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Résumé de Cai Hua, Une société sans père ni mari Les na de Chine

Publié le 22 janvier 2016 par Juval @valerieCG

Il y a quelques années, il était très à la mode de présenter les Na comme un "paradis sur terre" et un "matriarcat". Il y avait évidemment des préjugés exotisants, racistes et sexistes derrière ces visions d'Epinal. J'avais fait un bref résumé du livre de l'anthropologue Cai Hua il y a quelques années ; en voici une version plus complète.
Ce livre aide également à comprendre qu'il existe d'autres systèmes de parenté que celui que nous connaissons ; sans nul doute les Na seraient étonnés d'entendre parler de "un enfant c'est un papa, une maman".

Pour comprendre le système de parenté Na, il est nécessaire de connaître ces deux termes :
Société matrilinéaire : l’appartenance d’un individu au clan, à la lignée est déterminée par sa lignée maternelle. La paternité peut être reconnue mais elle n’est pas prise en compte dans la filiation.
Société matrilocale (uxorilocarité) : après le mariage, les époux vivent chez ou près de la famille de la mère.
L'ethnie Han, majoritaire en Chine, appelle 4 peuples du Yunnan et du Sichuan les "Mo-so" :
- Les Nasi (210 000 en 1950)
- les Na (30 000)
- Les NaRu (7000)
- Les Nahing (3000)
Cai Hua s'appuie  sur des études des années 50 pour expliquer la structure sociale des Na. Il y a trois strates sociales chez les Na qu'on peut diviser entre aristocrates, peuple et serfs. Tous ont des règles d'habillement et d'architecture différentes selon leur statut. Les règles de transmission statutaire varient également. Chez les aristocrates hommes, elles sont paternelles, chez les femmes, maternelles. Chez les serfs elle sont parallèles c'est-à-dire que si une serve vit avec un roturier, les fils seront roturiers et les filles serves.  Si un serf vit avec une roturière, les fils seront serfs et les filles roturières. Si un roturier est avec une femme aristocrate, il y aura une transmission paternelle du statut . Pour un roturier en visite (on verra ensuite ce que signifie ce terme), il y aura apparemment une transmission maternelle du statut mais cela peut parfois être une transmission parallèle.

Les Na ont deux religions ; le daba (le prêtre est forcément un homme) et le bouddhisme tibétain.

Les mythes autour du fœtus.

Les Na savent qu'un homme et une femme doivent s'accoupler pour faire un enfant. La femme est comparée à une terre arrosée par l’homme. C’est un génie qui met les fœtus dans le ventre des femmes, cinq mois après leur naissance. Le foetus est donc vue comme une herbe qui a besoin d'eau (le sperme de l'homme) pour grandir. Selon un mythe, le génie aurait voulu les mettre dans le mollet des hommes mais cela les aurait handicapés pour aller chercher du bois dans la montagne.
L'hérédité vient toute entière de la mère.

La matrilinéarité

Les Na vivent dans un système matrilinéaire. Prenons un individu, mâle ou femelle, appelé Ego ; Ego vit dans la famille de sa mère avec sa mère, ses tantes, ses oncles, bref tous les individus issus de sa lignée maternelle. Ego n’a pas de père, pas d’oncle paternel, pas de grand père paternel.

Il y a deux chefs dans cette famille. L'homme s’occupe des affaires extérieures : il contacte les étrangers pour la terre, le bétail et l'entraide, il préside aux festins, il va aux invitations.
La femme s’occupe des affaires intérieures : la distribution annuelle des vêtements, la gestion des réserves et des dépenses, l'organisation du travail au foyer et aux champs, le service quotidien des offrandes aux ancêtres, la préparation et la distribution des repas quotidiens, la préparation des repas de fêtes, des cadeaux et des dons.  C'est elle qui sert les repas.
Il y a un chef qui prend le pas sur l'autre, celui ou celle qui est le plus expérimenté. Dans la majorité des cas c'est un homme.

L’interdit de l’inceste
L’interdit de l’inceste existe chez les Na mais il s’exprime différemment. On ne parle jamais de sexe dans la famille matrilinéaire entre membres du même sexe. On ne s’insulte pas parce qu’une insulte pourrait être à caractère sexuel. Si un homme veut faire une remarque à une fille sur quelque chose de sentimental, il le confie à un étranger qui le communiquera à la fille.
La mère est la seule qui peut parler de sexe à ses fils, mais de façon très discrète.
Un garçon et une fille de cette famille ne peuvent être ensemble la nuit, ni se baigner ensemble, ni danser cote à cote, ni se mettre à côté au cinéma ou regarder ensemble la télé (au cas où il y aurait un programme évoquant le sexe).
Les frères et sœurs vivent donc ensemble et ont donc une relation ressemblant à une relation entre mari et femme mais sans sexe et sans possibilité de divorce.

S'il n'y a pas assez d'hommes ou de femmes dans une lignée, on peut adopter soit une personne, soit une lignée entière.

On considère que la puberté est à 13 ans et sanctionnée par une cérémonie ; avant cet âge, garçons et filles portent des robes.

Le système des visites
La relation qui se noue entre un homme et une femme s’appelle açia. Hommes et femmes affirment leur désir de nouer une açia, de façon égale.

