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BURN OUT: Une maladie de société qui reste encore à définir – Académie nationale de Médecine

Publié le 17 février 2016 par Santelog @santelog

BURN OUT: Une maladie de société qui reste encore à définir  – Académie nationale de MédecineL’expansion du terme  » burn-out  » est une source de confusion en raison des limites imprécises de cette réalité. Sa symptomatologie regroupe plusieurs dimensions : épuisement émotionnel, dépersonnalisation, réduction de l’accomplissement personnel. Les nosographies médicales ne mentionnent pas le burn-out. Celui-ci peut s’apparenter soit à un trouble de l’adaptation, soit à un état de stress post traumatique, soit à un état dépressif. Il peut aussi désigner un tableau de désarroi psychologique d’intensité infra clinique à celle qui est requise pour désigner une pathologie caractérisée. Bref, le burn-out reste une entité mal définie au plan biologique, mal expliquée, mal diagnostiquée et mal cernée au plan épidémiologique. Un point avec ces experts de l’Académie nationale de Médecine qui appellent à plus de recherche mais aussi plus de sensibilisation et de prévention de cette maladie de société.

Quelques données biologiques ont rapporté une dys-régulation de l’axe hypothalamo-hypophyso-adrénocorticotrope, du système immunitaire ou encore des taux circulants de facteurs trophiques (tel le BDNF). L’échelle de mesure développée par Christina Maslach (MBI) ne peut être considérée comme un outil diagnostique : en population non clinique, elle répartit chaque dimension (épuisement émotionnel, dépersonnalisation, réduction du sentiment d’accomplissement de soi) en trois tertiles (niveau faible, intermédiaire, élevé). Les facteurs étiologiques du burn-out sont ceux des risques psycho-sociaux (exigences du travail, exigences émotionnelles, manque d’autonomie, manque de soutien social et de reconnaissance, conflits de valeur, insécurité de l’emploi et du travail) et ceux liés à la personnalité du sujet, des facteurs individuels pouvant être déterminants de vulnérabilité. La prévention du burn-out professionnel doit être conçue par le management de l’entreprise au plus haut niveau. Elle ne doit pas pour autant méconnaitre les facteurs de risques inhérents au sujet lui-même (neuroticisme, surinvestissement, antécédents psycho-pathologiques). Le médecin du travail (et le service de santé en entreprise), en accord avec sa déontologie, doit être déchargé d’actes de routine pour mieux coopérer à la définition des actions de promotion de la santé au sein de l’entreprise. Le Ministère de la Santé doit développer des campagnes d’information auprès du grand public. L’Académie de médecine souligne la nécessité de créer une structure capable de faciliter la coopération entre Ministère de la Santé et Ministère du Travail.

L’ÉMERGENCE DU CONCEPT DE BURN OUT

La pénibilité psychologique au travail

À partir des années 1970, le monde du travail a de moins en moins ressemblé à celui décrit par Émile Zola dans Germinal : les machines ont remplacé les hommes dans les activités physiquement les plus éprouvantes, les nouvelles technologies ont simplifié de nombreuses tâches. L’illusion d’un effacement de la pénibilité du travail a été éphémère ; de nouvelles formes de contraintes ont mis au jour la pénibilité psychologique. Dans les années 1980 et surtout 1990, plusieurs grands organismes internationaux ont attiré l’attention sur le développement du phénomène de stress professionnel et ses conséquences sur la santé des travailleurs. En 1993, le Bureau International du Travail (BIT) estimait que le stress était devenu l’un des plus graves problèmes de santé de notre temps1. Stress, harcèlement moral, burn-out sont de plus en plus souvent invoqués comme facteurs de risques pour la santé, générateurs de détresses psychologiques, voire de pathologies mentales2. Les risques psychosociaux (RPS) naissant à l’interface de l’individu (le psychologique) et de l’environnement de travail (le social) engagent désormais la responsabilité de l’entreprise3.

