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« Le fantôme arménien » : rencontre avec Laure Marchand et Thomas Azuélos

Par Sandy458

Laure Marchand (et Guillaume Perrier absent ce jour) :... journaliste et correspondante en Turquie pour Le Figaro.

Thomas Azuélos : ... auteur de bandes dessinées, scénariste et illustrateur.

Pourquoi ce projet en particulier sur l'Arménie ?

LM : En Turquie, on assiste à un grand questionnement sur le génocide arménien qui s'est déroulé pendant la Première Guerre Mondiale et plus précisément en 1915. On commémore donc les 100 ans des massacres...

Cela fait 10 ans que le tabou du génocide se fissure dans la société turque. Il y a de quoi. 1,5 million de morts, cela créé des tensions... d'autant plus que ce génocide passé sous silence en vient à obséder les Turcs.


TA : La BD est née d'un voyage réel, celui de Varoujan et Brigitte, un couple de marseillais. Après beaucoup d'hésitation, ils ont décidé de partir sur les traces de leurs origines arméniennes et d'aller à la rencontre de la communauté vivant toujours en Turquie. Nous les avons accompagnés sur place pour réaliser un travail de reportage à leur côté. Ce voyage a nourri notre documentation pour la création de la BD en nous offrant la réalité sans fards.

Pouvez-vous en dire plus sur le contexte historico-politique de 1915 ?

TA : Sous l'empire ottoman, la population était majoritairement musulmane avec une proportion de 1/3 de non musulmans. On comptait alors 2 millions d'arméniens.

En 1915, la Turquie est entrée en guerre au côté de l'Allemagne. Les autorités ottomanes ont décrété que les Arméniens étaient un danger pour la sureté du pays, qu'ils étaient des traîtres, ligués contre le peuple turc.

A donc été prise la décision de déporter les femmes et les enfants arméniens dans le désert syrien ce qui correspondait dans les faits à une condamnation à mort déguisée mais aussi de se débarrasser définitivement et directement des hommes et des adolescents masculins. Tous les arméniens ont été spoliés de leurs biens et les terres redistribuées aux Turcs...

Le génocide n'a jamais été reconnu, il a été nié.

Tout au long du 20ème siècle, on a assisté à une forte montée de l'hostilité de la République turque face aux arméniens et aux non musulmans présents sur le territoire en général...

LM : C'est ainsi qu'est né ce que nous appelons le phénomène de " l'arménien caché ". Il s'agit d'un Arménien qui s'est converti à l'islam pour être tranquille et avoir une chance de survivre à l'horreur.

Il y a beaucoup d'arméniens cachés en Anatolie, là où le génocide a donné lieu à des massacres de masse.

Mais la culture arménienne n'a pas disparu, elle s'est transmise, chuchotée de génération en génération, comme un secret.

Aujourd'hui, on assiste à une revendication de l'identité arménienne chez la jeune génération.

Mais si une telle revendication est possible dans une grande ville comme Istanbul, elle reste difficile dans le reste du pays où on se fait baptiser et où on suit les rites religieux discrètement...

TA : Aujourd'hui, les Kurdes reconnaissent leur participation au génocide au côté des Turcs. Geste fort, une exposition de portraits " 99 photos pour les 99 ans du génocide " s'est tenue dans une mairie en région kurde. Vous retrouverez l'évocation de cette exposition dans notre livre.

Est-ce qu'il y a des différences entre les Arméniens locaux et les Arméniens de la diaspora ?

TA : Oui, cela a d'ailleurs été retranscrit dans la BD. Page 64, vous lirez une anecdote qui s 'est déroulée dans un restaurant et qui témoigne du dialogue difficile entre arméniens locaux et arméniens de la diaspora.

Les locaux ont pour la plupart perdu l'usage de leur langue, de la culture, de la cuisine traditionnelle et de la religion. Ils se sont " turquisés ".

Les " diasporés " ont, au contraire, tout maintenu. Ils ont mis un point d'honneur à conserver leur " arménité ".

Locaux et " diasporés " sont séparés par un fossé creusé par le temps et par le manque de culture et de langue commune.

LM : Le génocide a créé une nouvelle identité arménienne, celle de l'arménien musulman ce qui est difficile à concevoir pour les " diasporés " car la religion est, pour eux, une des constituantes principale de l'identité. Ils le vivent comme une trahison à l'arménité.

Pouvez-vous nous parler de la technique de dessin utilisée dans cette BD ?

TA : Au départ, je voulais faire du croquis pris sur le vif mais j'ai vite réalisé que c'était trop long pour saisir et noter les événements.

Un cameraman réalisait un documentaire en parallèle de notre BD et je me suis servi des enregistrements visuels, des sons, des conversations mais aussi de photos.

J'ai aussi fait de la prise de notes.

Puis j'ai réalisé un travail de mise en scène en privilégiant le fond plus que la forme.

Dans la BD, j'ai utilisé des techniques différentes : le récit, l'utilisation du flash-back la peinture... et même des marionnettes que je mets en scène dans un dialogue entre un Ottoman et un Arménien!

Et après le retour en France, comment cela s'est passé?

TA : L'euphorie est vite retombée. Nous avons connu des problèmes de financement pour ce projet.

LM : Quant à Varoujan et Brigitte, ils sont revenus apaisés d'être allés chez eux. Descendants de rescapés, ils avaient pu enfin revenir sur les lieux des massacres.

TA : Malheureusement, Varoujan est décédé accidentellement par la suite...

Le sujet du génocide et des massacres ne doit pas vous rebuter, " le fantôme arménien " ne saurait être résumé à cela. C'est une œuvre qui éclaire un pan d'histoire lointaine dans le temps mais si proche géographiquement et humainement en ces temps d'exil de populations aspirant à vivre en paix.

C'est aussi une œuvre qui questionne le lecteur sur ce qui définit l'identité et l'attachement à cette notion.

Le fantôme arménien, bande dessinée de reportage de Laure Marchand, Thomas Azuélos, Guillaume Perrier, chez Futuropolis, parue en 2015.

On en parle :

http://www.franceinter.fr/depeche-le-fantome-armenien-l-apres-genocide-en-bd Merci à la Médiathèque Georges-Wolinski de Noisy le Grand pour cette rencontre.

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