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Montreuil : nouveau maire, vieilles recettes

Publié le 18 janvier 2016 par Blanchemanche

#Montreuil
Par Jérémie Lamothe — 

Soupçons de favoritisme, «purge»… les questions s’accumulent autour de la gestion de Patrice Bessac, élu en 2014 dans l’un des derniers bastions communistes.

Patrice Bessac, dans sa mairie de Montreuil (Seine-Saint-Denis), en novembre 2014. Patrice Bessac, dans sa mairie de Montreuil (Seine-Saint-Denis), en novembre 2014. Photo Rémy Artiges
  •   Montreuil : nouveau maire, vieilles recettes
Montreuil, dernier grand bastion municipal communiste, est-il en train de se fissurer ? Autoritarisme, mauvaise gestion, favoritisme… Le maire de cette ville de 100 000 habitants en Seine-Saint-Denis, Patrice Bessac, est au centre de toutes les critiques. Jusque dans sa propre majorité. En octobre, sept élus écologistes (sur treize) s’en sont pris directement à l’édile communiste dans une lettre adressée aux militants. Les mots sont lourds de sens : «Diktat du maire», «dérive autocratique»«prétextes fallacieux»«méthode brutale». La charge est intervenue après la décision de Patrice Bessac d’imposer un petit remaniement parmi les conseillers municipaux verts. Si le reste des troupes écolos s’est démarqué de cette prise de position, la majorité ne tient plus qu’à un fil. Selon un élu d’opposition, «le dernier conseil municipal du 16 décembre a été encore pire que d’habitude. Patrice Bessac coupe la parole, ne répond pas, c’est vraiment pénible…» Le malaise est encore plus profond au sein de l’administration. D’ex-employés, excédés, pointent du doigt une ambiance exécrable et dénoncent les «pressions» et le«harcèlement» régulier de leur hiérarchie depuis l’arrivée de Bessac.Pourtant, l’espoir était grand lorsque ce jeune loup de 35 ans, pur produit du Parti communiste, a été élu en mars 2014. Avec son accent du Sud-Ouest et son art de la communication, il n’a eu aucun mal à se placer en anti-Dominique Voynet, sa prédécesseure écolo, dépeinte comme froide et cassante. Révolues aussi avec lui «les vieilles recettes» de l’édile historique, le communiste dissident Jean-Pierre Brard (1984-2008). Elu à 500 voix près face à ce dernier, sous l’étiquette rouge-rose-verte, Patrice Bessac prônait l’apaisement et le retour d’une éthique, selon lui longtemps oubliée. Mais un an et demi après la campagne, ces belles promesses semblent s’être envolées avec la pratique du pouvoir. Ce qui fait dire à un ancien cadre de la mairie, dépité par la situation :«Montreuil est devenu Sovietik Park…»

Copinage entre communistes

Pour une ex-collaboratrice du service communication de la municipalité, depuis mars 2014, la donne est claire à la mairie de Montreuil : «Il y a une chasse aux sorcières et une purge incroyable au sein des services. Tous ceux qui n’ont pas la carte du PCF sont poussés vers la sortie.»Lors des dernières municipales, le Parti communiste a subi une véritable saignée en Seine-Saint-Denis : Saint-Ouen, Bobigny, Bagnolet, Le Blanc-Mesnil ont été perdus. Montreuil est, avec Saint-Denis, la dernière grosse ville gérée par un maire communiste. Il faut faire de la place aux camarades déchus. Les postes stratégiques sont désormais entre les mains de membres ou de proches du PCF : direction générale des services, directeurs généraux adjoints (passés de trois à sept sous Bessac), direction de la communication, nombreux chargés de mission. Le nouveau directeur de l’Office public de l’habitat montreuillois (OPHM), en poste depuis le 1er janvier - le dernier, nommé sous Dominique Voynet, a été évincé à la rentrée -, est lui aussi un proche du PCF. Selon un cadre de la mairie, «Patrice Bessac est en train d’opérer un véritable verrouillage de son appareil municipal. Il faut qu’aucune tête ne dépasse». Un bon connaisseur de la ville ajoute :«C’est la tradition des élus communistes. Quand le PCF dirigeait les villes, il fallait faire vivre les siens, donc là, comme Montreuil est la plus grosse ville qu’ils gèrent… Mais les agents municipaux commencent à l’avoir mauvaise.» Dans le même temps, les fonctionnaires sont confrontés à une importante cure d’austérité (postes fermés, contrats non renouvelés). Mi-septembre, près de 300 employés municipaux, en grève pendant deux jours, ont envahi la mairie pour dénoncer ce «plan social déguisé».

