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Pourquoi le stoïcisme est si raide: un élément d'explication

Publié le 12 juin 2008 par Vincent

Hadot.jpgJe relisais de Pierre Hadot le livre réédité en poche La Philosophie comme manière de vivre. C'est un livre agréable à lire car l'auteur répond à des questions et la forme dialoguée permet une lecture rapide. Un passage a attiré mon attention, c'est sur les stoïciens et plus particulièrement sur Epictète. Quand on lit le Manuel d'Epictète, on y trouve des passages plutôt raides au premier abord, du style: tout comme la cruche se cassera, ton épouse mourra, tu dois apprendre à ne pas t'y attacher (je paraphrase de mémoire - il faut savoir d'ailleurs que le Manuel comme les Entretiens sont des compilations d'un dénommé Arrien, Epictète n'ayant pas, à l'image du célèbre Socrate, laissé d'écrit). Pierre Hadot explique pourquoi Epictète y est dur (et moins nuancé que dans les Entretiens) - les passages en italique sont de moi:

" C'est que les élèves qu'il a (= Epictète) à Nicopolis sont souvent des jeunes gens, riches en général, qui vont entreprendre une carrière politique. Mais, pendant qu'il les tient dans son école, il essaie de leur faire pratiquer la philosophie la plus stricte. Alors, il leur dit: il ne faut pas courir les filles (ou les garçons nous dit aussi un passage du Manuel),il faut modérer  sa manière de manger, etc. : toutes sortes de conseils rigoristes si l'on peut dire. Et j'ai comparé cela aux novices religieux qui sont enfermés dans le couvent, qui sont formés à la vie religieuse mais qui après sont envoyés dans le monde. les élèves d'Epictète, eux aussi, vont repartir, et Epictète prévoit ce qu'ils vont faire en rentrant chez eux. Il leur donne alors des conseils sur la manière de participer aux banquets, d'assister aux spectacles, et même de mener leur vie politique."

C'est intéressant car si on va plus loin, on pourrait dire qu'Epictète force volontairement le trait pour qu'il en reste quelque chose. Un peu comme Marc Aurèle qui écrit que le désir sexuel n'est que le frottement d'un boyau et l'éjaculation avec un certain spasme, d'un peu de morve mais ne s'en abstient pas pour autant (ce qui ne veut pas dire qu'il y ait contradiction, Marc Aurèle n'aurait pas écrit une telle phrase s'il n'avait pas été habité par le désir sexuel). Notre vision du stoïcisme est faussée par le fait qu'il nous reste des textes (et encore pas tous) qui portent sur les efforts à faire, on a eu tendance à voir les stoïciens comme d'affreux rigoristes alors qu'il y avait toutes les chances que dans leur pratique quotidienne une très grande souplesse se rencontrait. P. Hadot dit ainsi : "On se posait la question suivante: si on vend une maison, est-ce qu'on a le droit de cacher les défauts de cette maison, ou bien est-ce qu'il faut les dévoiler ? Il y avait des stoïciens plutôt hérétiques qui disaient : oui, on peut cacher les défauts , mais les stoïciens orthodoxes disaient: non, on n'a pas le droit de faire cela". 

Au fond, c'est cette souplesse qui explique pourquoi on trouve tant de stoïciens à l'époque romaine près de la sphère du pouvoir. Je ne pense pas que ce soit l'explication première de cette diffusion si importante du stoïcisme à l'époque romaine mais c'est un élément d'explication qui est longtemps resté caché car on se représentait les stoïciens avec la rigueur inflexible d'un Caton l'Ancien. Or, si c'était le cas, comment expliquer que nous ayons tant de noms de stoïciens proches du pouvoir ? Le cas Sénèque analysé par Grimal est intéressant: il a tenté de maintenir Néron dans la morale tout en cautionnant l'assassinat d'Agrippine. En relisant l' Histoire de la Rome antique de Lucien Jerphagnon (l'ouvrage le plus agréable que je connaisse pour survoler le monde romain, à lire si on pense encore que Néron a mis le feu à Rome ou que Claude était un affreux pervers), j'ai été frappé par le nombre de personnalités soit stoïciennes soit influencées par le stoïcisme qui ont flirté avec le pouvoir, s'y opposant certes mais le légitimant parfois au nom de l'ordre des choses. Toutes proportions gardées, on pourrait se demander si les stoïciens n'ont pas anticipé Machiavel.


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