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Le miraculé du séisme d'Agadir 1960.

Publié le 08 février 2016 par Feujmaroc

Ce mois Février 2016, en l'honneur du 56ème anniversaire d'un terrible souvenir, je voudrais vous raconter l'histoire d'une famille, parmi tant d'autres dans ce cas-là, et le destin tragique de sa rencontre avec cette catastrophe, que fut, le séisme d'Agadir de 1960.

Il faisait terriblement chaud pour un mois de Février 1960, il s'agit comme tous les quatre ans, d'une année bissextile, donc un mois de Février avec un jour de plus, ce fameux Lundi 29 Février 1960, jour où trembla la terre d'Agadir au Maroc.

On se rappellera qu'Agadir fut déjà touchée par un séisme dévastateur, mais cela était l'histoire d'un autre siècle. Agadir se nommait à cette époque " Santa Cruz do Cabo de Aguer " et cela s'était passée en 1731. Mais cela n'était pas connu de tous.

Dimanche 28 Février, la famille S., jeune couple, le père Joseph S., âgé de 28 ans, comptable à la SATAS, sa femme Rachel B. se promène en bord de mer, afin de se rafraichir, avec leurs 2 enfants, une petite fille de 4 ans, Josiane S. et le nouveau-né de 3 mois, Jacques S. Une promenade dominicale comme toute famille vivant dans une ville balnéaire. Nous sommes en plein Ramadan, malgré le jeun difficile avec cette chaleur, quelques personnes sont venues là pour profiter d'un petit air frais marin. Joseph S et sa famille décident de pousser plus loin et de faire la visite à son frère ainé et sa famille, Mardochée S.

Le miraculé du séisme d'Agadir 1960.

Au fond le cabinet d'assurance de Mardochée S.

Mardochée S. est originaire de la ville de Taroudant, installé depuis de nombreuses années à Agadir, il travaille dans le domaine des assurances, il est l'aîné de la famille, qu'il a ramenée de sa ville d'origine, pour les avoir auprès de lui. Marié à Esther O., originaire d'Essaouira, mais vivant depuis toujours à Agadir. Esther, femme très active, jeune scout, passionnée de basket, qu'elle joue fréquemment. Agée de 23 ans, elle a sa petite Auto-école, où elle enseigne elle-même aux jeunes femmes musulmanes, désireuses d'obtenir leur permis de conduire, donnant ainsi le confort à plusieurs femmes d'avoir une instructrice de même sexe. Ils sont parents de la petite Annie S. âgé de 3 ans. Esther O. est à peine enceinte de quelques jours, elle ne le sait pas encore à ce moment-là.

Le miraculé du séisme d'Agadir 1960.

Annie S; la fille de Mardochée et Esther avec son cousin, le petit Jacques S.

Les retrouvailles sont toujours agréables, car les petites filles s'amusent bien ensembles, bref, une belle ambiance familiale, sur fond d'inquiétude quand même, car le sujet est le même, les premières secousses du 23 Février 1960. Mardochée et Esther habitent au sein du plateau administratif, dans une petite villa où ils se sont récemment installés, il y a à peine 1 ou 2 mois, après avoir quitté le quartier de Talbordjt. C'est une villa coquette, avec un étage et plusieurs chambres qui leur permettent de pouvoir prendre leur aise et prévoir une plus grande famille. Une autre semaine débute ce Lundi 29 Février, Joseph, Rachel et les enfants quittent la famille. Tout le monde s'embrasse et se quitte. Pour certains, ce sera la dernière fois qu'ils se voient.

