Note : 4,5/5
Cette année de cinéma semble de bonne augure lorsqu’elle débute avec la sortie d’un film tel que Carol. Il est en effet difficile de ne pas être séduit par la romance hivernale que signe Todd Haynes pour son septième long métrage.
Le récit se déroule dans les années 1950 et a comme protagonistes Thérèse et Carol. Thérèse est une jeune vendeuse au rayon jouets des grands magasins. Son visage lisse mais singulier détonne parmi les étalages de poupées bouclées et endimanchées. Carol est une femme de plus grande expérience et inspire l’admiration au premier regard. Femme, mère et épouse, elle appartient à la bourgeoisie américaine. Thérèse est séduite et intriguée par l’assurance et l’élégance de Carol quand celle-ci apprécie Thérèse pour son originalité enfantine ; elle n’a pas encore pleinement conscience de son corps et sa féminité. Un lien sensible se crée rapidement, entre amitié et séduction.
Copyright Number 9 Films Ltd. / Wilson Webb
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Todd Haynes porte ici le roman éponyme de Patricia Highsmith à l’écran. Le texte inspiré de la vie de l’auteur avait fait grand bruit lors de sa publication en 1952, à la fois scandale et succès commercial. Dans le choix du sujet, le réalisateur affirme à nouveau son attachement à la cause homosexuelle. C’est la deuxième fois qu’un de ses films traite de la découverte de l’homosexualité. En 2003 Loin du paradis se déroulait également dans les milieux bourgeois de l’Amérique des fifties. En plus de la découverte de son corps et ses désirs, Carol est aussi un récit initiatique féministe davantage que lesbien. Par sa situation personnelle et ses expériences de la vie, Carol apprend à Thérèse le prix que les femmes payent à la société pour leur liberté et leur indépendance. Elle l’inspire à forger sa personnalité et poursuivre ses intentions personnelles et professionnelles dans une société qui ne pousse pas les femmes à se développer en dehors de leur foyer. Derrière cette romance, la critique de la société est très forte et transperce le récit en plusieurs points : la chef de Thérèse au magasin, son petit ami protecteur la poussant au mariage, les conditions de divorce de Carol et son mari, le regard des gens ordinaires sur ce couple féminin… Même être une femme et conduire une voiture devient un acte militant.
Mais le film Carol ne brille pas seulement par son récit et son adaptation. Après la projection nous gardons de ce film son admirable beauté plastique. Tout dans la direction artistique de Carol est magnifique. Le travail de l’image bien sûr est sublime. Ed Lachman, le directeur de la photographie de Todd Haynes depuis Loin du paradis, joue des reflets et des effets de matière afin de créer un univers original et sensible inspiré du cinéma, de la photographie et de la mode de l’époque. En plus de retrouver une identité visuelle nous plaçant aisément dans l’univers de 1950, la sensibilité et la féminité des images nous font glisser rapidement dans l’intimité des protagonistes. En plus des choix de cadrage et d’éclairage, le choix de la pellicule super 16mm est un véritable atout de la photographie. Sans relancer le débat dépassé du numérique contre la pellicule 35, le résultat de cette décision produit un véritable effet de grain qui transcende à la fois l’époque et le propos du film.
La décoration et les costumes jouent également un rôle majeur dans le succès de l’image. Chaque femme, sans distinction dans l’importance des rôles, est caractérisée par sa tenue qui nous renseigne sur son rang social, sa fonction et sa personnalité. On remarque d’ailleurs que l’évolution des tenues (incluant le maquillage et la coiffure) de Thérèse accompagne son développement personnel. La décoration sert également à la caractérisation des personnages (nous avons connaissance de l’intérieur du logement de Thérèse et de celui de Carol) et reconstitue superbement les modes et coutumes des années d’après-guerre. On apprécie notamment le travail sur les voitures qui détermine particulièrement toute une partie road movie du film.
Bien trop souvent oubliée (à tort) des critiques de film, la musique joue ici aussi un rôle primordial dans la mise en scène. Elle ajoute sa pierre à l’édifice de la perception des personnages et sublime de nombreuses séquences du film par la mélancolie de ses bois. Une œuvre originale tout à fait délicieuse que l’on doit au compositeur Carter Burwell.
Si j’ai choisi de souligner la parfaite réalisation de ces pôles artistiques, la recherche de cette esthétisation n’est pourtant pas grossie comme nous pourrions nous y attendre dans une réalisation moins élégante. Le succès de Carol est son dosage et l’excellente maîtrise de sa mise en scène technique et artistique.
Copyright Number 9 Films Ltd. / Wilson Webb
Pour son grand retour au cinéma après sept ans d’absence, Todd Haynes signe ici un film digne d’un chef d’œuvre. Un bijou rare aux multiples facettes, produit par un savoir-faire délicat et précieux.
Marianne Knecht
Film en salles depuis le 13 janvier 2016