : avant de mourir, sa lente agonie lui causera des hallucinations et la perte progressive de sa mobilité lui donnera l’impression qu’il est en train de se noyer : c’est justement ce que l’on voit dans certains plans et ce que l’on ressent lorsque ça ne nous est pas montré explicitement à l’écran. La musique (elle aussi composée par Haïm) digne des grands opéras vient aussi renforcer cet état tragique dans lequel se trouve le protagoniste, lui qui n’a plus que pour but de sauver sa fille avant de disparaître.

En Immersion (2016) : réalisme expressionniste

En fait, s’il y a un mouvement utilisant le noir et blanc auquel on ne peut s’empêcher de penser lorsqu’on regarde la série d’Arte, c’est l’expressionnisme allemand. Ses jeux d’ombres, les forces du mal représentées et ses décors macabres donnant le vertige symbolisaient en quelque sorte la psychose de tout un peuple abattu et sans espoir au lendemain de la Première Guerre mondiale. On retrouve ce même genre de mise en scène dans En Immersion. Aux monstres de l’époque qui venaient troubler l’ordre public (Nosferatu, le Dr Caligari, Le Golem, le robot Maria dans Metropolis, etc.), on a ici des barons de la drogue qui sans scrupules profitent d’une jeunesse vulnérable et surtout désabusée qui ne demande qu’à s’évader de la réalité : comme le dit Guillaume :« Plus on les a tôt, plus on les a longtemps ».

Quelques autres éléments

En même temps, et c’est tout à l’honneur du réalisateur, on ne peut passer sous silence une critique de la société dans la série, plus particulièrement au niveau de l’immigration. Dès qu’il arrive en France, le père de Soudoumbé a tôt fait de le convaincre que l’important est tout simplement de parvenir à envoyer des « couleurs » (référant à celles des différents billets d’euro) à sa famille, mais malgré cette tournure poétique, le jeune homme déchante rapidement. Subissant la pression de ses proches, ignoré par la société en général et même emprisonné par la police, c’est Michel qui pourtant le prend en pitié finit par lui lancer : « La France, elle s’en fout de toi! ». À la suite d’une descente aux enfers fulgurante, Sadoumbé ira délibérément attirer l’attention de la police concernant son statut d’immigrant illégal afin que les autorités le renvoient au Mali, ce qui en dit long sur son expérience dans cette « terre d’accueil »…

En Immersion (2016) : réalisme expressionniste

Malgré son ton onirique, l’humanité aussi est bien réelle dans En Immersion : l’amour d’un père pour sa fille et vice-versa parce que Clara a beau être d’une extrême impertinence envers son patriarche, on sent très bien qu’au fond elle l’aime plus que tout. Il faut voir sa réaction lorsqu’elle est à deux doigts de découvrir la mission de son père. Michel, pour ne pas l’entraîner dans cette affaire invente qu’il est accro à la drogue. L’effet est très touchant puisque Clara est émue aux larmes en pensant qu’il pourrait être dépendant… tout comme elle qui est sur le point de l’être. Et malgré tous les drames à venir, l’espoir est tout de même au rendez-vous.

Au final, En Immersion aura attiré en direct 486 000 téléspectateurs pour une part de marché de 1,9 %. Arte n’étant pas de taille à rivaliser avec les autres chaînes publiques telles TF1 et France Télévision par exemple, cette fiction restera en ligne encore quelque temps. Si seulement le site web qui l’héberge pouvait être ouvert à toute la francophonie…


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