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La bibliothèque, la nuit – Et la lumière fut !

Par Julien Leray @Hallu_Cine

C’était mon point d’honneur à moi. Non, après cette satanée 3D, on ne m’y reprendrait pas ! Et surtout pas les acteurs du Jeu Vidéo qui, depuis la disparition pure et simple de Kinect et consorts, cherchent désespérément un nouveau ressort technologique pour relancer la pompe à fric.

Oculus, HTC et Valve, Sony, et j’en passe, avec votre soit-disant nouvelle révolution – la Réalité Virtuelle et ses nouveaux frissons -, n’insistez pas : vous ne m’aurez pas !

Enfin, ça…

C’était avant…

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Lorsque je faisais encore partie de celles et ceux qui se moquaient allègrement des joueurs expérimentant ces masques d’un genre nouveau – un casque de ski au profil de marteau -, dont les mouvements de tête en parfaite adéquation avec ce qu’ils pouvaient voir au travers des lunettes, mais en complet décalage avec leur environnement, les rendaient au mieux ridicules, au pire pathétiquement attendrissants.

« Hors de question de me couper de la vie, la vraie » que les deux du fond disaient. Et c’est peu dire que je les approuvais.

Mais vraiment, ça, c’était avant…

… Qu’on ne m’affuble moi aussi de cet engin de malheur, à l’occasion de l’exposition La bibliothèque, la nuit actuellement présentée à la BAnQ (Bibliothèque et Archives nationales du Québec) de Montréal.

J’aurais pourtant dû me méfier. Mais le technophile en moi s’est montré faible et s’est laissé tenter.

Il faut dire qu’il y avait de quoi être excité !

Pas de temps, pas d’argent pour voyager ? L’impossibilité momentanée de découvrir des lieux de savoirs de différentes cultures, différentes contrées ? Qu’importe, La bibliothèque, la nuit se propose de nous ouvrir les portes de dix d’entre eux, certes de manière virtuelle et non en dur, mais avec la sensation non feinte et prégnante des textures.

À la fois visuelles et sensorielles, avec d’une part la mise en lumière et l’appréhension des dimensions, et d’autre part, la conjugaison d’une étonnante spatialisation du son.

Un son par ailleurs rythmé par la narration et la voix d’Alberto Manguel – auteur du livre éponyme et co-créateur de l’exposition – commentant chaque bibliothèque explorée, révélant son histoire, ses spécificités, ses raisons d’être, son passé et son avenir. En somme, ce qui en fait toujours à l’heure actuelle un lieu fondamental et essentiel.

Avouez que la promesse est tout de même belle !

Peut-être faites vous cependant partie de celles et ceux pour qui une bibliothèque reste un endroit peu attrayant, lorsqu’il n’est tout simplement pas repoussant.

Ne fuyez pas pour autant. Avancez-y même le cœur vaillant. Car ce lieu commun affublant ce lieu d’exception d’une aura de froideur et d’austérité, Alberto Manguel et Robert Lepage – metteur en scène québécois de renom – l’ont évidemment entendu, pour mieux en jouer et nous prendre à contre-pied.

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En particulier par l’entremise d’une introduction en guise de mise en bouche aussi intimiste que singulière.

Placés au cœur de la reconstitution de la collection privée d’un Alberto Manguel décidément corps et âme de l’expo, nous voici assis au sein d’une pièce accueillante et chaleureuse, bordée d’étagères pleines à craquer, au bois massif et lustré, baignée d’une lumière tamisée aux halos enveloppants et réconfortants.

Le message est ainsi lancé d’emblée : loin des rangées de livres à perte de vue, une bibliothèque sait être un lieu cérémonieux, oui, mais aussi un cadre des plus cossus.

Ce dernier étant désormais posé, place alors, au détour d’une porte dérobée très bien cachée, au saint des saints, le nerf de la guerre du papier : une salle de lecture que n’aurait pas reniée Harry Potter, parcourue de tables de bois franc et de fauteuils pivotants au beau milieu d’une forêt enchanteresse fantasmagorique ; un véritable lieu de conte de fées aux accents mystérieux.

De mystérieux, il en va de même de ce fameux casque de Réalité Virtuelle, ce morceau de mousse et de plastique à s’installer sur le bout du nez.

Que la porte soit ouverte vers de nouvelles perspectives, fort bien, mais à quoi bon se couper d’un cadre aussi bien pensé pour apprécier à sa juste valeur le charme tout particulier d’une bibliothèque, et de ses livres soigneusement classés ?

À peine le temps de se poser la question que le savoir-faire de Robert Lepage entre alors en scène. L’interrogation s’évanouit, face à la maîtrise de l’outil, mariant de manière harmonieuse le futur et l’acquis.

Le corps baigné dans les charmes physiques de ces lieux à l’aura presque mystique, l’esprit, lui, immergé dans celui des sens et des idées.

Pour cela cependant, il faudra évidemment passer outre les atermoiements techniques inhérents à toute technologie toujours en cours de développement. Pas d’Oculus Rift à sept-cent euros ou de PlayStation VR qui devrait probablement lui aussi coûter fort cher : pour apprécier La bibliothèque, la nuit, c’est armé d’un Samsung Gear VR que vous serez.

Avec à la clé, de grosses difficultés pour régler le focus et la netteté, ainsi qu’un effet de grille sur l’image la rendant parfois assez floue.

Même si dans l’absolu, honnêtement on s’en fout.

Car la Réalité Virtuelle bouscule à tel point nos sens et nos repères qu’il en (re)devient nécessaire d’apprendre, de s’approprier l’expérience proposée, comme si des décennies de cinéma et de télé n’avaient tout simplement pas existé.