Le lendemain, tout le monde vaque à ses occupations, comme un début de semaine habituel. Vers 12h00, une nouvelle secousse un peu plus sérieuse se fait ressentir. Malgré tout, certains ne la ressentent pas. Clara O. la maman d'Esther, après avoir franchement accusé le mouvement de la terre, confirmé par quelques bibelots tombés et brisés, accourt au domicile de sa fille, s'enquérir de cette dernière. Esther, ce jour-là tapait des courriers sur la vieille machine à écrire à ruban, afin de soulager son mari, dans son cabinet d'assurances. Au moment de la secousse, la machine lui tomba sur le ventre, elle fit un petit malaise. Sa Maman, mise à part la douleur et la peur d'Esther, devina à ce moment-là, la nouvelle grossesse de sa fille, l'instinct maternel.

Rachel B, la femme de Joseph, femme au foyer, s'occupe de Josiane, sa fille et du jeune poupon Jacques S., le petit dernier de la famille. Elle met d'ailleurs de l'ordre dans tous les cadeaux reçus pour la naissance du petit, elle n'a pas eu le temps depuis. Pyjamas, gigoteuses, chaussures et la petite gourmette en or, que oncle Mardochée et Tata Esther lui ont offert, elle va d'ailleurs la lui passer au poignet, ce sera plus sûr. Voilà que la terre tremble et que l'appartement se met à bouger entièrement, de nombreux objets tombent au sol, une réelle panique prend la jeune maman à la maison toute seule avec les enfants, heureusement, elle ne dure pas longtemps. Mais juste assez pour bien ébranler la jeune maman. Il faisait toujours aussi chaud à Agadir. Un vent de chergui n'arrête pas de souffler.

Esther a beau rassurer sa maman Clara, celle-ci s'inquiète beaucoup de l'état pâlot de sa fille, elle fait quelques câlins à la petite Annie avant de retourner à son domicile, Rue du Foundouk à Talbordjt. D'ailleurs les parents de Mardochée son gendre, Ibba Hden S. et Imma Simha S., venus de Taroudant, habitent chez elle et son Mari Juda O (Ben Didi). Mais également ses nombreux enfants, les jumelles Jacqueline et Yvonne, ainsi que Clémentine,Liliane, Armand, Rachel et Joseph O. Elle se doit de retourner les rassurer, que leur belle-fille, fille et famille va bien.

La journée se poursuit, tant bien que mal, et tout le monde a à l'esprit ces dernières secousses. Nous sommes en début de Ramadan, il est l'heure du ftour, la ville se vide, pour plus tard en soirée retrouver son effervescence du temps des fêtes religieuses.

Le jeune David O, le frère de Esther, a prévu ce soir-là, accompagné de 6 de ses copains, dont Albert B., Roger B d'aller au cinéma. Il habite chez Esther et Mardochée S. qui l'ont accueilli pour plus de confort, il vient donc l'informer de son absence à la maison ce soir-là. Ils faisaient tous partie de la troupe des Scouts de la communauté Israélite, très active et très soudée. Cette séance de cinéma changera pour beaucoup leur vie ce soir-là.

Il est 23h47 ce Lundi soir 29 Février 1960. Un bruit sourd, mais d'une puissance impressionnante réveille de suite Esther et Mardochée, leur esprit marqué par les secousses fréquentes de cette semaine passée. Un bruit d'effondrement et de gravats qui fait sauter de son sommeil, Mardochée, qui en jetant un coup d'œil à travers la fenêtre de la chambre, n'aperçoit plus rien du paysage habituel, sinon un énorme nuage de poussière ou de brouillard, que savoir, qu'imaginer avec un réveil si brusque ? Immédiatement, Esther, elle aussi, fait la relation avec les évènements et secousses de la semaine et journée passées, elle se retourne aussitôt vers le petit lit de sa fille Annie S ; et prend la petite comme un sac de vieux linges sous la main pour se diriger vers la sortie de la maison, située au rez de chaussée. Quelle ne fut la surprise de ne plus retrouver d'escalier, ces derniers sous le choc avaient disparu. Il fallut avec l'effort de plusieurs acrobaties, passer ce premier obstacle les uns après les autres, récupérer la petite pour sortir de ce cauchemar, sans aucune lumière, une poussière épaise dans l'air irrespirable, qui vous prend à la gorge.