La prise en compte des risques psychosociaux

En France, la prise de conscience s’est faite d’une part, après des cas de harcèlement moral décrits par des psychiatres; d’autre part, à la suite d’une série de suicides chez France Télécom. Cela s’est traduit par le vote d’une loi réprimant le harcèlement moral au travail en 2002 puis par la mise en place d’un plan d’urgence de prévention des RPS par le Ministre du Travail en 2009. Le premier rapport officiel sollicité par le Ministère du Travail5 sur ce sujet est ainsi daté de 2008. La même année était signé par l’ensemble des partenaires sociaux (organisations syndicales et représentants du patronat) un Accord National Interprofessionnel (ANI) sur la prévention du stress au travail… De tels accords avaient été signés au Danemark dès la fin des années 70 !Selon l’Agence Européenne de Sécurité et Santé au Travail, la France enregistre un réel retard par rapport à ses voisins dans la lutte menée par les entreprises contre le stress au travail et la prévention des RPS6. Les pays régulièrement cités en exemple comme ayant réussi à promouvoir la santé mentale au travail (essentiellement les pays d’Europe du Nord et le Canada), ont davantage mis en avant la notion de bien-être au travail que celle de souffrance7.

De l’épuisement professionnel au burn-out

C’est en 1971 que Herbert Freudenberger, psychanalyste allemand établi à New-York, emploie le premier le terme de burn-out professionnel pour décrire la perte d’enthousiasme de bénévoles consacrant leur temps à aider des usagers de drogues dures. Ces jeunes bénévoles travaillaient dans des  » free clinics  » pour toxicomanes et finissaient par se décourager après environ une année d’activité, manifestant des troubles émotionnels et des symptômes physiques d‘épuisement. En 1974, dans un article intitulé  » Staff burnout «  Herbert Freudenberger appelle Burn-Out Syndrome ( » B.O.S. « ) cet état d’épuisement émotionnel :  » En tant que psychanalyste et praticien, je me suis rendu compte que les gens sont parfois victimes d’incendie, tout comme les immeubles. Sous la tension produite par la vie dans notre monde complexe, leurs ressources internes en viennent à se consumer comme sous l’action des flammes, ne laissant qu’un vide immense à l’intérieur, même si l’enveloppe externe semble plus ou moins intacte9 « .

Mais, c’est probablement la psychologue américaine Christina Maslach qui, au début des années 1980, a le mieux étudié et analysé l’épuisement survenant en milieu professionnel : le burn-out professionnel10 est un état psychologique et physiologique résultant de l’accumulation de facteurs de stress professionnels. Le burn-out trouve ses racines en réponse à une quantité de facteurs stressants s’inscrivant dans la durée. Le burn-out serait une conséquence de réactions de stress quotidiens ayant usé l’individu11.

La faible implication des organismes sanitaires français

En France, le Ministère de la Santé paraît avoir délaissé cette question de santé publique. L’Inserm ne s’en est pas non plus saisi. C’est le Ministère du Travail, par l’intermédiaire de la Direction Générale du Travail (DGT), qui a pris en charge la problématique de l’épuisement professionnel. Dans les entreprises, les services de santé et les médecins du travail ne sont qu’exceptionnellement sollicités pour la mise en place de stratégies de promotion de la santé mentale le plus souvent mises en œuvre sous l’égide des ressources humaines, et plus particulièrement des relations sociales.

LES QUESTIONS POSÉES A LA MÉDECINE

Le burn-out, un concept flou absent des nosologies psychiatriques

Le concept de  » souffrance au travail  » recouvre l’ensemble des impacts négatifs des environnements de travail sur l’individu. Le succès de cette expression est lié en partie à l’ouvrage d’un psychiatre français12. Ce vocable est très peu utilisé ailleurs qu’en France. Les publications scientifiques anglo-saxonnes traitent peu le  » work-related suffering « .Dans son abord de la santé mentale, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) distingue trois niveaux différents : le bien-être psychologique, la détresse psychologique et les troubles mentaux. Tout symptôme anxieux ne saurait être considéré comme révélateur d’un trouble anxieux, toute tristesse comme révélatrice d’une dépression caractérisée. Et toute fatigue ou épuisement ne peut être considéré comme pathologique. La détresse psychologique peut être imputable à des événements de vie négatifs : elle doit bien sûr être prise en compte.