La visite furtive "nana sésé"
Si chacun s’est mis d’ accord pour nouer une açia, l’homme va alors aller chez la femme pendant la nuit. Une femme n’a pas le droit d’aller chez un homme et serait mal considérée si elle le faisait (trop "ardente", comparable à "une truie"). Il n’est pas rare de voir plusieurs garçons demander à la fille s’ils peuvent venir ; c’est le plus convaincant qui rentrera. Parfois un garçon s’introduit dans la chambre de la femme par surprise ; la fille doit lui dire de façon claire si elle accepte cette relation ou pas. On ne sait pas à quel point la fille peut refuser une relation ; si elle le fait de façon trop bruyante, les membres masculins de sa famille pourraient l’entendre et il y aurait inceste.
La jalousie n’existe pas dans l’açia et ceux qui auraient une relation exclusive seraient mal vus.
Il y a des cadeaux, de l’argent donné entre partenaires mais cela n’est pas assimilé à de la prostitution.

S’il naît un enfant de cette relation, il reste donc chez la famille de sa mère. On peut savoir qui est son géniteur (si la femme n’avait qu’une açia), mais celui ci ne représente rien et est un étranger. L’açia est une relation privée, entre partenaires, qui s’arrêtera quand l’un des eux le veut. Ils sont açia le temps que dure la relation, plus ensuite et peuvent le redevenir.
Il est interdit d’avoir des açia avant 13 ans et mal vu après 50 ans. L'açia commence en général vers 15 ans pour les filles et 17 pour les garçons.

L'homme comme la femme peuvent prendre l'initiative de proposer une açia. Pour montrer qu'on souhaite en nouer une, on peut emprunter quelque chose ; par exemple une fille va saisir  le paquet de cigarette d'un garçon. S'il lui demande de lui rendre immédiatement, c'est qu'il ne souhaite pas nouer une açia. S'il lui demande de lui rendre plus tard, c'est qu'il est d'accord et qu'il viendra la visiter la nuit prochaine.

On peut avoir plusieurs açia en une nuit. Les anciens ne peuvent pas imposer une açia aux jeunes. L'açia n'existe que dans l'instantanéité. Il vaut mieux qu'elle ne dure pas trop longtemps sinon les partenaires peuvent subir des moqueries.

La visite ostensible "gepié sésé"

On commence toujours par la visite furtive mais si on l’entend bien, on peut envisager une açia durable. La visite ostensible se fait toujours de nuit mais l'homme peut être vu par les membres de la famille de celle qu'il visite.

Il y aura alors un devoir : le privilège des relations sexuelles. Cela ne veut pas dire que l’açia n’existe plus ; simplement si un homme arrive chez une femme avec qui il est en visite ostensible et que celle ci est avec un autre homme, celui ci doit s’en aller. Chacun peut rompre quand il le veut.

La cohabitation "ti dzï jï mao the"

La cohabitation devient nécessaire lorsqu'il manque des femmes ou des hommes dans une lignée.
C’est celui ou celle qui manque de membres dans sa famille qui va aller chercher quelqu’un. Celui qui part cohabiter doit être sûr-e que sa lignée l'accepte. Il y a donc uxorilocalité s'il manque des hommes dans une famille (l'homme va habiter dans une famille où il y a "trop" de femmes). Il y a virilocalité s'il manque des femmes. Il peut y avoir néolocalité en cas de conflit. La cohabitation commence toujours par une açia.

Le mariage "jï the ti dzï"
Le conjoint ou conjointe doit être non consanguin (ne pas appartenir à la lignée matrilinéaire).
Le chef de la lignée preneuse va demander au chef de la lignée donneuse. Le mariage est comme un don et celui ou celle qui va habiter chez l’autre prend son nom.
Le mariage est généralement virilocal (la femme va habiter chez la famille de l'homme). Il y a très peu de mariages. Le mari est appelé "oncle maternel" par les éventuels enfants de la femme. Mari et femme n'ont pas de lit conjugal et ne dorment pas ensemble. Ils ne peuvent pas être pris en photo ensemble car cela soulignerait qu'ils ont des relations sexuelles.
Si la femme part la famille du mari peut demander le remboursement de la dot. L'inverse n''existe pas, on estime que le travail fourni par l'homme suffit à rembourser.
Celui ou celle qui part dans la famille de son mari ou de sa femme adopte son nom.

Le chef doit se marier et pratiquer la polygynie afin de transférer au maximum ses pouvoirs.

D’autres mythes
Voici comment s'explique le système des visites. Durant une nuit, hommes et femmes devaient effectuer un long parcours et traverser 12 portes ; derrière la 12eme se trouvait l'être aimé. Au lever du soleil, la femme était arrivée à la 8eme porte, et l'homme à la 3eme, seulement. Les dieux en ont déduit que la femme avait trop d'énergie et qu'il serait plus raisonnable que ce soient les hommes qui visitent les femmes et non l'inverse.

Le mode de vie des Na a été durement réprimée par l’ethnie Han.
Après 1950, les Han ont jugé que les Na souffraient de trop de MST et de problèmes de consanguinité. Ils ont donc fait une première réforme en 1958 où ils préconisaient la monogamie. En 1960 et 1971, ils ont tenté d'imposer la monogamie. En 1974, ils ont imposé en plus des contraintes administratives. Les Na pratiquent donc leurs coutumes de façon plus discrète.

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