Le miraculé du séisme d'Agadir 1960.

Le jeune David O. à la batterie et ses inséparables copains.

" Mais où est mon frère David ? " cria Esther à son mari ; " Il était au cinéma, est-il rentré, est-il encore au cinéma, il nous faut absolument le retrouver !!! David, David !! ", se mirent ils à crier à tue-tête. Leurs cris se mêlaient déjà à ceux des voisins des maisons proches. Quel ne fut le soulagement, quand ils entendirent le nom d'Esther, venant de la rue. David venait de rentrer, il était sur le chemin du retour, sur le pont Tidli, lors de l'effondrement de la ville. " Esther, j'ai vu le minaret de la mosquée de Talbordjt se balancer et tombait de tout son long, le pont se balançait comme une feuille de papier sous le vent !! " Le discours de David était ininterrompu, saccadé, il lui manquait du souffle, suite à sa retour à la course, du cinéma. Son visage traduisait les horreurs et les scènes d'apocalypse aperçues sur son chemin. Esther l'interrompit, le calma et implora son mari ainsi que son frère : " Nous devons absolument aller voir nos familles, sur le champ !!! Il faut que l'on soit certain qu'ils vont bien ".

La maison des parents d'Esther se trouvait donc à la rue du Foundouk, celle de Joseph S. et de Rachel B. leur donnait le dos dans une rue parallèle, toutes les deux dans le quartier Talbordjt, le plus populeux avec Yaechach. Mais le chemin était long à partir du quartier administratif, long de par la distance, mais surtout de par le nombre d'horreurs qu'il fallait croiser et rencontrer. Dans la précipitation, ils n'avaient que leurs pyjamas sur le dos et ils n'avaient même pas pu prendre une quelconque paire de chaussure. Tout le chemin se fit pieds nus pour Mardochée et Esther.

Les scènes de panique, de cris et de désespoir se font de plus en plus nombreuses. Des gens à demis nus et encore trempés d'eaux étaient sortis en courant d'un hammam, certains indemnes, d'autres ensanglantés. L'épais nuage de poussière, une nuit noire, aucun éclairage public ne fonctionnant plus, ajoutant à cela, la chaleur suffocante, tous ces facteurs n'arrangent en rien les conditions de reconnaissance et d'intervention, malgré tout, nous ne pouvons rester sans réaction. D'instinct, Mardochée S et David O, jeune scout agile et fort, se précipitent en aide aux blessés. Il fallait les sortir des décombres pour certains, d'autres étaient arrivés de leur propre moyen à s'allonger devant leur maison dévastée, en criant le nom de leur femme, enfant ou proche. L'hôpital tout proche, nous permet de faire plusieurs allers retours pour y laisser les blessés les plus transportables. Ils ne purent que les laisser sur le trottoir où se faisait la réception des urgences. Ils firent ainsi une série de 10 voyages, en transportant sur le dos une personne âgée, un enfant qui n'arrêtait pas de pleurer et demander sa Maman...... Esther S ; n'en pouvait plus, le stress grandissant et dans l'interrogation de ce qu'elle pourrait trouver à destination, elle ne faisait que crier à son frère, ainsi qu'à son mari : " Nous devons aller tout de suite voir Papa et Maman et toute la famille, ils sont peut-être en grand danger ".

