Le nœud s'est trop enfoui, à tel point que même en découpant en profondeur avec la lame, je n'arrive pas à le voir. Je finis par jeter la compresse. Mes balafres sont déjà assez dégueulasses sans que je commence à les escaloper. Quelques heures plus tard, ma tante arrive et apprend que le travail est fait :"J'étais sûre que tu ferais ça ! T'as jamais besoin de personne, toi, hein !"En découvrant les cicatrices, elle me rassure :"Tu es une grosse marcheuse, la peau de tes pieds est plus épaisse que celle de gens sédentaires. Ça donne l'impression de se rouvrir, mais ne t'en fais pas, tu as des points en profondeur."Ses mots me tranquillisent. A moitié. Mes ampoules dégoulinantes pourraient bien s'infecter, ne serait-ce qu'en surface.
Semaine 4 :Alors les jours suivants, je redouble de zèle, je tamponne consciencieusement mes cicatrices d'antiseptique, je les tartine de crème matin et soir, dans l'espoir de pouvoir présenter des croûtes acceptables à l'Orfèvre. Résultat désastreux. Au lieu de cicatriser, je me décompose.Mes pieds suintent et ça colle aux pansements. Qu'à cela ne tienne, j'ai plus d'un instrument dans mes tiroirs. J'applique sur les zones gluantes des pansements silicones achetés quelques mois auparavant pour soigner un abcès à la patte de ma petite cochon d'Inde (des pansements pour humains, hein, je suis pas complètement frappée non plus). Ils absorbent patiemment toutes les sérosités. Dans le même temps, j'ai (bien tard) la lumineuse idée de compulser les notices des lotions et crème cicatrisante que j'applique sur mes plaies. Toutes signalent des risques d'allergie de contact, avec manifestations à type d'eczéma. Tiens donc, c'était peut-être pas dans ma tête, finalement. J'arrête tous les produits, advienne que pourra. Je prends des photos de mes cicatrices, bien décidée à les envoyer au chirurgien, seul susceptible de me rassurer pleinement. Dissuadée par mes proches, qui pensent que je vais lui casser les pieds pour pas grand chose, je renonce.
Semaine 5 :le jour du rendez-vous de contrôle, après un passage au photomaton radiologique de l'hôpital, je peux présenter des clichés face et profil de mes petons nouvelle version. Assez content de ce qu'il voit sur les radios, l'Orfèvre reste dubitatif une fois devant mes pieds. Les pansements aussi lui inspirent quelques doutes. C'est que prévoyant une consultation flash-éclair, j'ai choisi un enveloppement minimal : une bandelette de pansement absorbe-cochonneries maintenue par une simple bande tubulaire, le tout, glissé dans une chaussette molle. J'explique les raisons de mon état cutané. Tout désolé, le docteur confirme mes soupçons :"Ampoules et démangeaisons généralisées, vous avez fait une réaction allergique. C'est vraiment pas de chance."Selon lui, à partir du moment où je n'applique plus le ou les produits en cause, la cicatrisation devrait reprendre son cours progressivement."Mais vous nettoyez avec quoi, du coup ? C'est quoi, ça jaune ?"Ça, c'est à moi, ce sont les gouttes de dégueu que je laisse sécher à l'air libre. (Je me tamponne simplement avec un peu d'alcool modifié, ça pique mais je n'y ai jamais fait la moindre réaction délétère.) Je le sens tout déçu. En apprenant que je me suis plus ou moins débrouillée toute seule, il n'a pas l'air très content non plus. Tant pis, je serai une mauvaise patiente de plus à ses yeux. Autre déception pour le médecin, mon manque d'assurance sur les fers à repasser. C'est que grâce à une ordonnance foireuse du dadet (encore lui), le pharmacien m'a d'abord délivré :en première semaine : des chaussures inadaptées (Barouk courtes)...en deuxième semaine : des chaussures adaptées (Donjoy)... beaucoup trop grandes,puis enfin, les mêmes à ma taille. Au bout de trois semaines, mieux vaut tard que jamais.J'ai préparé une feuille pleine de questions pour le docteur. Avec un petit sourire amusé, il accepte d'y répondre, mais à ce que j'ai cru entendre, 25 consultations sont prévues pour l'après-midi, aussi je me limite à l'essentiel, d'autant que je lui trouve la tête bien fatiguée, à ce monsieur. Il me prolonge mon arrêt maladie à dix semaines en tout. Pendant qu'il remplit le formulaire, je remballe mes pieds, remets mes fers à repasser et me dépêche de sortir de la salle de consultation, pour ne pas le mettre plus en retard qu'il ne l'est. Obnubilée par l'étroitesse de l'encadrement de porte que je dois traverser, je dédaigne la main tendue par le docteur, avant de me rattraper maladroitement. Et voilà, en plus, je passe pour une malpolie ! Et lui, gentil comme toujours, m'aide à faire ma manoeuvre.Semaine 6 :Une semaine après la consultation, la gratouille a totalement disparu. Les ampoules ont fini de se dégonfler et les suintements se limitent à une petite perle ambrée de temps à autre. Les douleurs