Le burn-out ne figure dans aucune des classifications actuelles des troubles mentaux. Il est absent des deux grandes nomenclatures internationales de référence, DSM-V (5ème édition du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux) de l’American Psychiatric Association et CIM-10 (10èmerévision de la Classification internationale des maladies) de l’Organisation Mondiale de la Santé. Dans le DSM-V, il ne figure même pas parmi les pathologies pouvant entrer dans une prochaine édition du DSM. Il en est de même pour la 11ème version de la CIM à paraître prochainement.Le DSM-V (V 62.29) comme la CIM-10 (Z 56.9) relèvent parmi les situations pouvant faire l’objet d’un examen clinique les problèmes liés à la profession :  » cette catégorie doit être utilisée lorsqu’un problème professionnel constitue le motif d’examen clinique ou a un impact sur le diagnostic, le traitement ou le pronostic de la personne. Les domaines à considérer incluent les problèmes liés à l’emploi ou à l’environnement de travail y compris… l’insatisfaction au travail, les horaires de travail stressants… le harcèlement social au travail, les autres conflits… d’autres facteurs de stress psychologiques liés au travail…  » Mais le terme de burn-out n’est jamais mentionné. Dans la classification du DSM-V ou de la CIM-10 figure par ailleurs une catégorie, dite des  » troubles liés à des traumatismes ou à des facteurs de stress « . Au sein de celle-ci, les troubles de l’adaptation sont définis par des critères qui pourraient en partie s’appliquer au burn-out : ceci est particulièrement vrai pour le trouble de l’adaptation avec humeur dépressive (TAHD). Ce dernier est décrit comme survenant en réponse à des facteurs de stress identifiables, les symptômes ne persistant pas au-delà de six mois après que les facteurs de stress aient disparu. Deux critères cardinaux de l’épisode dépressif, à savoir l’humeur effondrée et la diminution marquée de l’intérêt, sont présents dans le burn-out, cette diminution marquée de l’intérêt étant spécifiquement focalisée sur le projet professionnel antérieur qui fait l’objet d’un rejet ou d’un désengagement. On voit donc que, sur le plan clinique, la symptomatologie du burn-out et ses dimensions s’inscrivent en partie dans les troubles dépressifs et dans les troubles de l’adaptation. Des données convergentes indiquent que le burn-out peut conduire à une dépression14, et que, réciproquement, les symptômes d’un épisode dépressif sont exacerbés chez des patients victimes d’un burn-out15, l’antériorité d’un épisode dépressif majeur étant un facteur de vulnérabilité au burn-out16

Peut-on situer le burn-out dans la catégorie proposée par l’Institut de Veille Sanitaire (InVS) des troubles liés à une  » exposition professionnelle à des facteurs de risques  » ? Les facteurs listés par l’INVS sont le bruit, les rayonnements, la poussière, les toxiques ou les températures extrêmes. Ceci ne concerne donc pas les aspects psychiques. Enfin, le Réseau national de vigilance et de prévention des risques professionnels (RNV3P) et ses partenaires, dont la Caisse Nationale d’Assurance Maladie des Travailleurs Salariés (CNAM-TS) et l’Agence Nationale de Sécurité Sanitaire de l’Alimentation, de l’Environnement et du Travail (ANSES), suggèrent de placer le burn-out dans la rubrique  » surmenage « . Le burn-out est donc un état d’épuisement psychologique (émotionnel), mais aussi cognitif (avec une perte de motivations et des difficultés de concentration) et physique ( » coup de pompe « ), qui se présente sous forme de symptômes traduisant une réaction de détresse à une situation de stress en milieu professionnel. Ceci explique la fréquence de manifestations affectant le système cardiovasculaire (risque coronarien), la fonction sommeil, l’appareil musculo-squelettique (douleurs chroniques), la sphère affective (humeur dépressive, mauvaise estime de soi, anhédonie), les relations interpersonnelles (détachement, indifférence, irritabilité).. 

La symptomatologie du burn-out

Les travaux de Christina Maslach, menés il y a une trentaine d’années, servent de référence pour définir les dimensions du burn-out. Cette chercheuse en psychologie sociale a conduit de nombreux entretiens auprès de personnes émotionnellement  » éprouvées  » par le travail. Elle a ainsi élaboré une première échelle de mesure qu’elle a appliquée à une population de personnes travaillant dans les domaines sociaux, de la santé et de l’enseignement. Les analyses statistiques des résultats ont mis en évidence plusieurs dimensions qu’elle a prises en compte pour construire une deuxième échelle ( » Maslach, Burn-out Inventory « , MBI), plus affinée, qui lui ont permis, à travers les résultats obtenus sur une nouvelle population à retenir trois dimensions pour définir le burn-out : épuisement, émotionnel, déshumanisation, réduction du sentiment d’accomplissement de soi. » . Autrement dit, la démarche pour définir l’entité burn-out est née d’un instrument de mesure13, et non pas l’inverse comme c’est habituellement le cas.

