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Magie noire, masques blancs

Publié le 18 janvier 2016 par Les Lettres Françaises

OYEYEMI-photo-auteur-fiche-Comme Miranda dans Le Blanc va aux sorcières (2011) et Mary dans Mr. Fox (2013), Boy Novak est une jeune fille instable. Et pas seulement parce que dès les premières pages de Boy, Snow, Bird, le cinquième roman de l’Anglo-Nigériane Helen Oyeyemi, elle fuit le Lower East Side de Manhattan où elle vivait avec son père, un preneur de rats violent. Chez cette adolescente que l’auteure fait s’exprimer à la première personne, avant de céder la narration aux deux autres personnages éponymes, il y a quelque chose qui cloche. Une petite étrangeté. Dans sa manière d’assembler les mots, notamment. Du haut de ses quinze ans, Boy crée des images singulières. Elle transforme des expressions figées en trésors de poésie où surnaturel et désordres adolescents se confondent. Comme son prénom l’indique, Boy flotte dans l’indéterminé. Helen Oyeyemi poursuit donc son exploration des contes et autres genres paralittéraires, pour interroger l’histoire raciale des États-Unis.

Boy partage avec la plupart des héroïnes d’Helen Oyeyemi un pouvoir : celui de susciter des questions, aussi bien sur le statut du texte que sur la dimension politique et sociale de la magie noire – ou du moins ce que l’on est tenté de comprendre comme tel – distillée avec parcimonie tout au long du texte. Que veut par exemple dire Boy en affirmant « je n’interférais pas – tout était dans les miroirs » et lorsqu’elle, Snow et Bird décrivent plus tard leur rapport singulier à leur reflet – ou plutôt à leur absence de reflet ? À l’hypothèse fantastique vient peu à peu se greffer une interprétation raciale du phénomène. Plus l’étrangeté de Boy, Snow, Bird se dissipe, plus le récit se teinte. De la blancheur initiale des différents protagonistes, seule Boy est épargnée par l’extension du noir. Du moins en matière de couleur de peau. L’ascendance de la première narratrice est en effet aussi trouble que celle des deux autres. Mais différemment.

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Helen Oyeyemi franchit avec ce roman un cap dans le traitement du noir et du blanc. Présentes de manière purement symbolique dans Le Blanc va aux sorcières, les deux couleurs en question sont ici aussi centrales que dans les romans de Toni Morrison. Aussi empreintes de magie, également. Helen Oyeyemi a toutefois une manière bien à elle de mélanger les couleurs et les sortilèges. Au fur et à mesure que la noirceur de Snow et sa famille – qui devient la belle famille de Boy, lorsqu’elle se marie avec Arturo Whitman – sont mises à jour, l’étrange se déplace. Il migre vers les relations entre les personnages.

Entre Snow et sa demi-sœur Bird surtout, dont les lettres intégrées à la narration perturbent la linéarité déjà fort accidentée. Pleines de contes tragiques dont les nombreux masques blancs font écho à ceux du récit principal, ces missives finissent de brouiller les genres – littéraires et sexuels –, les apparences et la valeur des mots employés avec tant d’inventivité par chaque narrateur. Boy, Snow, Bird dit l’absurde du racisme avec la légèreté de la fable. Libre à chacun de la connecter au réel, ou de la laisser là où l’auteure l’installe. Suspendue entre un passé réel et une fantaisie atemporelle.

Anaïs Heluin

Boy, Snow, Bird, de Helen Oyeyemi, Galaade, 288 p., 24 €.



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