La liste de la famille à aller voir était longue, mais la priorité était d'aller voir la maison des parents d'Esther, qui abritait ses beaux-parents, ses frères et sœurs, et dans la rue en arrière le frère de Mardochée, Joseph avec sa petite famille. Arrivés sur place tant bien que mal, l'immeuble est complètement détruit. Ils sont tous morts ? Ils ont peut-être échappé et réussi à se mettre à l'abri ? Quelques voisins de la famille sont là pour renseigner Esther : " Nous n'avons rien vu, le seul que nous ayons aperçu est le jeune Armand O., d'autres voisins l'ont emmené avec eux, nous n'en savons pas plus " (Armand O s'en sortira indemne). Ce fut un choc pour tous, une nouvelle que nous ne voulions pas croire ni entendre. Nous ne pouvions même pas pleurer tellement le choc était grand, nous restions là à regarder d'un air bête, sans aucune réaction. Quelques 10 minutes plus tard, une fois le choc passé, il nous fallait réagir. Mais l'immeuble était complètement affaissé et malgré tout, David O se mit immédiatement à essayer de déblayer du mieux qu'il pouvait, mais cela était un travail de titan.......

Il fallait s'enquérir de la situation dans la rue voisine, là où se trouvaient Joseph S. et Rachel B. et leurs enfants. Arrivés devant l'immeuble, la devanture est parfaite, aucune fissure, aucun effondrement. L'immeuble parait très calme. Que penser alors ? Peut-être que la famille de Joseph a donc bel et bien survécu, ils se sont tout simplement mis à l'abri, loin des zones habitées et risquées, comme le faisaient tous les rescapés qui avaient eu cette chance de survivre. Dans le bénéfice du doute, il fallait alors retourner là où les dommages étaient plus apparents et évidents.

Esther O, prit son courage à deux mains et se mit à courir dans la rue à la recherche d'une aide quel qu'elle soit, il nous fallait des mains fortes. Une chance inespérée, elle tomba, au bout de la rue, sur des camions de marins français, qui commençaient à porter secours à travers la ville dévastée. Mais ces derniers avaient pour devise, d'intervenir seulement si il y avait des vivants, il n'était pas question d'aider à chercher ou déterrer des morts, cela était dans le moment une perte de temps et d'énergie. Esther se mit en travers de leur route même au risque de se faire écraser, tellement la confusion régnait. Les marins voyant une jeune femme parler français prirent le temps de l'écouter et procédèrent au mini questionnaire : " Etes-vous sure qu'il y a encore des vivants ? ". " J'entends des voix et des appels à travers les décombres, venez m'aider ! ". Il n'y avait pas le choix, le mensonge n'était plus une faute grave, il était là, un moyen, il leur fallait cette aide !

C'est alors que le vrai travail de déblayage commença, les marins équipés de lampes torches, outil indispensable, et forts de discipline et de rigueur, commencèrent à chercher les ouvertures possibles vers des couloirs dégagés et ainsi accéder aux zones d'habitations ensevelies ; " Madame, d'où venaient les appels ? " Esther confuse, se dirigea approximativement vers ce qu'elle se rappelait ou estimait être l'appartement familial. " Par-là messieurs, faites vite, par-là ". David, Mardochée ainsi que quelques bénévoles de passage, apportèrent leur aide également et sur instruction du sergent de la marine française, criaient à tue-tête respectivement le nom de tous les membres de la famille. Pas moins de 10 personnes étaient supposément là, il fallait les trouver !

Après plus de 20 minutes d'escalade, de gros labeur de déblayage, les premières bonnes nouvelles arrivent. Deux marins crient soudainement et donnent l'appel du miracle : " Venez par là, il y a des vivants ici ! " David est le premier à accourir et lancer les premiers noms : " Rachel, Liliane, nous sommes là mes sœurs, tenez bon !! " La concentration de marins et quelques voisins aident à sortir les deux sœurs, choquées et quelque peu blessées. Les embrassades et les retrouvailles furent brèves mais avec tellement d'émotion. Il fallait expliquer à ces pauvres jeunes filles ce qu'il s'était passé, mais ce n'était ni le lieu ni le moment. Les marins insistèrent pour les faire acheminer vers la base aérienne, la BAN.

