Aux dernières nouvelles, cheikh Salman, membre de la famille princière du Bahreïn comme le disent, sans plus de précision, ses notices biographiques, serait le grand favori dans la course à la présidence de la Fédération internationale de footbal (FIFA). Preuve supplémentaire des nouveaux équilibres au sein du monde arabe, le possible succès de Salman se ferait aux dépens de la candidature d’un autre prince arabe, prénommé Ali et demi-frère du roi Abdallah II de Jordanie.
Même s’il multiplie les promesses de probité, en assurant par exemple qu’il donnerait son salaire de président à des organisations de bienfaisance, ce dernier a sans doute perdu la partie qui doit se jouer à la fin du mois. Le temps des pratiques douteuses n’est pas totalement révolu à la FIFA et, malgré les protestations du prince hachémite, son rival du Bahreïn, fort de sa position à la tête de la Fédération asiatique, n’en a pas moins passé un accord, sans nul doute plus coûteux que vertueux, avec les responsables du foot africain. Suite aux aides financières dédiées à l’organisation et à l’entraînement de tournois entre équipes asiatiques et africaines, il est désormais considéré comme acquis que les votes de la fédération africaine, la plus importante par le nombre au sein de la FIFA, iront au président bahreini de la puissante fédération asiatique. Pour alourdir encore un peu plus la barque, lourdement chargée, de la FIFA, on rappellera que le prince Salman, potentiel patron du foot mondial par conséquent, est sérieusement suspecté d’avoir participé, de par ses fonctions sportives, à la répression policière à l’encontre d’athlètes bahreinis, coupables de réclamer davantage de démocratie dans leur pays…
Ce qui se passe au Koweït à l’occasion de ce que la presse locale appelle « la bataille du sport » (معركة الرياضة) offre une autre illustration de l’amour très intéressé que certains « grands » portent au sport en général et au foot en particulier. Aux dernières nouvelles, cheikh Ahmad Fahad al-Sabah, membre du Comité exécutif de la FIFA et du Comité olympique international, a été lavé de l’accusation d’outrage à la justice de son pays. Il reste toutefois sous la menace d’une autre procédure, lancée par le gouvernement koweïtien qui voudrait lui faire payer le fait que l’émirat sera tenu à l’écart des prochaines olympiades en raison des pressions politiques exercées sur le Comité olympique : on se pince pour le croire ! Néanmoins, pour tous les observateurs, il est clair que la disgrâce de cheikh Ahmad Fahad al-Sabah, ancien ministre des Finances et ex-président de l’OPEP, tient surtout au fait qu’en usant de sa position au sein du Comité olympique comme d’un tremplin politique, il visait en réalité la succession de l’actuel émir, dont il n’est pourtant pas prévu qu’il décède dans un avenir immédiat. Cet article de James Dorsey explique dans le détail cette affaire assez tortueuse…
On a déjà vu (voir ces billets en juin et en novembre) comment Jibril Rajoub usait de ses responsabilités sportives à la tête de la Fédération palestinienne de football et du Comité olympique pour glaner des points sur le terrain politique. Tout récemment encore, Mahmoud Abbas, le président de l’Autorité palestinienne, a dû se fâcher très fort pour que soit respectée, à la télévision nationale, une sorte de gentleman agreement spécifiant que Rajoub n’a le droit de s’y exprimer que sur les questions qui relèvent du domaine sportif, à l’exclusion du moindre sujet politique. En l’occurrence, celui qui reste membre du Comité central du Fatah avait osé critiquer certaines décisions de la Présidence (de Palestine, pas de la FIFA !) en lançant des appels du pied, un peu trop évidents, en direction du Hamas.
En Égypte également on a pu observer une nouvelle illustration des liaisons douteuses entre la télévision, la politique, et le roi des sports, le foot. Une semaine après l’événement, la presse continue en effet à commenter l’intervention du président du pays lors d’Al-Qahira al-yom (Le Caire aujourd’hui), un des plus célèbres talk shows du pays, animé par un journaliste fort en gueule, Amr Adeeb. À la surprise de l’animateur qui pourtant en a vu d’autres, le maréchal Sissi est en effet intervenu en direct pour dire en substance qu’il comprenait le désarroi de la jeunesse. Au grand étonnement des observateurs, il a également annoncé qu’il proposait aux « ultras » du club Ahly – sur ces fanatiques du foot, voir notamment ici – de participer à une commission chargée de faire (enfin) apparaître un peu de vérité sur le carnage (c’est le nom qu’on lui donne) qui a provoqué la mort, il y a tout juste quatre ans, de 72 supporters pris dans une véritable souricière tendue par les forces de l’ordre dans le stade de Port-Saïd (voir ce billet).
En Égypte, les réactions ne se sont pas fait attendre. Murtada Mansour, député et président de l’autre grand club du pays, le Zamalek, a clamé très haut et très fort, comme à l’accoutumée, son indignation : il est vrai qu’il a obtenu il y a peu la condamnation de 15 de ces ultras (ceux de son propre club en l’occurrence), apparemment coupables d’avoir tenté de l’assassiner. Plus insidieusement, d’autres commentaires suggèrent au maréchal-président de se montrer aussi ouvert avec une autre partie de la jeunesse, celle que pourchassent sans pitié les forces de répression du pays depuis le renversement du président Morsi en juillet 2013.
Curieusement, personne n’a l’air d’oser se risquer à rappeler au chef de la nation que les « ultras » sont, depuis une décision de justice prononcée en mai dernier, officiellement considérés comme des terroristes et qu’il est donc étonnant de voir le président du pays les convier à une enquête officielle ! Il est vrai que dans un pays où l’on déroule le tapis rouge pour les voitures qui transportent les grands hommes de la nation, on n’en est plus à une absurdité près !