Bien que ces trois dimensions restent la référence pour une approche évaluative du burn-out, le consensus est loin d’être unanime. Le surinvestissement au travail et les manifestations de  » workaholisme  » sont parfois cités pour caractériser le burn-out. Selon certains auteurs, le burn-out pourrait se définir par la seule dimension d’épuisement émotionnel. La traduction française du mot  » burn-out  » en  » épuisement  » va dans ce sens. La place de la réduction de l’accomplissement personnel ou de l’efficacité professionnelle dans le syndrome de burn-out est de plus en plus remise en cause : elle aurait un rôle dans l’étiologie du burn-out mais ne devrait pas être considérée comme une dimension de ce syndrome. Ceci laisserait deux dimensions au burn-out : l’épuisement émotionnel et la dépersonnalisation.

La dimension d’épuisement, de fatigue serait celle qui aurait la prédictivité péjorative la plus importante. La fatigue chronique pourrait évoluer vers des troubles anxiodépressifs avec d’abord une baisse de l’estime de soi, voire des troubles plus spécifiques décrits parfois dans les nosograpies sous la rubrique  » job related neurasthenia  » (OMS). Les sujets en burn-out adoptent souvent des conduites d’automédication avec des psychostimulants (amphétamines, cocaïne, caféine, modafinil) pour tenter de recouvrer un niveau élevé de performances professionnelles, de l’alcool et des anxiolytiques pour réduire l’angoisse.La présence de conduites addictives ou de manifestations somatiques (hypertension artérielle, douleurs chroniques, diabète sucré…) est tantôt considérée comme élément constitutif du burn-out, tantôt comme complication.

Les données de la biologie

S’agissant d’une pathologie associée au stress, la recherche d’éventuelles altérations biologiques chez les sujets manifestant des symptômes évocateurs de burn-out s’est d’abord focalisée sur l’exploration de l’axe hypothalamo-hypophyso-adrénocorticotrope (HHA), dont l’activation sous-tend les réponses biologiques (en premier lieu la sécrétion de cortisol) aux agents stresseurs. Les psychopathologies qui mettent en jeu des anomalies fonctionnelles de l’axe HHA sont les troubles anxieux, la dépression et le syndrome de stress post-traumatique (SSPT). De fait, l’exploration de l’axe HHA a conduit à la mise en évidence, chez au moins 50% des patients dépressifs, d’un déficit de son rétrocontrôle inhibiteur par le cortisol (test d’échappement à la dexaméthasone), en relation avec un contrôle épigénétique négatif de l’expression de son récepteur (récepteur aux glucocorticoïdes, GR) dans certaines structures cérébrales (hypothalamus, hippocampe, cortex frontal).

Au contraire, chez les patients souffrant de SSPT, l’anomalie fonctionnelle semble être davantage une exacerbation du rétrocontrôle inhibiteur de l’axe HHA. Bien que les dosages de cortisol dans la salive ou le sang confirment l’existence d’altérations fonctionnelles de l’axe HHA chez les sujets en burn-out, les données publiées montrent une grande hétérogénéité, laissant à penser qu’elles pourraient s’apparenter en partie à la dépression, en partie au SSPT, voire correspondre à un état subclinique de l’une ou l’autre de ces psychopathologies14.

Le système immunitaire présente également des anomalies fonctionnelles majeures dans l’état de stress chronique, avec un particulier une augmentation de la production et de la sécrétion des cytokines pro-inflammatoires, notamment IL-1, IL-6 et TNF, aussi bien au niveau périphérique (macrophages, cellules dendritiques, mastocytes…) que central (microglie, astrocytes, neurones). Cet état pro-inflammatoire, dont témoigne aussi l’élévation des taux circulants de la protéine C réactive, pourrait jouer un rôle dans la physiopathologie de la dépression et du SSPT puisqu’il a été montré récemment que l’inhibition pharmacologique de la production de IL-1 et TNF alpha réduit certains de leurs symptômes. Le burn-out est, selon certains auteurs, également associé à une élévation des taux circulants de cytokines pro-inflammatoires17.