La recherche devait continuer. " Il faut retrouver mes parents, mes autres sœurs, Yvonne, Jacqueline, Clémentine, où sont mes beaux-parents ? Où est mon jeune et dernier petit frère Joseph ? c'est encore un bébé ! " criait Esther ! cela donna plus de force, courage et vigueur aux jeunes marins. Le succès de la découverte de Rachel et Liliane, laissait entrevoir l'espoir de retrouver d'autres survivants. Esther, toujours pieds nus sur les décombres, sentait une drôle de sensation lors de son passage à un endroit précis, elle sentait l'impression de marcher sur un coussin. Quel ne fut le choc de se rendre compte plus tard de la découverte macabre, il s'agissait du corps de sa petite sœur Clémentine. Ses jambes étaient coincées sous une dalle qu'il fallut lever à plus de 10 hommes forts. Les marins finirent par en déduire qu'il s'agissait d'une chambre, celle des jeunes filles, ils y dégagèrent plus tard les corps des 2 autres filles de la famille, Yvonne et Jacqueline. Les larmes coulaient à peine, tellement le choc était grand. Mardochée profondément brisé (il avait depuis le premier jour de son mariage été le beau frère, le grand frère, le conseiller, le parrain au sein de sa belle famille) s'inquiétait pour Esther qui courait parmi les décombres, la tension et le stress la faisait tenir, mais également l'espoir de retrouver d'autres survivants.

David O. connaissant parfaitement la maison, prit l'initiative d'explorer le côté de l'immeuble qui ne donnait pas sur la rue principale, mais qui avait des chambres de la maison familiale. Il fallut contourner par les jardins de l'immeuble envahis par l'immeuble voisin écroulé. Une fois arrivé sur ce côté à moitié dévasté, il aperçut immédiatement Joseph O son petit frère, son biberon à la main, il pleurait, mais était sur le bord d'un étage resté à moitié intacte, il ne fallait brusquer le petit Joseph, il risquait dans l'excitation de voir son grand frère, de tomber de plusieurs mètres de hauteur où il se trouvait. David demanda de l'aide, Esther se précipita et ensemble ils empilèrent toutes sortes d'objets pour arriver à la hauteur du petit, qui avait une main sérieusement blessée, l'autre main, ne lâchant à aucun moment son biberon. Après de nombreuses opérations réparatrices en Europe, il est aujourd'hui Chirurgien-Dentiste au Canada. Les marins finirent l'exploitation des lieux et retrouvèrent Ibba H'Den et Imma Simha, les parents de Mardochée. Ils étaient blottis dans un coin de leur chambre restée intacte. La tâche ne fut pas facile pour les descendre au milieu des décombres. D' Merci, on retrouvait de plus en plus de vivants.

Un marin lança un autre cri de victoire, " Il respire encore venez m'aider ! " De qui s'agit-il, la course reprit et tout le monde se précipitait. Il s'agissait de Juda O, le père d'Esther et David, les marins le sortirent des décombres tant bien que mal, ils l'avaient trouvé enseveli sous un mur, tombé sur lui. Inconscient, mais vivant, il respirait difficilement... Il sera plus tard dans la soirée, transporté par avion dans un hôpital vers Casablanca, avec les blessés graves. On saura plus tard qu'il avait eu le thorax écrasé, il passera plus d'une année hospitalisé, avant de se remettre debout.

Cependant, les survivants retrouvés avaient chacun des blessures qu'il fallait soigner. L'hôpital d'Agadir, situé tout proche du domicile de Mardochée et Esther ne devait plus être fonctionnel, seuls les bâtiments administratifs et les 2 extrémités de l'hôpital restaient debout. Les marins insistèrent pour acheminer les blessés vers la base aérienne de la BAN. Mais comment les y amener, il fallait y aller de ses propres moyens. La décision fut prise, pendant que les hommes continuaient de chercher le dernier membre de la famille manquant à l'appel, Clara O la maman d'Esther. La jeune maman prend alors son courage à deux mains et se dirige vers la maison pour amener la voiture restée dans le garage de la villa. Sur place le même scénario, les décombres sont nombreux pour une jeune femme frêle, seule et en état de choc. Malgré cela, Esther retrouvera finalement les clés, une petite somme d'argent, et prendra quelques vêtements pour son mari et sa fille, surtout des souliers. Elle arrivera tant bien que mal à sortir la voiture, qui sera d'une aide et d'une utilité extraordinaire.

