Interview de Sylvie Girardet, Directrice du Musée en Herbe
Depuis combien de temps existe le musée en herbe ?
Sylvie Girardet : Depuis quarante ans.
Comment avez-vous fait pour tenir cela dans la difficulté de l’art ?
S. G. : Il faut avoir une équipe et y croire. Ne pas lâcher et faire des rencontres.
Comment choisissez-vous les expositions ? Comment ça se passe pour les thèmes ? C’est une tranche d’âge assez précise…
S. G. : Pas vraiment. C’est une tranche d’âge précise mais qui reste large. Nous ne voulons pas que ça soit un ghetto pour enfants mais nous souhaitons que ça soit un lieu d’échanges, de brassages, de rencontres des générations, des époques et des artistes. On ne veut surtout pas de clivages.
Avant de parler de la fresque de Keith Haring, j’aimerais que vous m’expliquiez votre apport au musée de la Poste avec les boîtes aux lettres. Comment ça s’est passé ?
S. G. : Nous avons présenté en 2011 une exposition sur Keith Haring avec la participation des galeries Jérôme de Noirmont, Strouk, de la fondation Keith Haring et de nombreuses galeries parisiennes. Nous avion réuni une soixantaine d’œuvres de Keith Haring. Parallèlement à cette exposition, dans notre espace de galerie, nous avons exposé des street-artistes actuels comme Rero, Zevs, Speedy Graphito et d’autres. Comme le Musée en herbe est déficitaire, nous faisons chaque année un événement caritatif pour l’association tout en souhaitant faire partager les revenus avec d’autres. Nous avons donc demandé à la Poste, qui est notre partenaire, de nous donner des boîtes aux lettres. Nous les avons ensuite distribuées à quarante artistes de street-art. Nous les avons exposées pendant une quinzaine de jours au musée de la Poste avant de les faire vendre par Artcurial dans l’auditorium de la Poste. La moitié des revenus ont été pour le Musée en herbe et l’autre moitié pour la rénovation de la fresque de Keith Haring.
Comment ça se passe pour le choix des artistes ? Est-ce vous qui avez géré ?
S. G. : Oui et nous avons eu un accueil très généreux comme la plupart du temps avec les street-artistes.
Quelles ont été les difficultés ?
S. G. : Jérôme de Noirmont nous a informés que la seule œuvre de Keith Haring sur Paris était menacée d’être détruite. Il y a des travaux à l’hôpital Necker et c’est assez compliqué, car il s’agit de l’escalier de secours d’un bâtiment qui doit être démoli. Première difficulté : comment pouvait-on uniquement garder cette partie-là sans l’endommager ? Il y a eu beaucoup d’études d’architectes, ça coûte cher et la fondation Keith Haring a envoyé ses experts à l’Hopital Necker pour la restauration.
C’était de l’usure ?
S. G. : La tour était dégradée normalement par le temps. La peinture tenait bien mais la plus grande difficulté de la restauration est due au béton qui se dégradait.
Comment fait-on pour remettre ça en œuvre ? La difficulté, c’est quand même de repasser sur les tracés de Keith Haring.
S. G. : L’hôpital Necker gère ça avec des restaurateurs spécialisés. Ça fait partie de leurs travaux puisqu’ils vont la déplacer. Aux dernières nouvelles, ils vont créer comme un jardin et la fresque sera au centre comme un totem. C’est très technique et théoriquement, c’est prévu dans moins d’un an. C’est génial parce que la galerie Jérôme de Noirmont a fait après une autre opération en demandant à différents artistes de faire des œuvres qui ont été vendues cette fois-ci chez Sotheby’s.
Comment pourrais-je vous qualifier ?