Plusieurs facteurs trophiques comme le BDNF (Brain Derived Neurotrophic Factor), le VEGF (Vascular Endothelial Growth Factor) et l’EGF (Epidermal Growth Factor) ont été décrits comme présentant des taux circulants significativement différents chez des sujets en état de burn-out comparativement à des sujets sains. En particulier, la baisse des taux sanguins de BDNF (au réveil) est intéressante parce qu’elle rappelle celle qui a été rapportée chez une proportion significative de patients déprimés ou souffrant de SSPT. Les données concernant le BDNF pourraient conforter l’idée que la physiopathologie du burn-out s’apparente bien à celle de la dépression et/ou du SSPT. Il en est de même pour le VEGF puisque l’augmentation de ses taux circulants récemment rapportée chez des sujets en burn-out a déjà été signalée chez des déprimés sévères.

Pour l’heure, trop peu d’investigations en neuro-imagerie structurale ou fonctionnelle ont été mises en œuvre chez les sujets en burn-out pour pouvoir établir une comparaison avec l’involution hippocampique et les autres observations rapportées à la fois chez les patients ayant présenté des épisodes dépressifs sévères répétés et chez ceux souffrant de SSPT.

Le gène qui code le transporteur plasmique de la sérotonine (SERT) est particulièrement intéressant puisque ce transporteur est la cible moléculaire des antidépresseurs les plus prescrits aujourd’hui, les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine ou ISRS. De fait, la diminution de la méthylation d’une région CpG du promoteur de ce gène qui a été rapportée dans les lymphocytes de sujets en burn-out, pourrait entraîner, si elle était également présente dans les neurones centraux, une augmentation de l’expression du transporteur et de la recapture, et donc une baisse des taux extracellulaires de la sérotonine au niveau cérébral.

En conclusion, le burn-out reste une entité mal définie au plan biologique.

L’évaluation du burn-out    

Le MBI (Maslach Burnout Inventory) est l’instrument d’évaluation le plus souvent employé pour mesurer la sévérité du burn-out. Adapté dans de nombreuses langues, dont le français, il est un outil d’une vingtaine de questions. La forme historique s’adresse aux professionnels de l’aide et s’intitule MBI-HSS (pour Human Service Survey). Une deuxième version a été élaborée à destination des enseignants, le MBI-Educators Survey (MBI-ES), puis le MBI-General Survey (MBI-GS), pour toute population. Chacune de ces versions explore trois dimensions : épuisement, dépersonnalisation, réduction du sentiment d’accomplissement de soi. Seule la version HSS a fait l’objet d’évaluation en langue française 18.Ces dimensions étant indépendantes entre elles, il est erroné, comme certains ont pu le faire, d’additionner les scores de chaque dimension pour évaluer globalement le burn-out. Le MBI ne fournit pas de  » cut-off  » permettant de poser un diagnostic mais distingue, pour chacune des trois dimensions, des niveaux  » faible « ,  » moyen  » ou  » élevé « , définis par l’auteur lors de la construction de l’outil en séparant les scores en trois tertiles. Il est donc illusoire d’indiquer le pourcentage de cas de burn-out au sein d’une population avec le MBI19.

Il existe des questionnaires explorant d’autres dimensions du burn-out. Citons le Oldenbourg Burnout Inventory (OLBI), le Copenhagen Burnout Inventory (CBI), le Shirom Melamed Burn-out Measure (SMBM) et le Burnout Measure de Pines (BM) :

aucun de ces outils n’est un outil diagnostique.

L’épidémiologie du burn-out

Les données épidémiologiques sur le burn-out sont à ce jour très insuffisantes, tant dans le domaine descriptif qu’analytique.Cette défaillance est la conséquence logique des difficultés à poser avec précision les limites du burn-out. Pourtant, de nombreux chiffres circulent. Un cabinet spécialisé dans la prévention des risques professionnels annonçait au début de l’année 2014 le chiffre de 3 millions de sujets concernés par le burn-out en France20.Une étude réalisée en Belgique indiquait qu’environ 19 000 de nos voisins étaient touchés par le burn-out21. En extrapolant ces derniers chiffres à la population active de la France, quelque 100 000 personnes seraient touchées. Très récemment, l’Institut de Veille Sanitaire estimait que la part du burn-out représente environ 7 % des 480 000 salariés en souffrance psychologique liée au travail, soit un peu plus de 30 000 personnes22.Le caractère normé des instruments de mesures, au premier rang desquels le questionnaire de Maslach23 est un piège24 : ces instruments (autoévaluations) définissent la survenue du trouble à partir de seuils statistiques, sans rapport avec la gravité clinique de la symptomatologie. L’interprétation des résultats rapportés dans la littérature est donc impossible en termes épidémiologiques.