aux orteils sont sporadiques, de type attaques vaudou. Quant à mes progrès, ils sont de plus en plus rapides : j'ai de vraies courbatures sur l'arrière des mollets, sans doute parce que les semelles de mes chaussures sont moins hautes à l'arrière qu'à l'avant. C'est que je marche de mieux en mieux. D'abord voutée et agrippée à tout ce qui se présentait (un mur, un frigo, une chaise), je me suis redressée petit à petit. Mon pas de mec en chaussures de ski est de plus en plus assuré. J'appuie un peu plus sur mes coussinets (la partie avant de la plante des pieds) dans mes belles claquettes casse-gueule. Quand je suis assise, mes jambes soutenues à l'horizontale, j'essaie de bouger tous mes orteils. Les gros orteils sont encore bien raides, comme s'il étaient entourés de plusieurs tours d'un chatterton invisible. J'espère que ça va vite s'améliorer. Encore une semaine et je pourrai enfin me lever sur mes pieds, sans artifice. Et j'aurai peur de marcher ! Petit à petit, mes croûtes s'en vont (bon, je les aide un peu, je sais c'est pas bien, mais je fais attention de ne pas retirer les parties encore collées). J'en suis là au moment de poster cet article et je pense que le pire est définitivement derrière moi. Bilan :Se faire opérer les deux pieds d'un coup ? C'était le bon choix pour moi, celui qui demande finalement le moins de courage...L'hôpital ? ce n'est pas parfait, mais si j'ai surtout pesté contre un certain interne, j'ai aussi eu affaire à des anesthésistes, des infirmiers, des brancardiers et surtout un chirurgien de grande valeur. Parce qu'on ne le dira jamais assez, l'important (non c'est pas la rose) c'est la qualité de l'alliance thérapeutique avec la personne qui vous désosse.La douleur ? Je pensais y être plus résistante. Ceci dit, à six semaines post-op, j'ai déjà quelques difficultés à me les rappeler précisément. Le corps et le mental sont bien faits ! Le plus dur est parfois pour les proches : mon copain, par exemple, m'a beaucoup aidé, mais il a été de mauvais poil aussi longtemps que j'ai été souffrante. Ça lui faisait trop de peine et c'était sa réaction... On ne peut jamais prévoir ces choses-là.Dépendre de ses proches ? Ce n'est pas facile, un avant-goût de l'hospice ! Au fil des trois premières semaines, j'avoue avoir glissé d'un état d'exténuation vers une déprime assez inquiétante. Vite balayée par mon retour progressif à l'autonomie, au cours de la quatrième semaine.Le résultat ? Il faudra deux petites années pour que mes cicatrices aient leur aspect définitif, mais déjà, la forme des pieds n'est plus du tout la même. Et détail important pour moi, je les reconnais !Si après la lecture de cet article, vous êtes décidé à vous faire opérer, alors je ne saurai que trop vous conseiller de lire, si ce n'est déjà fait, mon article suivant. Vous y trouverez des conseils pratiques pour préparer et vivre le mieux possible les suites de votre intervention. Par ici :o)RemerciementsSe faire redresser les deux pieds d'un seul coup, ce n'est pas une mince affaire. Même avec la meilleure volonté du monde, il est impossible de tout faire seul. On a grand besoin d'aide. Mon récit peut paraitre très égocentré, mais c'était pour tenter de répondre au mieux aux questions que peut se poser un futur opéré. J'ai reçu un soutien patient tout au long de ma convalescence.Mon individu (mon ami) a fait tout ce que je ne pouvais pas faire par moi-même, autant dire quasiment tout.Ma tante, médecin généraliste en retraite, a fait une ordonnance bien utile, assuré un contrôle régulier et apporté des réponses à mes questions.Ma colocataire s'est montrée une négociatrice déterminée auprès de mon pharmacien et une épaule réconfortante certains jours où le moral était bof bof…Mon amie Cindy et son bébé sont venus me rendre de longues visites pour me changer les idées.Anne-Lyse, mon amie ostéopathe m'a conseillé des massages pour arriver à de belles cicatrices et des pieds bien souples.Aurélie, ma copine aux pieds merdiques bien réparés m'a prêté sa paire de chaussures de Barouk, très utile jusqu'à ce que le pharmacien arrive à me fournir une paire adéquate et à ma taille.Bref, tout bien considéré, à part mettre mes pieds sur le billard, je n'aurai pas fait grand chose, mettant largement les autres à contribution.Un petit mot également pour des gens moins proches, mais qui m'ont beaucoup réconfortée et dont je me rappellerai longtemps :un certain Adrien, un infirmier à l'écoute et d'une grande douceur,une de ses collègues infirmière dont le nom m'a échappé mais sans qui je n'aurais eu aucune aide pour mon premier lever.Et bien évidemment le Dr l'Orfèvre qui n'a définitivement pas usurpé sa renommée de compétence et de gentillesse et dont je garderai tout ma vie deux souvenirs droits comme des i.A tous un grand MERCI !