S. G. : J’ai de nombreuses casquettes ! Déjà, je suis une des fondatrices du Musée en herbe. C’était il y a quarante ans et nous étions étudiantes en histoire de l’art archéologie. Dès qu’on avait les clefs pour découvrir l’art dans les musées, on s’apercevait que c’était un trésor. Très peu de gens l’avaient. Nous étions en préparation du concours de conservateur et nous nous sommes demandé s’il ne fallait pas manger le fruit de l’intérieur pour essayer de changer ?Finalement nous avons choisi l’extérieur en créant à trois cette association pour s’adresser principalement aux enfants. C’est une sensibilité et c’est important de leur donner envie, de leur montrer que ce n’est pas intimidant et que tout le monde peut y accéder selon son niveau de culture. Nous avons alors trouvé très vite le Jardin d’Acclimatation qui avait l’avantage d’être attractif tout en ayant la culture dans un jardin. Seulement, ce n’était que pour les enfants. La ville de Paris nous a aussi confié pendant sept ans la création de la halle Saint-Pierre où nous avons pu tester les circuits interactifs adultes-enfants. Puis, nous sommes venus ici il y a six ans.
Comment avez-vous trouvé ici ? Le hasard ?
S. G. : Nous avons eu de la chance, de l’énergie et de l’aide. Il y avait au Jardin d’acclimatation la fondation Louis Vuitton et on s’est retrouvé en position très inconfortable, dehors. Nous avons trouvé ce lieu actuel, très bien situé au coeur du 1er arrondissement . Malheureusement c’est un loyer privé, très cher et nous cherchons à déménager en espérant rester dans le même quartier avec le soutien de la Mairie de Paris.
Vous avez beaucoup d’ouvrages. Comment se passe une sélection de livres chez vous ?
S. G. : La libraire du Musée en Herbe est une librairie indépendante . Il y a une base et ça bouge pas mal en fonction des expositions. Je suis personnellement auteur d’une collection de livres d’art pour enfants « Salut l’Artiste » éditée par la Réunion des Musées Nationaux.
Combien faites-vous d’expositions par an ?
S. G. : L’idéal, ça serait d’en faire deux mais financièrement c’est difficile. Généralement nous présentons une grande exposition et huit à dix expositions événements dans l’espace contemporain. Nous n’avons pas de collection et, pour l’exposition principale empruntons des œuvres aux musées, aux galeries et aux collectionneurs. Pour l’exposition actuelle sur Tintin, nous collaborons avec le Musée Hergé de Louvain la Neuve en Belgique, le Musée du Quai Branly, le Musée du Louvre et des galeries parisiennes.
Qu’avez-vous pensé de la vente aux enchères de toutes les bandes dessinées avec Artcurial ?
S. G. : Je ne sais pas. Ce sont les mystères du marché de l’art. J’ai assisté à celle où une planche de Tintin est montée à deux millions et demi en trente secondes. C’est étonnant.
Maintenant, la tour Keith Haring. Comment l’idée est-elle venue ?
S. G. : Nous avons fait une exposition Keith Haring en 2011 au Musée en herbe. Nous avons alors pu contacter Jérôme de Noirmont qui a été le porteur avec nous de cette exposition et qui nous a parlé du problème de la tour Keith Haring et de sa menace de destruction.
Il a une sacré cote. C’est incroyable de penser que ça a pu être détruit !
Cette tour dans l’hôpital n’était pas très connue mis à part quelques personnes de la ville de Paris qui étaient chargées du patrimoine. Jérôme de Noirmont et la fondation Keith Haring ont alors fait une première alerte. C’est à ce moment-là que je suis allé voir le président de la Poste. Nous voulions les aider tout en aidant le Musée en herbe. J’ai eu alors l’idée d’utiliser les boîtes aux lettres, car c’est un support génial sur lequel les artistes n’ont normalement pas le droit de taguer. Je suis donc allé voir Jean-Paul Bailly, le président, qui a tout de suite accepté l’idée. Il restait néanmoins vigilant, car il ne voulait pas encourager la pratique du tag. On a alors cherché des vielles boites aux lettres qui avaient vécu et qui faisaient partie du patrimoine. Nous les avons confiées aux artistes dont un jeune graphiste de chez nous Alexandre Thomas , dont le nom de rue est Choka. Il a participé à la décoration des boîtes aux lettres comme à la création du catalogue des expositions. C’est un exemple de la mission de transmission du Musée en Herbe.
Interview : Cédric Naïmi
Crédit photos : Musée en Herbe
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