De nombreuses études ont recherché des facteurs de risques relevant de domaines différents25.

   Variables sociodémographiques

L’âge peut protéger : si l’on a réussi à rester en situation de travail jusqu’à un certain âge, c’est que l’on est, statistiquement, résilient face au burn-out. Mais il peut aussi être un facteur de risque du fait de l’augmentation quasi linéaire de la charge d’exposition en fonction de la progression de la carrière professionnelle. Il semble que les femmes soient plus vulnérables mais l’effet du genre peut être confondu avec le métier. De la même façon, le haut niveau socio-économique, souvent considéré comme un facteur de risque, peut lui aussi être confondu avec le type de profession exercée. Chez les hommes, le célibat ou la séparation augmentent le risque de burn-out26.

   Type de métier

Alors que les métiers avec beaucoup de contacts interpersonnels sont régulièrement considérés comme les plus à risque, il semble plutôt que les métiers les plus concernés sont ceux où il est nécessaire de montrer ou de réprimer ses émotions et les métiers où il faut faire preuve d’empathie27  

Les facteurs étiologiques du burn-out

Les facteurs de risques psychosociaux ont été recensés il y a quelques années par un collège d’expertise de l’Insee28, à la demande du ministre du Travail29.Ces facteurs se regrouperaient en six grandes catégories :

1)   les exigences du travail,

2)   les exigences émotionnelles,

3)   le manque d’autonomie et de marges de manœuvre,

4)   le manque de soutien social et de reconnaissance au travail,

5)   les conflits de valeurs,

6)   l’insécurité de l’emploi et du travail.

Pour le Ministère du Travail, le burn-out résulte de l’exposition à plusieurs facteurs de RPS, créant une situation de déséquilibre pour l’individu30. Mais, les études manquent pour apprécier le poids de chacun de ces facteurs.

Les modèles classiques du stress au travail semblent pertinents pour expliquer l’apparition d’un burn-out. C’est notamment le cas de celui développé par Karasek qui souligne le rôle joué à la fois par la charge de travail mais aussi par l’absence d’autonomie de l’individu pour faire face à cette charge31. Ou encore celui de Siegrist qui explique le stress professionnel par le déséquilibre entre les efforts réalisés par l’individu et les récompenses (dont la reconnaissance) qu’il obtient en retour32. Certains auteurs évoquent la notion de  » contrat psychologique  » (entre l’employé et l’employeur) violé qui serait à l’origine du burn-out. Au contraire, la sécurité de l’emploi et les opportunités de carrière seraient des facteurs protecteurs à la condition qu’une promotion ne confronte pas le sujet à trop de difficultés pour lui insurmontables. Le burn-out ou épuisement professionnel s’expliquerait donc par la rencontre d’un individu avec un environnement de travail dégradé. Sa survenue dépendrait à la fois de caractéristiques liées au travail et de caractéristiques propres à l’individu.

Plusieurs auteurs ont mentionné le rôle des traits de personnalité dans l’apparition d’un burn-out. On a notamment invoqué la présence d’un neuroticisme élevé, de difficultés à gérer le stress ( » coping passif/défensif « ), des tendances au perfectionnisme, une propension à l’hyperactivité et à l’addiction au travail ( » workaholisme « ) 33.Selon certains auteurs, les facteurs personnels entreraient en compte dans 40 % des causes de l’épuisement professionnel et les facteurs organisationnels dans 60 %34. Parmi ces derniers, la qualité du management tient une place déterminante. Le poids de l’environnement extra-professionnel interviendrait également35. Même si le terme de burn-out est intimement associé à la dimension professionnelle, il faut souligner que le phénomène a été mis en évidence dans d’autres contextes, par exemple celui des mères au foyer36.