Au lendemain du séisme à la BAN, Mardochée S. et sa fille Annie S

Il fait toujours nuit noire, si ce ne sont quelques incendies de locaux, et les phares de la voiture, pour distinguer sa route. Le chemin du retour pour retrouver les blessés ne sera pas aussi facile, de nombreux barrages et déviations ont été mis en place par les autorités (Armée Marocaine) qui commencent à se déployer. Il faut contourner tous ces obstacles, cela prendra plus d'une heure, temps inestimable, tellement précieux dans ce moment d'urgence. Il lui fallait certaines fois, dangereusement monter des monticules de pierres, stables ? Instables ? il fallait le faire. Arrivée sur les lieux, la voiture servira à éclairer de ses phares, les décombres pour les marins qui avançaient à l'aide de petites lampes torches. Vite, le premier ballet d'allers retours commence pour Esther, vers la base de la BAN.

Il fallait se rendre à l'évidence après de longues heures de recherches, il n'y avait pas trace de Clara O, tous les membres de la famille ne veulent rien savoir, on peut encore la retrouver, elle est là, quelque part.... Les marins au petit matin décident de laisser cet immeuble pour aller prêter main forte vers d'autres lieux où l'on peut encore retrouver des survivants. Comment remercier ces jeunes hommes qui n'ont pas un seul moment, accompagné des hommes de la famille, fait une seule pause ou arrêt dans leur recherche. Du fond du cœur, Merci à eux !!!!! Merci à ces bénévoles anonymes également, nombreux et tellement volontaires !!!

Le miraculé du séisme d'Agadir 1960.

Immeuble Bella Vista.

Le Miraculé !

Aux petites heures du matin, le jour se lève et la scène dévastée de la ville d'Agadir à la lumière du jour, prend de l'ampleur. Nos quelques passages à travers la ville, les personnes croisées dans la soirée de recherche et les marins de la base qui recevaient nos blessés nous donnaient une idée de l'ampleur du désastre, mais une telle désolation était inimaginable .

Mardochée et Esther, sans nouvelles de Joseph S, Rachel B et leurs enfants, décidèrent de retourner vers l'immeuble où ils habitaient. Joseph S. si sauf, comme pensé la veille, serait sûrement déjà venu demander des nouvelles de ses parents. La constatation de la veille s'avéra trompeuse. L'immeuble était bien resté intacte dans son ensemble, la façade, les côtés, tout y était, mais au matin les quelques habitants revenus sur les lieux informent qu'une seule colonne, partant du rez de chaussée jusqu'au dernier étage, s'était écroulée seule. Notre peur s'amplifia et tous les souhaits de les retrouver vivants s'estompaient au fur et à mesure de notre enquête, l'appartement de la famille S, faisait bien partie de ceux complètement écroulés.

Devant cette conclusion, Esther finit par craquer et l'adrénaline tombée, elle finit par tomber en sanglots devant cette évidence. Les larmes envahissent son visage et Mardochée lui aussi effondré n'arrive plus à la consoler. Ils s'assoient sur le trottoir d'en face et déversent leur peine et émotion. Toute la peine finit par remonter. " Nous qui pensions que toute la famille de Joseph étaient peut être saufs et s'étaient réfugiés quelque part !! " ne cessait de répéter Esther, sa tête accroupie sur ses genoux.

