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La démocratie déjà attaquée par la coopération réglementaire transatlantique

Publié le 19 janvier 2016 par Blanchemanche
#TAFTA


Lora Verheecke et David Lundy travaillent pour Corporate Europe Observatory, une ONG basée à Bruxelles qui enquête sur le pouvoir des lobbies des grandes entreprises sur la politique de l’Union européenne. Ils révèlent que depuis 25 ans le projet de « coopération réglementaire » mené par l’Union européenne et les États-Unis a été dominé par les grandes entreprises. ET que le TTIP cherche à entériner ce projet.La démocratie déjà attaquée par la coopération réglementaire transatlantique©http://www.albertoalemanno.eu/

Tous les efforts des lobbyistes aujourd’hui à Bruxelles se concentrent sur le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (TTIP, aussi nommé TAFTA) : le projet d’accord commercial entre l’Union européenne et les États-Unis qui contient un large éventail de politiques, allant de la réglementation environnementale au droit du travail, en passant par la protection des données personnelles et les politiques culturelles.Au chapitre des négociations sur le TTIP, le règlement des différends entre investisseurs et États (RDIE ou Investor State Dispute Settlement, ISDS, en anglais) est particulièrement préoccupant et a fortement focalisé l’attention du public ces derniers mois. Grâce au mécanisme RDIE, les multinationales pourront légalement faire obstacle aux décisions démocratiques d’États souverains ou d’entités supranationales dans la mesure où elles considèrent que ces décisions portent préjudice à leurs bénéfices. Mais le TTIP contient également des chapitres sur la « coopération réglementaire ». L’objectif de celle-ci est de démanteler les « obstacles réglementaires » au commerce et d’empêcher l’émergence de nouvelles réglementations favorisant l’intérêt public en allongeant leurs procédures d’adoption et en donnant aux grandes entreprises le pouvoir de les dénoncer si elles estiment qu’elles pourraient avoir des répercussions sur le commerce. Les avancées en termes de réglementation environnementale, de politiques de santé et bien d’autres normes seront mises en péril. L’expression « coopération réglementaire », si conventionnelle, dissimule en réalité un ensemble dangereux de procédures. Le terme « coopération » n’est évidemment pas neutre. En réalité, ceux qui vont coopérer ne seront autres que les fonctionnaires et les lobbyistes. Cet aspect est peu discuté dans les débats autour du TTIP, pour le plus grand bonheur de ceux qui préfèreraient éviter tout débat et qui n’hésitent pas à véhiculer des messages rassurants sur la coopération réglementaire. Selon eux, elle n’est qu’un simple moyen de réduire considérablement les formalités bureaucratiques. Or, dans les faits, cette procédure pourrait porter atteinte aux lois favorisant l’intérêt public et pourrait réduire le pouvoir de nos élus.Dès le début de la coopération réglementaire transatlantique dans les années 1990, la Commission européenne et le gouvernement des États-Unis ont montré leur détermination à impliquer les grandes entreprises dans le processus de prise de décisions. La direction générale du Commerce de la Commission européenne et le département du Commerce des États-Unis ont travaillé ensemble pour créer le dialogue transatlantique entre entreprises (Transatlantic Business Dialogue, TABD, en anglais). Le TABD rassemble des PDG des plus grandes entreprises européennes et américaines et conseille les fonctionnaires des deux côtés de l’Atlantique sur les questions de commerce et d’investissement. Au fur et à mesure, le TABD a gagné en influence, devenant aujourd'hui un lobby d’affaires que les fonctionnaires américains et européens consultent régulièrement pour élaborer l’agenda officiel en fonction des demandes des grandes entreprises.Le cas du conglomérat financier AIG qui a précédé l’effondrement du secteur financier en 2008 montre comment la coopération réglementaire et le TABD ont déjà protégé les intérêts des grandes entreprises au détriment de l’intérêt public.En 2002, l’Union européenne a adopté de nouvelles règles pour empêcher les sociétés transfrontalières qui opèrent dans différents secteurs des marchés financiers d’échapper à la réglementation relative à l’adéquation des fonds propres. Ces règles auraient contraint les sociétés américaines à respecter cette réglementation européenne et être sous la surveillance des autorités européennes. Les PDG de Wall Street n’étant pas du même avis, ils ont fait appel aux autorités financières des États-Unis qui se sont alors rapprochées de l’Union européenne.À travers la coopération réglementaire, l’Union européenne et les États-Unis ont entrepris d'aligner leurs normes respectives. L’objectif était de permettre aux sociétés américaines dans le secteur de la finance d’exercer leurs activités au sein de l’Union européenne sans être dérangées par les autorités européennes.Lorsque la crise financière a éclaté, les autorités de contrôle n’avaient presque aucune connaissance des comptes européens des sociétés financières américaines. Ce fut le cas particulièrement pour la banque d’investissement Lehman Brothers et le géant des assurances AIG dont le département des produits financiers était basé à Londres. Par ailleurs, AIG était aussi devenu un acteur de premier plan dans le secteur des contrats d'échange du risque de crédit (CDS pour ses acronymes en anglais) – un contrat qui offre une garantie contre le non-remboursement d’un prêt.La disparition du conglomérat en septembre 2008 a joué un rôle majeur dans la crise financière. En effet, l’incapacité d’AIG à honorer ses obligations envers les détenteurs de CDS a largement conduit à sa chute. La coopération réglementaire a donc concouru non seulement à l’affaiblissement des contrôles mais également à l’incapacité des autorités à gérer la crise émergente.Les autorités de l’Union européenne et des États-Unis ont aussi travaillé ensemble pour entraver des lois portant sur des sujets aussi variés que la protection des données personnelles, les déchets électroniques dangereux, les essais sur les animaux, les substances réduisant la couche d’ozone ou encore la réduction des émissions du transport aérien. Ces exemples sont tirés d’un rapport publié par Corporate Europe Observatory (Bruxelles) et l’organisation allemande LobbyControl. Le plus inquiétant est que tous ces scénarios se sont déroulés alors que la coopération réglementaire n’était nullement obligatoire ni exhaustive et ses institutions étaient loin d’être solides. Le TTIP serait une nouvelle étape puisque les mêmes lobbies des grandes entreprises utilisent les négociations pour intégrer de telles procédures dans les règles officielles d’élaboration des lois.La coopération réglementaire s’apprête à devenir la pierre angulaire du TTIP. Les propositions divulguées ou officiellement annoncées montrent que l’Union européenne mise sur la coopération réglementaire pour supprimer les « entraves au commerce ». Les négociateurs de l’Union européenne affirment régulièrement qu’elle n’ouvrira pas la porte à des normes moins strictes ou à des niveaux de protection plus faibles. Cependant, cette affirmation est largement démentie par les expériences passées. La coopération réglementaire au sein du TTIP ne fait qu’emprunter la voie des expériences passées en fournissant aux grandes entreprises les moyens de dominer l’agenda politique, voire d’empêcher toute réglementation en faveur de l’intérêt public.Lien vers le rapport: http://corporateeurope.org/fr/international-trade/2016/01/le-dangereux-duo-r-glementaire

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