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Voltaire ou l’optimisme

Publié le 10 février 2016 par Les Lettres Françaises

product_9782070461394_195x320Il était né Arouet et n’avait aucune chance de vivre. Il faut croire que les médecins avaient encore à apprendre. Chez les pères jésuites de Louis-le-Grand, on lui enseigne la rigueur, la rhétorique, les textes fondateurs ; il découvre les délires scolastiques et l’injustice. Le faible souffle du berceau se mue en tempête et les gazouillis en dangereux anathèmes. « Au fait » est sa devise. Il est déjà à rouer. A vingt ans, hôte de la petite cour de Sceaux, il goûte au luxe, et apostrophe les puissants : « J’ai vu des magistrats vexer toutes les villes/Par des impôts criants et d’injustes édits… » On l’embastille, il s’exile. Pour un homme libre, les capitales sont dangereuses. Il aime la Hollande, sa prospérité, la liberté de penser. L’Angleterre le transforme : il apprécie sa culture, lit Shakespeare, rencontre Swift dont il admire Gulliver. La médecine, la physique, la chimie le passionnent. Il fait feu de tout bois : tragédies, comédies, épîtres, poèmes, essais, opéras sont ses meilleurs passeports : « tous les genres sont bons, hors le genre ennuyeux ». Pour un temps, les têtes couronnées recherchent sa correspondance et sa conversation. Il est adoubé par le roi de Prusse et la reine des Russies ; il est reçu à Versailles, chante la gloire de Louis XV et « sa » victoire de Fontenoy.

Le courtisan indocile agace autant que la voltairomanie. Ses ennemis sont légion, comme ses disgrâces. La police saisit les premiers chapitres du Siècle de Louis XIV et son Ode sur le fanatisme. Mahomet est retiré après trois représentations. N’importe. Il l’envoie au pape afin « de soumettre au chef de la vraie religion cette œuvre dirigée contre le fondateur d’une secte fausse et barbare… » Pour contrer le flux des sottises, les erreurs de jugement et le poison des superstitions, il s’adonne aux contes, plus solubles dans la pensée que les phrases absconses des philosophies : Zadig, Candide, Le Monde comme il va, La Princesse de Babylone vantent les différences autant qu’ils s’attaquent aux obscurantismes. « Il faut bien que tôt ou tard les hommes ouvrent les yeux » : au milieu des ronces et des orties, à chacun de trouver son jardin.

Les grands combats l’attendent.  Les noms de Calas, Sirven, Lally, La Barre scandent son chemin de justicier. Il est, pour les siècles futurs, « le vengeur de l’innocence ». Le danger et sa prudence l’ont conduit à vivre « aux frontières » : à Cirey chez madame du Châtelet, si savante, si belle, si infidèle ; sur les bords du lac Léman, puis à Ferney, son dernier refuge où, en patriarche et en chef d’entreprise, il s’adonne à l’agriculture, à la fabrication de montres autant qu’à l’écriture et à une harassante correspondance.

Il meurt à quatre-vingt six ans. Un comble pour un sempiternel souffreteux. Son cerveau est placé dans un bocal à confitures rempli d’esprit-de-vin. Le cadavre, indésirable, est maquillé puis transporté de nuit à trente lieues de Paris. On l’inhume en secret à l’abbaye de Sellières, vers Romilly-sur-Seine. Sur une dalle, ces signes cabalistiques : A17+78V. A pour Arouet, V pour l’énigmatique pseudonyme diabolique dont il signait chacune de ses lettres. La révolution surgit. L’abbaye devient bien national. Ses restes sont exhumés. On se serait emparé de dents de la féroce mâchoire, du calcanéum. Etrange métamorphose des saints et des reliques devenus laïques. Un char est affrété, décoré à l’antique. Le convoi traverse campagnes et villages sous les hourrahs. L’édition complète de ses œuvres, imprimées à Kehl et qui ruina Beaumarchais est du voyage. Cinq jours plus tard, au Panthéon, Paris est une fête.

Depuis, le chasseur d’infâme qui voulait éclairer le monde est devenu l’homme providentiel qui trouble les jours et les nuits des bacheliers, parfois un totem autour duquel dansent des républicains en mal de République. On nous affirme que son Traité pour la tolérance se vend comme des petits pains. Il est censé servir d’antidote aux barbares qui hantent notre civilisation héritée des Lumières. Ces vingt-cinq chapitres étonneront par l’éloquence, l’ampleur des connaissances, la croyance indéfectible en une tolérance universelle.

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A Genève, François Jacob est en charge de l’Institut et du Musée Voltaire. Il connaît son personnage et son époque. Il a composé sa biographie par tranches de vie et, sans oublier l’essentiel, il fait la part belle au théâtre. Il a raison. Depuis Louis-le-Grand, Voltaire est persuadé que l’art dramatique est l’art absolu. Il écrira cinquante-deux pièces. Oubliées. Il a commencé par un Œdipe sacré à la Comédie-Française. Artémir suivra, portée par Adrienne Lecouvreur, puis Mariamne où le célèbre Baron interprète Hérode. Lui-même joue le rôle de Lusignan dans Zaïre, devant le roi, à Fontainebleau. Lekain en personne vient jouer à Ferney. C’est pour voir représenter Irène qu’il est rentré à Paris, où il mourra. Ce fut son dernier succès. Tous ses admirateurs, de la Cour, de l’Académie et de la Comédie-française, sont convaincus d’être en présence d’un nouveau Sophocle.

Jean-François Nivet

François Jacob, Voltaire, Folio biographies, 336 pp., 9 euros. Folio réédite La Princesse de Babylone, L’Affaire Sirven, Traité sur la Tolérance, avec une postface de Philippe Sollers, Zaïre, Le Taureau blanc.



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