Edith Wharton, qui a vécu longtemps à Paris, était sans doute la plus française des écrivains américains. Elle était aussi l’une des plus riches, et possédait, il y a plus d’un siècle, automobile et chauffeur, avec lesquels elle sillonnait la France, de Boulogne à Cauterets, de Royat à Nice, de Toulouse à Soissons, – pour ne citer que quelques-unes des villes visitées lors de trois périples, en 1906 et 1907. Elle était accompagnée de son mari, Teddy, et, une fois, d’Henry James. Mais ça, c’est la préface de Julian Barnes qui nous l’apprend, et l’amusante photo reproduite sur la bande du volume (on y voir Mr et Mrs Wharton, James en casquette à carreaux, le chauffeur et ses grosses lunettes de course, comme dans une pièce 1900 d’Anouilh). Edith Wharton, elle, ne dit rien de ses compagnons, ni des domestiques, chargés de bagages, qui les accompagnent en train, et vont préparer l’arrivée du groupe dans les palaces. Edith Wharton ne s’intéresse pas à l’anecdote, mais aux monuments, qui dictent son parcours.
Peu de pittoresque, donc, dans ses récits de voyage – elle n’est pas Alexandre Dumas, ni Nerval. Et peu de descriptions de paysages, – elle n’est pas Chateaubriand. Mais une recension avertie des châteaux en ruine, des églises et de leurs gisants, des monastères. Elle est plutôt du côté des Notes de voyage de Mérimée : elle invente le « Guide Vert » avant la lettre.
Le quotidien du voyage ne l’intéresse pas (c’est tout juste si l’on comprend que l’Auvergne n’est pas une bonne région hôtelière), mais elle connaît sur le bout des ongles l’histoire de la France, et de son architecture, et livre des détails d’autant plus précieux que, de ces monuments qu’elle décrit, certains ont aujourd’hui disparu, et qu’ils n’est plus possible de voir ceux qui subsistent comme elle les a vus, avant l’ère du tourisme de masse, avant les autoroutes et les itinéraires fléchés, avant la transformation des vieilles pierres et des maisons d’écrivain en « lieux de mémoire » et passages obligés des circuits de grande consommation. La France qui transparaît à travers son récit est encore celle de Balzac, avec sa lenteur et ses silences, parcourue, avec le plus rapide des moyens de locomotion de l’époque, par une femme d’une immense culture, dont la distinction et la bonne éducation ne l’empêchent pas de tacler un Viollet-le-Duc trop interventionniste à son goût.
Il ne s’agit pas forcément du plus « whartonien » des livres de Wharton, mais, par les témoignages qu’il offre, c’est, pour un Français, l’un des plus précieux.
Christophe Mercier
Edith Wharton, La France en automobile (traduit de l’anglais par Jean Pavans, Mercure de France, 170 pages, 16,8 euros).