Des badauds devant l'immeuble se faisaient de plus en plus nombreux et une foule de curieux venaient s'enquérir de la situation. Personne n'y prêtait attention et encore moins Esther et Mardochée plongés dans leur douleur. Ce fut par un pur hasard qu'Esther leva la tête et aperçut un jeune homme marocain passer , il était vêtu d'une djellaba, jusque là rien d'anormal, il avait cependant une attitude bizarre qui attarda son observation, une petite main, oui, une main d'enfant passait par l'ouverture de sa Djellaba et l'on voyait clairement qu'il tenait quelque chose de camouflé sous ses vêtements. Cela attira la curiosité d'Esther qui comprit qu'il y avait un bébé sous la djellaba du jeune homme, elle observait plus précisément la petite main et aperçut une gourmette dont les reflets d'or brillaient au poignet du bébé. Cette gourmette, elle la connaissait bien, elle se rappelait clairement et précisément avoir offert la même gourmette au petit Jacques S, fils de Joseph et Rachel..... Elle se leva d'un bond et alla directement stopper le jeune homme.

" Que portes-tu sous ta djellaba ?? " " Je veux voir ce bébé que tu caches ! " Le jeune homme effaré et surpris, s'arrête immédiatement, Mardochée ne comprend pas, mais assiste sa femme dans la recherche. En effet, ils trouvent un bébé dont le visage et la brassière sont complètement recouverts de sable et de poussière, mais il est clair et net qu'il s'agit de Jacques S, le petit Jaky. Esther et Mardochée n'en croient pas leurs yeux.... Miracle !!! " Que fais-tu avec ce bébé ? Où l'as-tu trouvé ? Où allais-tu ainsi ? Où sont ses parents ? As-tu vu ses parents ? Il y avait une petite fille avec lui ! L'as tu vue ?" De nombreuses questions se bousculent et laissent le jeune homme pris de panique. Il finit par tendre le bébé et jure de tous les noms qu'il 'a retrouvé le bébé dans son landau, dans la rue en arrière. Voilà la seule information qu'il donna avant de se sauver en courant, laissant le couple ébahi, mais heureux de cette retrouvaille miracle.

Le couple n'en saura jamais plus sur le pourquoi et le comment de cette histoire ; l'enfant a-t-il passé la nuit dans son landau, sans que personne ne s'en rende compte, jusqu'à que ce jeune homme le trouve ? L'a-t-il arraché des décombres à côté de ses parents décédés ? Qu'en était-il de ses parents, de sa grande sœur Josiane ? Où amenait-il le petit Jacques S ? Le remettait-il aux autorités ? Le gardait-il avec lui ? Pourquoi cacher le petit sous sa djellaba ? Quelles étaient les vraies intentions de ce sauveur ? Nous n'en saurons jamais rien, mais une chose est sûre, la destinée de ce bébé retrouvé, aurait pu être tout autre qu'il ne l'est et l'a été jusqu'à aujourd'hui. Le petit jacques (Isaac aujourd'hui) aurait pu devenir un des orphelins anonymes d'Agadir, qui aurait poursuivi une autre vie, sans jamais retrouver son identité, sa religion, sa famille, il aurait figuré dans la liste d'un cas parmi tant d'autres ce jour-là. Si Esther et Mardochée S n'étaient pas assis sur ce trottoir à ce moment précis où le bébé passait dans les mains de cet inconnu, et si Esther n'avait pas relevé la tête à ce moment précis..... Voilà un des miracles heureux dans ce terrible drame d'Agadir.

Aujourd'hui, ce bébé est un homme qui est grand père plusieurs fois, un bon travailleur entrepreneur, qui est investi dans la foi et la religion. Il n'aura jamais connu ses parents, sa grande sœur, mais il porte toujours le même nom de famille, et il est toujours resté entouré de toute sa famille paternelle et maternelle et remercie le bon D' tous les jours, de ce miracle du 01 Mars 1960 au matin.