La surprise n’en fut ainsi que plus forte, lorsqu’au détour d’un son a priori anodin lancé dans mon écouteur droit, je m’aperçus que la portion de la bibliothèque de Mexico se trouvant juste devant moi ne représentait finalement que la moitié de ce qu’il était possible de visualiser et d’explorer !

C’est vrai : j’étais naïvement loin de m’imaginer que quelque chose pouvait être en train de se tramer à mon insu, là, dans mon dos. Pauvre sot !

Dans le champ des possibles, place est désormais faite aux images au-dessus de nos têtes, au-dessous des genoux, à notre droite, à notre gauche. Derrière nous, surtout.

Avec ce casque vous l’aurez compris, l’univers proposé n’est plus captif d’un support irrémédiablement 2D : il est désormais accessible à sept-cent vingt degrés !

Vos bras et vos jambes enfermées dehors, votre tête, elle, totalement plongée dans une nouvelle réalité.

Évidemment, encore faut-il que cette représentation ait un sens, une utilité immersive autant que narrative.

Mais quoi de mieux finalement qu’une bibliothèque pour apprécier à sa juste valeur l’incroyable apport de la VR sur la profondeur, aussi bien horizontale que verticale ?

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En mettant l’objet technologique totalement au service de sa thématique – et non l’inverse -, Robert Lepage a ainsi tout compris. Et au final moi aussi, ce qui était loin, très loin d’être garanti.

Maintenant expérimentée, vécue de mes yeux vus, force m’est ainsi d’admettre que la Réalité Virtuelle était finalement un choix tout à fait cohérent, parfaitement sensé pour restituer avec force détails et fidélité la majesté de ces lieux imposants, leur conférant une aura de véracité et de tangibilité que l’on aurait probablement peine à mesurer avec des techniques plus traditionnelles et usitées.

Bien sûr, les vignettes contées par Alberto Manguel pour chaque bibliothèque traversée apportent elles-aussi des éclaircissements historiques et philosophiques essentiels à la compréhension des lieux.

Mais éprouver cette sensation si saisissante d’y être sans l’être, de voguer à travers ces murs sans pouvoir toucher mais avec l’impression crédible de pouvoir le faire, il faut le dire, laisse totalement bouche-bée. Sans exagérer, c’est à tomber par terre.

Démontrant par là-même et par l’exemple ce qu’est véritablement, au fond, une bibliothèque : rien de moins qu’une invitation perpétuelle à l’évasion.

Du réel, pour mieux gagner le rêve.

Car si La bibliothèque, la nuit propose la majeure partie du temps de découvrir des lieux réels et contemporains – ne demandant d’ailleurs qu’à recevoir notre visite incessamment sous peu -, elle n’oublie, fort heureusement, pas pour autant de se laisser aller à quelques digressions fantastiques, voire pleinement fantasmatiques.

Sans spoiler outre mesure – et prendre le risque que vous me détestiez -, sachez cependant qu’au détour d’un regard s’égarant sur une icône anodine, vous pourrez ainsi vous retrouver propulsés au coeur de la Voie Lactée, le Soleil à portée de main, surplombant la Terre et ses contours aux mille dessins.

Pour finalement mieux rejoindre – après une chute vertigineuse – la reconstitution de la célèbre bibliothèque d’Alexandrie, et admirer au passage la vue d’une ville baignée de lumière à la lisière de la mer, éclairée par l’héritière de la légende sus-citée.

Une envolée au septième ciel donc, mais aussi une plongée vingt mille lieues sous les mers. Sans en dévoiler davantage, une chose est sûre : Alberto Manguel et Robert Lepage étaient en Vernes.

Plus qu’une exposition, ces derniers ont ainsi fait de La bibliothèque, la nuit un véritable mètre-étalon, du futur des Arts et de ce qu’ils seront à même de véhiculer comme nouvelles émotions.

Pour des représentations en dur, également pour des créations de toutes natures. Les musées, les bibliothèques donc, sans oublier le cinéma, la musique, la peinture, ou encore l’opéra, possèdent désormais entre leurs mains un outil à même de leur offrir de prometteurs lendemains.

Et ce sans pour autant occulter, bien évidemment, les éventuels dommages collatéraux qui ne manqueront sûrement pas d’arriver à terme avec pareille techno.

Ne nous leurrons pas, si la Réalité Virtuelle est promise à un avenir qui chante, il reste loin d’être exclu que certains malgré tout déchantent. Potentielle addiction, conséquences physiologiques, crises cardiaques ? De trouille après avoir joué à Alien : Isolation ? Avouons que si tel devait être le cas, on aurait l’air un tantinet couillon…

– Comptons néanmoins sur la bien vieille rance Familles de France pour Promouvoir un recours auprès du Conseil d’État français si jamais la Réalité Virtuelle devait engendrer des comportements jugés déviants aux yeux des biens-pensants, bande de technophiles amateurs d’arts inconséquents !… –

Reste que le potentiel créatif est là, et eu égard aux réserves que l’on pouvait – légitimement – émettre, il faut bien reconnaître que ce n’est pas un mince exploit.

Face à des arts et des médias n’ayant que peu évolué dans leur grammaire depuis des décennies, gageons que la Réalité Virtuelle saura probablement s’affirmer comme l’un des vecteurs d’expression à même de les renouveler en profondeur, leur donner une nouvelle impulsion pour mieux les pérenniser tout en leur conférant de nouvelles saveurs.

En définitive, si j’étais le premier à hurler « quelle horreur ! », je ne peux maintenant que m’incliner, et confesser « à la bonne heure ! ».



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