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Impostures

Par Gerard

L’imposture est ce qui caractérise le tournant de millénaire. Imposture que la fin de l’Histoire et de la Cité post-politique. Imposture que la guerre de civilisation. Imposture que le Nouvel ordre mondial. Imposture que la nationalisation des dettes privées pour sauver les intérêts de la finance mondiale et la crédibilité de l’idéologie ultralibérale. Imposture que l’été grec 2015 où la Communauté européenne a défait la démocratie. Imposture d’un traité transatlantique que les députés européens doivent voter les yeux fermés sans le lire. Imposture que le régime d’exception devenu permanent au nom d’une bien improbable sécurité …

Un nouvel agencement de pensée s’organise, autrement que nous aurions cru. Ce nouvel agencement se caractérise non par l’accroissement des libertés et des possibles, mais par la mise à vue du clivage : du pur rapport de forces entre les désirs des individus et les projets de leurs édiles. C’est toute la philosophie du contrat social qui s’achève ; si tant est qu’elle ait jamais existée. Mais qu’est-ce que signale et signifie une société post-contractuelle ? Qu’est-ce que veut dire n’avoir plus rien de commun avec l’Etat, sinon la guerre civile ou la révolution

L’Etat était naguère l’objet d’une attente, et d’un respect instinctif. Le sujet était supposé avoir négocié son allégeance à l’Etat contre des droits. Ce qui nous saisit aujourd’hui, c’est l’intuition que cet horizon de droit, bousculé par la concaténation de ces impostures, a pris brutalement fin. Mais alors, si le droit n’est plus l’horizon, que devient la promesse de l’Etat ? Y at-il encore quelque chose à promettre ? Comment qualifier un Etat qui réduit les droits (à la liberté, à la santé, à l’éducation, au bonheur) et ne promet plus rien ? Une technostructure coupée de la société poursuit des buts que le peuple ne partage plus – ne peut plus partager : c’est un coup d’Etat.

On sentait bien, confusément, que quelque chose n’allait pas. Qu’entre la promesse et la réalité la relation se relâchait de plus en plus. Qu’on ne marchait plus qu’à coup de symboles, à tisonner de vieux discours recuits, à coup de commémorations vide de sens.

Ce qui n’était jusque-là qu’un évitement organisé de la pensée – la société du spectacle et du déficit attentionnel y pourvoyant - est devenu désormais une interdiction formelle de s’opposer. Du moins y aurons-nous gagné en clarté. Car cette fois l’opposition est devenue visible. Il y a l’Etat, réduit à sa police et à sa surveillance. Il y a un peuple ; je ne dis pas tout le peuple, mais une partie du peuple, qui pose pour vitale l’exigence de l’autre, de l’alter, de l’alternative. Un peuple qui dit à l’Etat : OK, fais ce que bon te semble, désormais je m’écarte de toi, je vais essayer autre chose. C’est là où le principe de l’Etat rattrape le citoyen frondeur qui, de bonne foi, pensait qu’il était légitime de faire usage de ce droit de retrait, de retranchement, d’écart, de départ. C’est là où l’Etat dit : « Non, tu rentres dans le rang, avec les autres ». Cette immobilisation autoritaire est d’une insupportable violence, une violence qui apparaîtra de plus en plus violente. Où se dévoile la nature même du pouvoir, son essence, en tant qu’il est une instance de souveraineté qui ne se pense que dans l’absolu de ses prérogatives.

La forme de l’Etat ne se comprend vis-à-vis du citoyen que dans un rapport d’asservissement total. L’Etat-social se retire. Se défait la société. Le lien. L’expérience du commun. Et la démocratie ? Mais elle n’était que cela : l’Etat-social, l’Etat faisant commun et société. Perdre l’un, c’est toujours perdre l’autre. Le voilà donc passé de l’injonction « désire-moi » à l’injonction «obéis-moi ». Le contrôle par la pulsion fait place au contrôle par la violence. Là où cesse la propagande revient la schlague. Il n’a au fond jamais été question d’autre chose que de cela, même quand on nous parlait de Révolution française, même quand on évoquait devant nous les Lumières.

De sorte que nous voilà contemporains d’une double révélation : le pouvoir n’élabore sa puissance qu’au détriment du citoyen et de la démocratie au sens vrai du terme. Et ce n’est que par ruse qu’il a pu se réclamer un court moment du bonheur et de l’émancipation du peuple. Ce qui a été mis à vue est à la fois la nature même du pouvoir et la rouerie méthodique avec laquelle il manipule les foules.

Cette clarté qui nous revient nous révèle nos chaînes. Chaînes jamais brisées. Depuis cette base c’est toute la montagne qui est à nouveau à gravir. Un refus inconditionnel est seul susceptible de restaurer notre souveraineté. Mais alors c’est la guerre.


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