La prévention et la prise en charge thérapeutique

Les diverses stratégies de prévention du burn-out rejoignent les stratégies de prévention des risques psychosociaux. Les domaines de mise en œuvre de cette prévention sont l’organisation du travail, le management des personnes et le fonctionnement psychique des individus eux-mêmes. Ainsi, la lutte contre le  » workaholisme  » et le surinvestissement de l’activité professionnelle doivent faire partie intégrante de la démarche de prévention.

La prise en charge d’une personne en état de dépression d’épuisement associe éloignement du travail (malgré le risque de difficultés au retour), une thérapeutique médicamenteuse antidépressive et une psychothérapie de reconstruction émotionnelle et de l’estime de soi. Le recours aux antidépresseurs (notamment les ISRS) et aux anxiolytiques est souvent la solution choisie par le prescripteur alors que le burn-out ne semble être ni une dépression ni un SSPT stricto sensu. À côté de la prise en charge psychothérapique, d’autres traitements, mieux adaptés à une  » forme subclinique de dépression/SSPT « , devraient être développés.

À ce jour aucune pathologie mentale ne figure dans le tableau des maladies professionnelles de la Caisse Nationale d’Assurance Maladie (CNAM). Il en va de même dans les autres pays européens, à l’exception du Danemark qui reconnaît comme maladie professionnelle l’état de stress post-traumatique. L’inscription du burn-out au tableau des maladies professionnelles, débattue par les parlementaires français au printemps 2015, a finalement été rejetée probablement du fait de l’imprécision des contours de cette réalité. Les  » dépressions d’épuisement  » peuvent actuellement être reconnues comme maladies professionnelles  » hors tableau  » : il faut faire davantage connaître aux médecins, à leurs patients et aux partenaires sociaux les modes simples de recours devant les Comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles (C2RMP).

LA PLACE DES ACTEURS

La diversité des acteurs

La connaissance des facteurs de protection de la santé mentale ou au contraire de fragilisation devrait être mise à la portée du grand public. Plusieurs rapports soulignent que les managers sont insuffisamment formés à la santé au travail37. Dans un rapport sur le bien-être et l’efficacité au travail remis au Premier Ministre en 2010, il est clairement indiqué le rôle prépondérant du management dans ce domaine38 :  » La santé des salariés ne s’externalise pas, c’est d’abord l’affaire des managers « . Les conclusions de plusieurs études réalisées dans des pays étrangers, dont le Québec, vont dans le même sens :  »  » À chaque instant, par ses comportements, ses décisions, ses pratiques, le manager peut être un facteur de risque ou un facteur de protection pour la santé de ses équipes39« . Les missions d’instances comme les CHSCT (Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail) dans le domaine de la protection de la santé des salariés doivent être réaffirmées.Le Bureau International du Travail estime que les effets négatifs du stress représentent entre 3 et 4 % du PIB des pays industrialisés40. En Europe, le coût économique annuel du stress au travail dépasserait les 20 milliards d’euros41. Bien que les études françaises soient rares dans ce domaine, celle de l’INRS est en accord avec les chiffres européens puisqu’elle conclut à un coût minimum 2 à 3 milliards d’euros pour le stress professionnel dans notre pays en 200742. A la lumière de ces chiffres particulièrement éloquents, plusieurs études internationales affirment qu’il est rentable de s’intéresser à ce sujet43.

Les médecins

La France a été reconnue en son temps comme pionnière au niveau international avec l’identification et la description au milieu du 20ème siècle d’une véritable psychopathologie du travail. Aujourd’hui, le modèle anglais du  » stepped care « , définissant trois niveaux de sévérité et pour chacun des réponses indiquant la nature du soin et les professionnels susceptibles de le mettre en œuvre, apparaît particulièrement intéressant. De fait, cette approche évaluée positivement par le National Health Service donne des résultats probants, y compris sur le plan économique, et aide à une meilleure pertinence des orientations vers le spécialiste en psychiatrie44. Les nosographies psychiatriques (DSM V ou CIM 10) permettent l’identification de troubles tels que l’épisode dépressif majeur, trouble anxieux, état de stress post traumatique ou trouble de l’adaptation. Des questionnaires spécifiques sont des outils d’aide au diagnostic ou d’évaluation d’intensité du trouble (Beck Depression Inventory ou BDI, Hospital Anxiety Depression Scale ou HAD, Hamilton Anxiety Rating Scale ou HARS…) que tout médecin doit savoir utiliser.