Une ville en quasi-faillite

L’édile de Montreuil justifie cette cure d’austérité notamment par la baisse des dotations aux collectivités locales décidée par l’Etat, qui coûterait 12,3 millions d’euros sur trois ans à sa ville. Un chiffre contesté par l’opposition. Mais dans un audit du cabinet Klopfer, spécialisé dans les finances locales, qui a été commandé par Bessac et rendu au printemps 2015, la gestion du maire est pointée. Le rapport, dontLibération s’est procuré la note de synthèse, met en cause l’augmentation brutale des dépenses de personnel en 2014, décidée sous Bessac, notamment lors du vote «du budget supplémentaire, et surtout la troisième décision modificative adoptée au mois de novembre 2014». Malgré des caisses vides, le maire a ainsi augmenté de 20 % le budget réservé aux indemnités de son équipe. Et le cabinet Klopfer de prévenir : la municipalité n’a d’autres solutions que d’augmenter à la fois «les impôts locaux de 20 % et de réduire drastiquement les dépenses de personnel autour de 2 % par an», sinon la ville se retrouvera en «quasi-faillite». La situation n’est guère surprenante, selon un ex-cadre de la mairie : «Bessac est rattrapé par la réalité, il a fait partir tous les gens compétents. Il n’a fait revenir que des communistes qui ont échoué dans les autres villes, ça ne peut pas produire de résultats.»L’office HLM de Montreuil pose aussi question. Au début de l’été dernier, l’Inspection générale des finances (IGF) est venue éplucher les comptes de l’OPHM. Le rapport provisoire remis en juin 2015, queLibération s’est procuré, est édifiant. Mauvaises pratiques, critères de sélection des locataires opaques, gestion financière douteuse, charges de personnels trop lourdes… Un véritable réquisitoire. Dans son rapport, l’IGF s’inquiète pour l’avenir même de l’OPHM : «La mise en œuvre du plan stratégique de patrimoine 2016-2022 mettrait l’organisation dans une situation de déséquilibre bilanciel préoccupante.»Si la situation est critique depuis déjà de nombreuses années, l’IGF s’étonne de mesures prises par l’édile actuel, notamment l’arrêt du supplément de loyer de solidarité. Ce surloyer doit en principe être payé par les locataires de HLM dont les revenus dépassent un certain plafond. Selon nos informations, sa suppression représente un manque à gagner de plus d’un million d’euros par an pour l’OPHM. Sans compter l’amende de la part de l’Etat.

Des entreprises proches du parti

Certaines pratiques de la mairie flirtent avec l’illégalité, comme l’attribution de marchés à des entreprises proches du PCF, même quand celles-ci sont plus chères que leurs concurrentes.C’est ce qui s’est passé au printemps 2015, lors de l’attribution d’un marché de trois ans (un an reconductible deux fois) pour la «prestation de conseil éditorial pour le journal municipal et [la] conduite de sa refonte». Prix maximum fixé : 206 800 euros sur trois ans. Trois entreprises ont postulé. D’après le rapport d’analyse, dont Libérations’est procuré une copie, deux sociétés proposaient un service à moins de 150 000 euros, somme plutôt raisonnable. Mais c’est la candidature la plus chère, celle de la société Boréal, dont le dirigeant est un proche du PCF, qui est retenue par la mairie. Rien d’illégal jusqu’ici. Plus embêtant, le prix de Boréal - 269 550 euros - est bien au-dessus du plafond fixé par la municipalité et au-delà du seuil de 207 000 euros qui, selon le code des marchés publics, impose des règles plus contraignantes en termes de publicité et de mise en concurrence. D’après un avocat spécialiste des marchés publics, «il y a une irrégularité dès le stade de la procédure. Il peut y avoir un recours contre cet appel d’offres, on n’est pas loin du délit de favoritisme et de la violation des règles du code des marchés publics».Autre élément troublant, la présence d’André Ciccodicola, ex-directeur de la rédaction de l’Humanité Dimanche, dans l’équipe du journal municipal. Pour remporter l’appel d’offres, Boréal mettait en avant auprès de la mairie la présence «d’un conseiller éditorial permanent». Selon une ancienne salariée, «c’est M. Ciccodicola qui est à ce poste». Depuis la nouvelle formule, parue le 29 octobre, Ciccodicola est d’ailleurs mentionné dans l’ours du journal comme «concepteur» et «conseiller éditorial». Or, ce dernier est présent dans la rédaction du journal depuis le début du mandat de Patrice Bessac, avant donc l’attribution du marché à Boréal. «Il a coanimé des séminaires sur la refonte du journal, fait passer des entretiens individuels avec tout le monde et, avant l’appel d’offres, il a réalisé un audit dont nous n’avons jamais vu la couleur», relate l’ex-employée. S’il disposait d’un bureau dès le départ, il ne pouvait pas avoir de poste officiel, ayant dépassé l’âge limite. «Boréal est juste là pour faire écran, car M. Ciccodicola a dépassé l’âge d’avoir un poste à la mairie», explique-t-elle. Contactés, Boréal et Ciccodicola n’ont pas donné suite à nos demandes d’interview.La municipalité a également attribué à l’été 2015 «la gestion et la maintenance des signalisations tricolores» à Bérim, société dont la responsable de la communication n’est autre que Dominique Attia, adjointe de Bessac. Cette dernière réfute tout conflit d’intérêts : «Je n’ai rien à voir avec les appels d’offres auxquels répond Bérim. Je n’ai jamais facilité un quelconque rapprochement et je n’étais pas dans la commission d’appel d’offres. J’ai une éthique, ces pratiques, ce ne sont pas ma façon de travailler.» Bérim a signé un autre contrat en novembre avec la mairie de Montreuil.Autre sujet de polémique locale, l’association Territoires solidaires, basée dans le Val-d’Oise, qui gère le nouveau fonds de dotation de la ville de 15 000 euros. L’ancien élu écologiste Patrick Petitjean a relevé sur son blog que la trésorière fondatrice et le secrétaire de cette association - créée quelques semaines avant la mise en place du fonds de dotation - sont tous deux membres du PCF. Ils sont aussi salariés de Groupe Médias, connu pour être proche du parti et qui gère la régie publicitaire du journal municipal de Montreuil depuis l’époque Brard. Un petit monde. Contacté à plusieurs reprises par Libération, Patrice Bessac n’a pas souhaité répondre à nos questions.Jérémie Lamothehttp://www.liberation.fr/france/2016/01/18/montreuil-nouveau-maire-vieilles-recettes_1427279

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