J'ai tenu à raconter cette histoire, car il s'agit de l'histoire de ma famille. Tous les faits racontés sont réels et vécus, dictés et ennoncés de la bouche même de mon père Mardochée et de ma mère Esther. Je n'ai jamais connu cette terrible catastrophe, car je suis né beaucoup plus tard, mais je suis toujours resté ébahi et collé devant mes parents Mardochée SEBAT et Esther SEBAT née Outmezguine, quand ils racontaient ces tristes histoires, je tenais à diffuser leur témoignage et le partager avec vous aujourd'hui.

Je voulais honorer également ce courage et cette force qu'eurent chacun d'eux dans ces terribles moments, Mardochée Sebat, David Outmezguine et sa sœur Esther à sauver chacun des membres de leur famille ; Liliane, Rachel, Joseph et leur père Judah Outmezguine. Mais également leur force et désespoir, à pouvoir trouver leurs 3 sœurs mortes, Yvonne, Clémentine et Jacqueline Outmezguine, et malgré tout, continuer à espérer. L'effondrement de ne trouver le corps de leur mère Clara Outmezguine, que 2 jours plus tard, coincée entre deux dalles, la seule issue étant de scier le corps en deux pour la dégager. Ils n'eurent pas la force d'en faire ainsi. Le destin fit qu'ils ne purent finalement récupérer son corps, les autorités bloquaient la ville et tiraient à balles réelles sur toute personne s'aventurant dans les décombres. Une tombe porte son nom aujourd'hui, sans son corps, ce dernier est enseveli dans une fosse commune.

Le terrible témoignage de Judah Outmezguine (z''l), de nombreuses années plus tard, qui fait ressortir ses cauchemars et racontera que pendant plus d'une heure, il entendait ses filles se plaindre de ne pouvoir respirer, et le supplier de les aider. Raconter sa frustration de ne rien pouvoir faire, lui-même gravement blessé, et finalement entendre sa fille mourir à côté de lui.

Je voudrais également écrire et figer le nom du vieil oncle de ma mère Esther, Mimoun KALFON (z''l) qui passa plus de 15 jours sous les décombres avant d'être déterré et sauvé, en compagnie de ses enfants, Jacqueline, Alice. Ils firent la Une de tous les journaux du moment. Il devra plus tard, enterrer sa femme Anna, ses filles Madeleine et Thérèse, son fils Khalifa, ainsi que le jeune Armand, ce dernier mourut en retrouvant l'air libre, dans les mains de ses sauveteurs. Mais également sa petite fille Chelly Assaraf.

Un hommage posthume à mon oncle Joseph SEBAT et sa femme Rachel SEBAT née BETTAN (Z''L), ainsi que leur fille Josiane SEBAT, qui n'eurent aucune chance et moururent dans leur sommeil. Un salut à mon cousin Jacques (Isaac SEBAT), le petit Jaky, le miraculé du séisme d'Agadir de 1960, qui nous lit aujourd'hui.

Un hommage à plus de 85 étudiants de la Yeshiva d'Agadir, décédés dans leur sommeil. ( Lien)

Un hommage à la famille Touizer complètement disparue et qui n'a laissé que leur fils Maurice.

Un hommage à la famille Benabou complètement disparue et qui n'a laissé que leur fils Albert.

Un hommage à toutes les familles que je n'ai pu nommer mais qui se reconnaitront.

Un hommage également, à plus de 10 000 victimes ce jour-là dans la ville d'Agadir.

Un hommage à mes parents Mardochée SEBAT et Esther SEBAT née OUTMEZGUINE, pour leur courage et exemple dans une situation de catastrophe. Je salue certes mes parents, mais bien evidemment, toutes les familles qui ont perdu des proches et chers et qui ont reconstruit leur vie et sont restés rebâtir leur ville et leur vie à deux pas d'un souvenir innéffaçable. Ils vivent aujourd'hui au Canada.

Un hommage également à ma ville, Agadir .

Georges SEBAT


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