Le rôle spécifique du médecin du travail est bien défini :

   il est le conseiller de l’employeur, des partenaires sociaux et des salariés sur les questions de santé ;

   en tant qu’expert, il alerte sur les risques ayant un impact durable sur la santé et il est consulté dans le cadre des instructions pour la reconnaissance des maladies professionnelles ou à caractère professionnel.

Qu’il se situe dans un service autonome ou dans un service inter-entreprises, le médecin du travail exerce en toute indépendance, soumis au secret médical. La loi du 20 juillet 2011 a renforcé la notion de droit à la santé au travail, ce qui confère au médecin du travail un rôle de prévention de tout facteur d’altération de la santé des travailleurs. Une entrave à cette mission est le trop fréquent isolement du médecin du travail.

Les recommandations de l’Académie

·   Définir : Le terme de burn-out renvoie à une réalité mal définie, d’un état de détresse psychologique à un état pathologique de syndrome d’inadaptation à un facteur stressant chronique. Le terme de burn-out ne peut donc être actuellement un diagnostic médical. Son usage extensif conduit à confondre détresse (ou fatigue) et pathologie émotionnelle : seule celle-ci justifie un traitement notamment médicamenteux ayant apporté la preuve de son efficacité dans le cadre nosographique défini.

·   Agir : Des actions doivent être mises en œuvre par les organismes en charge de la recherche médicale pour l’établissement de critères cliniques, l’identification des mécanismes physio et psychopathologiques et, en conséquence, de modalités préventives et thérapeutiques de l’épuisement professionnel.

·   Donner la priorité aux  » maladies de société  » : Une priorité doit être donnée aux maladies dites de société (complications somatiques et psychiques du stress) dans les programmes de formation des étudiants en médecine et de développement professionnel continu des professionnels de santé.

·   Collaborer : Une collaboration entre médecine du travail et management de l’entreprise doit être institutionnalisée dans une démarche de prévention du burn-out et des pathologies mentales liées au travail. Les conditions d’exercice de cette médecine doivent être reconsidérées en concentrant leur mission sur la démarche de prévention du burn-out.

·   Communiquer : Une structure capable de faciliter la coopération entre les ministères concernés serait hautement utile, à l’instar de ce qui existe pour d’autres questions de santé et sécurité publique telles que toxicomanies ou sécurité routière. La santé psychique au travail ne peut retenir la seule attention du Ministère du Travail. Il est urgent que le Ministère de la Santé développe des campagnes d’information auprès du grand public et des professionnels de soins pour une promotion de la santé mentale.

Auteurs :Jean-Pierre Olié*, Patrick Légeron** (rapporteurs)– Au nom d’un groupe de travail des Commissions V (Psychiatrie et santé mentale).

Membres du groupe de travail :

Alain Acker, Monique Adolphe*, Jean-François Allilaire*, Alain Chamoux, Bruno Falissard*, Christian Géraut*, Claude Pierre Giudicelli*, Michel Hamon*, Jean-Roger Le Gall*, Patrick Légeron, Henri Lôo*, Driss Moussaoui*, Guy Nicolas*, Jean-Pierre Olié*, Yvan Touitou*.

* Membres de l’Académie nationale de médecine   ** Psychiatre, fondateur de Stimulus

Les membres du groupe de travail déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts en relation avec le contenu de ce rapport.

Personnalités auditionnées

Alain Acker (médecin du travail, Eurodisney), Alain Chamoux (médecin du travail, CHU Clermont-Ferrand), Nicolas Dantchev (psychiatre, Hôtel Dieu), Michel Hamon (neurobiologiste, membre de l’Académie de médecine, Jean-Roger Le Gall (urgentiste, membre de l’Académie Nationale de Médecine), Gérard Lasfargues (médecin du travail, ANSES), Patrick Légeron (psychiatre, fondateur de Stimulus), Charles Pull (psychiatre, Luxembourg), Michel Rieu (physiologiste, médecin du sport), Didier Truchot (PDG d’IPSOS).

BURN OUT: Une maladie de société qui reste encore à définir  – Académie nationale de Médecine
Plus d’études sur le Burn out 

Biblio

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