Au Cameroun, le code de la nationalité, datant du 11 juin 1968, prévoit que quand un citoyen camerounais obtient la citoyenneté d'un autre pays, il perd automatiquement sa nationalité originelle. La loi de juin 1968 stipule que lorsque l’on perd la nationalité camerounaise, la réintégration (par exemple à travers la restauration) doit être sanctionnée par décret. La loi reste pourtant silencieuse sur l’identité de l’émetteur dudit décret.
Bien qu'il existe de nombreux éléments positifs dans la loi du 1968 (par exemple, elle est gracieuse à l’égard de ceux nés apatrides, art.12), elle tend à être discriminatoire à l'égard des femmes concernant l'acquisition de la nationalité par mariage. Tandis que l’homme camerounais peut transmettre la nationalité camerounaise à sa conjointe étrangère par le mariage, l’inverse n’est pas autorisé (art.17). Ce qui est encore plus problématique est la perte de la nationalité suite à la conservation ou l’acquisition volontaire de la nationalité étrangère comme ordonné dans l’art.31 (a). Une tentative par le parti d’opposition, le Social Democratic Front (SDF), en 2014 pour introduire un amendement à cette disposition n'a pas recueilli assez de soutien.
La question de la double nationalité pour les Camerounais est controversée. Ceux qui sont contre avancent plusieurs arguments. Premièrement, la double nationalité provoquera la chute des recettes liées aux frais de demande de visa qui sont vitaux pour l'entretien des ambassades camerounaises. Deuxièmement, ils soutiennent qu'elle favorisera le « shopping juridictionnel » par les malfrats, ce qui renforcera l’impunité. Troisièmement, dans une ère de propagation de l’extrémisme violent (notamment l’activisme de Boko Haram), elle pourrait favoriser l'insécurité en facilitant la mobilité de terroristes. Quatrièmement, les Camerounais de la diaspora ne sont pas indispensables au développement national. Cinquièmement, la double nationalité soutiendra les comportements antipatriotiques en raison de leur double allégeance. Enfin pour eux, ceux de la diaspora pourraient, grâce à leur pouvoir (financier et relationnel) revenir pour défier les titulaires de mandats électoraux.
Cependant, la majorité de ces arguments avancés ne résiste pas à une analyse plus approfondie. Prenez celui de l'argent par exemple. Une solution pourrait être (pour commencer) de percevoir une taxe forfaitaire d'environ 50 dollars US (ou un autre somme jugée raisonnable) par an sur tous ceux qui désirent conserver la double nationalité. Cette taxe s’appliquerait seulement aux travailleurs et aux hommes d’affaires. Les États-Unis collectent les impôts de ses citoyens et des détenteurs de la carte verte partout dans le monde. Cela aidera à faire face à la courte chute qui pourrait résulter de la perte des frais de demande de visa des natifs camerounais détenant d'autres passeports.
Deuxièmement, dans les cas où ont été commis des crimes graves, des traités d'extradition devraient être négociés afin que les criminels n’exploitent pas les failles. La négociation de ces traités est tout à fait possible. Dans les cas très graves, les services d'Interpol pourraient être sollicités aussi.
Concernant la lutte contre le terrorisme (en particulier les militants de Boko Haram), il est essentiel pour le gouvernement de forger des partenariats avec la diaspora camerounaise qui fournira l’indispensable savoir-faire, l'expertise et les réseaux qui pouvaient être développés pour contrer les groupes radicaux et violents. Une préoccupation majeure est liée au fait que les militants et certaines personnes mal intentionnées dans les pays voisins pourraient profiter des lois de la double nationalité du Cameroun pour demander à devenir Camerounais. Une solution technique à ce problème résiderait dans l’élaboration d’un moratoire qui sera appliqué aux demandes provenant d’un groupe restreint de pays, durant les trois premières années de l’amendement permettant la double nationalité.
Pour ce qui est du rôle de la diaspora, et en cohérence avec la vision 2035 pour le développement du Cameroun, il est fortement recommandé que les ambassades du Cameroun s’engagent à mobiliser les Camerounais de l’étranger pour contribuer à la réussite de cette stratégie de développement. Oubliez le sous-sol ! La plus grande ressource est le capital humain. Beaucoup de pays africains l’ont compris. Vingt pays africains, notamment ceux à croissance rapide comme la Côte d'Ivoire, le Ghana, le Kenya, le Rwanda et même le Nigeria, ont adoptés la double nationalité parce qu'ils en perçoivent les gains.
Quant à l’esprit patriotique, il est conseillé d’entreprendre des initiatives comme le service civique, qui pourrait être implémenté et géré par nos ambassades à l’étranger. Chaque ambassade pourrait alors façonner et gérer ce programme en fonction de ses besoins propres.
Enfin, au sujet des préoccupations que la diaspora pourraient biaiser la politique locale, il suffit d’inclure une clause ou une disposition dans le projet de loi d’amendement stipulant clairement que les Camerounais désirant accéder à des mandats politiques, devront présenter une preuve de résidence dans le pays d'au moins 3 ans à l’intérieur de toute période de cinq ans précédant les élections en question.
Dans l'avenir immédiat, trois propositions sont à considérer pour répondre à la problématique de la double nationalité. D'abord, le pouvoir législatif devrait modifier la loi de 1968, pour permettre la double nationalité. Deuxièmement, le président devrait créer une Direction générale des Affaires de la Diaspora (DGAD). Le directeur ou la directrice de cette instance coordonnera toutes les activités liées à la diaspora du Cameroun. Troisièmement, il est temps pour le Cameroun d’émettre des obligations (Diaspora Bonds) à souscrire par la Diaspora semblables à ce qui a été fait en Israël et l'Inde pour les faire participer au financement du développement du pays.
Avoir une diaspora forte et engagée est central. Avoir une diaspora distante et désengagée est une recette pour la stagnation. Le code de la nationalité a été adopté en 1968 à un moment où l'interdépendance mondiale à l'ère de l'Internet était inexistante. Depuis lors, le monde a changé. Il est temps pour nos législateurs et le président de se mettre au diapason de l’évolution de notre société.
Stephen Kingah, Université des Nations Unies, CRIS, Belgique. Le 18 janvier 2016