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[Critique] Chocolat

Par Régis Marton @LeBlurayphile
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Un film de : Roschdy Zem

Avec : Omar Sy, James Thierrée, Clotilde Hesme, Olivier Gourmet, Frédéric Pierrot...

À la fin du 19ème siècle, un ancien esclave travaille dans un petit cirque quand il est remarqué par un clown en mal de reconnaissance. Ensemble, ils vont former un duo qui ravira le public parisien et devenir très populaire. Mais, après des années à jouer le souffre-douleur, celui qui est considéré comme le " premier artiste noir " va désirer être autonome.
[Critique] Chocolat

Un biopic sur le schéma classique du " rise and fall " mais pas seulement

Sur l'initiative des producteurs Éric et Nicolas Altmayer, Roschdy Zem a fait de son quatrième film le biopic d'un personnage injustement oublié du grand public : Chocolat, un clown originaire d'Afrique devenu célèbre à l'aube du vingtième siècle pour sa couleur de peau. Sans doute est-ce pour retrouver un premier rôle qu' Omar Sy, qui fut longtemps cantonné aux rôles secondaires avant le succès d'Intouchables et d'aller en trouver d'autres à Hollywood, a accepté d'interpréter ce clown. Lui qui, comme son personnage, est bien malgré lui victime des stéréotypes qu'il porte en lui mais réussit à en rire, paraissait en cela un choix évident. À ses côtés, un acteur moins connu mais non moins talentueux, James Thiérrée (vu notamment dans le de Tony Gatlif ou Mes séances de lutte de Jacques Doillon) est également un choix évident pour incarner un clown puisqu'il est lui-même issu du milieu du cirque avant de devenir acteur au cinéma. Autant dire qu'en ce qui le concerne la boucle est bouclée, surtout quand on sait qu'il est également le petit-fils de Charlie Chaplin. Une parenté sur laquelle l'acteur n'aime pas jouer mais dont la ressemblance physique est trop frappante pour être ignorée. Le reste du casting est également composé d'excellents choix puisque, hormis Olivier Gourmet toujours égal à lui-même, Noémie Lvovsky est parfaite en raciste malveillante et avoir donné aux frères Podalydès le rôle des frères Lumières est une idée astucieuse.

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Mais pour en revenir au film lui-même et aux questions qu'il pose, à savoir la place des noirs dans l'industrie du spectacle et celle de la notion d'artiste, on peut regretter qu'elles ne trouvent pas de réponses dans le traitement qui est fait de cette histoire vraie. Déjà traitée à leur façon dans le film Venus Noir d'Abdellatif Kechiche (qui, comme beaucoup de ses films, souffrait sa narration redondante) et dans le documentaire Les statues meurent aussi d'Alain Resnais, la problématique du regard qu'ont les français sur les artistes de couleur n'est, dans Chocolat, perçu que depuis sa popularité au sein du cirque. La problématique de l'intégration houleuse de cet ancien esclave dans une société marqué par son sentiment de supériorité impérialiste, est bien trop faible car, en dehors d'une séance de violence policière, la façon dont Chocolat était vu lorsqu'il quittait ses habits de clown est un contre-champ sous-exploité par le scénario. Notons tout de même une scène très émouvante où il se retrouve face à un autre africain exposé comme un animal dans une foire coloniale. Plutôt que d'appuyer sur l'addiction du clown pour le jeu ou son gout pour la sape, deux éléments qui ne servent en rien le propos, ses interactions avec les parisiens qui ne verraient pas en lui la vedette du cirque mais l'africain qui n'a pas sa place parmi eux auraient pu être davantage développées afin de faire de l'ambivalence de son statut de star/paria. En cela, sa relation amoureuse avec Marie - Clotilde Hesme, elle aussi irréprochable - arrive peut-être un peu tard et aurait elle-aussi méritée d'être plus approfondie dans les conséquences sur sa vie à elle. La vraie Marie n'était pas, comme dans le film, veuve mais mariée, une sous-intrigue qui aurait pu être intéressante.

[Critique] Chocolat
Clown noir, un métier dégradant dans un pays rétrograde ou l'unique voie vers la reconnaissance?

Le réveil de Chocolat à une certaine conscience sociale passe par ce qui peut sembler être une facilité scénaristique, que sont les discours didactiques d'un mentor engagé. C'est aussi de là que naît cette volonté de changer de statut, de émanciper au-delà de son rang d'amusant souffre-douleur, de vouloir être non plus une attraction mais un artiste à part entière. La limite entre ces deux notions est quelque chose de difficile à déterminer, et on pardonnera à Roschdy Zem ne n'avoir pas su y répondre, tant une tentative aurait abouti à un long-métrage bien trop moralisateur. Il est toutefois intéressant de mettre en perspective la façon dont Chocolat ne réussit pas à se faire accepter en tant qu'acteur avec la difficulté que rencontrent encore, un siècle plus tard, les comédiens estampillés " comiques " à être crédibles dans des rôles plus graves. Marque que le cloisonnement des esprits si propre au cinéma français dépasse la question raciale telle que le démontre le film mais est un problème culturel plus profond.

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Le traitement du personnage de Footit qu'interprète James Thiérrée est assez équivoque puisqu'il apparaît dès le début comme quelqu'un en quête de reconnaissance du public et il est tout du long difficile de savoir la perception qu'il a de Chocolat, s'il le considère comme un outil à sa gloire personnelle ou un véritable ami. La façon dont la mise en scène appuie cette ambivalence en prenant soin de le filmer en contre-plongée lorsqu'il a l'ascendant sur Chocolat fait naître un sentiment de malaise à son égard (un effet qui rappelle Foxcatcher). Toutefois, la conclusion aussi tire-larme que dispensable dissipe le doute sur cette sincérité dans un excès de bon-sentiments mal venu. De son côté, la reconstitution du Paris des années folles jouit d'une photographie et d'une direction artistique soignées qui sont un des arguments les plus attrayants du long-métrage, au même que le célèbre sourire communicatif d'Omar Sy.

Qu'il nous conte une histoire d'amour impossible entre une juive et un musulman, nous démontre l'innocence d'un jardinier arabe et un peu naïf ou nous attendrisse avec le récit d'un bodybuilder au grand cœur, Roschdy Zem a toujours eu tendance à jouer avec les clichés qu'il veut dénoncer sans prendre la peine de les déconstruire. Ce parti-pris a pour conséquence de faire de Chocolat une histoire attendrissante, qu'il était légitime de réhabiliter, et profitant d'excellentes scène de cirque, mais aucunement de la charge politico-culturelle dont elle avait le potentiel.

Nos attentes pour une édition collector

Évidemment, les bonus devront comportés les vidéos d'époque que les frères Lumière ont tournés du duo Footit/Chocolat. Comme toujours dans le cas d'une histoire vraie, un documentaire serait le bienvenu, et puisque plusieurs livres ont déjà été dédiés à Chocolat, en fournir un avec le Blu-ray ne serait pas de refus.

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