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Avec la Chine, le "rêve américain" a encore de beaux jours devant lui

Publié le 12 juin 2008 par Roman Bernard
Les quelques jours de battement dus à mon déménagement post-retour de Shanghai m'ont permis de prendre quelque recul sur ce que j'ai vu en Chine, et si je ne devais conserver qu'un seul enseignement de mon voyage, c'est la persistance du "rêve américain", avec ces Chinois proprement fascinés par l'American way of life.
Je n'ignore pas que Shanghai n'est pas la Chine, et que c'est même, depuis le XIXe siècle, la moins chinoise des villes de Chine, de la même manière que Berlin, New York, voire Londres, se démarquent de leurs pays respectifs. Mais en tant que plus grande et plus riche ville de Chine, Shanghai n'en est pas moins le laboratoire des mutations de la société chinoise, parmi lesquelles l'introduction du consumérisme et de l'individualisme dans une civilisation qui y était jusqu'à présent étrangère.
Je ne méconnais pas non plus la volonté du gouvernement chinois, et de tout un pays avec lui, de concurrencer l'Occident dans une compétition économique acharnée quoique relativement pacifique. Les dirigeants chinois ne voient le fait d'être l'"atelier du monde" que comme une étape vers la puissance, et cette puissance passera nécessairement par une contestation de la suprématie occidentale. Mais, comme le Japon de l'"ère Meiji" jusqu'aux années 1980, c'est en copiant les "recettes occidentales" dont elles estiment qu'elles sont les meilleures que les élites chinoises espèrent concurrencer l'Occident. N'ayant jusqu'ici énoncé que des généralités, il me faut dire, dans une mégapole comme Shanghai, comment sont conditionnées les populations chinoises pour adopter et intégrer le modèle américain.
La publicité joue évidemment un grand rôle dans ce processus. Les annonces en anglais et pour l'anglais prolifèrent sur les murs, les panneaux publicitaires, les appuie-têtes des taxis, les spots à la télévision. Y sont promus l'apprentissage de l'anglais avec des pubs pour des instituts de formation privés - phénomène que nous connaissons en Europe -, un apprentissage qui commence dès la lecture des autres annonces, qui sont souvent doublées en anglais alors que l'immense majorité des Chinois et des Shanghaiens ne parle que le chinois, ce qui est heureux.
Dans ces publicités, l'image est le plus sûr vecteur de l'américanisation voulue des Chinois. Les pubs pour les vêtements, les parfums, les montres, quand elles ne mettent pas en scène des stars occidentales, donnent la vedette à des Chinois, souvent de Hong-Kong ou Taiwan, dont la coiffure, le style vestimentaire, l'allure, sont explicitement calqués sur le modèle occidental, et notamment nord-américain.
Comme au Japon voisin, la blancheur de la peau et la rotondité des yeux constituent des éléments de distinction. Les publicités pour les produits de beauté présentent des affiches de mannequins chinois, qui, à part la raideur des cheveux typiquement asiatique, ressemblent trait pour trait à leurs homologues occidentales. Même quand il n'y a pas publicité mais simplement décoration, un même appel à imiter l'Occident est lancé, comme dans les clubs de fitness, qui drainent une clientèle aisée croissante, où les murs sont tapissés de photos d'Occidentaux body-buildés.
Ces phénomènes, qui sautent aux yeux de tout voyageur à Shanghai, sont le résultat de décisions politiques et économiques, dont les conséquences sont sociales et culturelles. Cette occidentalisation de la Chine est porteuse d'effets, et donc nécessairement de méfaits.
Mon propos rejoint ici mes premières observations sur ce que j'estimais être les "méfaits de l'occidentalisation du monde". Même si cette imitation de l'Occident décidée par Pékin et consentie par la Chine est de mise à flatter l'orgueil de l'Occidental, je ne suis pas sûr qu'elle soit rassurante pour autant. Ma peur du "choc des civilisations" - dont l'évitement implique d'abord d'en accepter l'idée - me fait penser que l'inévitable crise d'identité, pour ne pas dire la névrose, qui risque de s'emparer de la Chine une fois qu'elle aura accédé à la puissance en imitant l'Occident, pourrait tout à fait provoquer une vague d'"occidentalophobie" en Chine, notamment à Shanghai où les expatriés occidentaux occupent des emplois bien rémunérés et à haute responsabilité, et, en ce qui concerne les hommes, entretiennent des relations avec les plus jolies Shanghaiennes, dont la beauté, soit dit en passant, n'a rien à envier à celle des Européennes et des Nord-Américaines. Les possibles frustration et ressentiment des Chinois, potentialisés par la compétition économique et éventuellement, à l'avenir, attisés par des leaders d'opinion nationalistes, pourraient tout à fait être à l'origine de "pogroms" anti-occidentaux, comme ce fut déjà le cas du temps des concessions occidentales de Shanghai, comme c'est aujourd'hui le cas au Nigeria, où les employés des compagnies pétrolières occidentales sont obligés de vivre reclus pour éviter les enlèvements et assassinats.
Il semble que dans le débat public français où, qu'on veuille l'embrasser à droite, ou qu'on veuille en limiter les effets négatifs à gauche, on ne parle que d'"adapter" la France à la mondialisation, il serait utile de garder ces dangers à l'esprit.
Roman Bernard

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