Magazine

Chronique politique du Pérou, février 2016. Préparation de la campagne présidentielle

Publié le 19 février 2016 par Slal


CHRONIQUE POLITIQUE DU PEROU, JANVIER 2016

PREPARATION DE LA CAMPAGNE PRESIDENTIELLE : CANDIDATS INQUIETANTS ET GRAND DESARROI DES CITOYENS

Mariella Villasante Cervello

Anthropologue EHESS, Institut de démocratie et droits humains de la PUCP, Lima

La campagne présidentielle pour les élections du 10 avril et du 5 juin 2016 bat son plein depuis la fin de l'année 2015, et 22 millions d'électeurs sont attendus aux urnes. Aux trois candidats des élections précédentes — Keiko Fujimori, Alan García et Pedro Pablo Kuczynski —, se sont ajoutés deux autres qui étaient inconnus sur la scène politique péruvienne jusqu'à récemment. Il s'agit de César Acuña et Julio Guzmán. Comme au cours de la campagne de 2011, Keiko Fujimori, fille du dictateur Alberto Fujimori qui purge une lourde peine de prison pour ses méfaits durant son mandat à la tête de l'État [1990-2000], concentre environ 30% de l'électorat péruvien. Un pourcentage inquiétant pour un pays qui tente d'affirmer ses valeurs républicaines. Mais cela signifie aussi, ainsi que le note Hernán Chaparro (Directeur de la société de sondages GfK), que 70% des électeurs tentent de trouver une alternative viable (La República du 10 janvier ). De fait, ce haut niveau d'intention de vote est associé au niveau particulièrement bas de culture politique des secteurs les plus touchés par le discours populiste de la famille Fujimori. Face au choix des candidatures, les citoyens péruviens conscients de leurs droits se retrouvent dans un grand désarroi.

Photo 1 : Principaux candidats présidentiels au Pérou (La República)

Il est navrant de constater en effet qu'une grande partie des électeurs se sont lassés des jeux politiques absurdes des dernières années, et se sont éloignés du monde politique réel pour se replier sur l'individualisme. Il s'agit d'un secteur classé comme « conformistes désinformés » qui représenterait, selon Chaparro, la moitié des électeurs péruviens. Le chiffre est imposant. Selon un sondage centré sur les typologies de la culture politique, les Péruviens adoptent une posture très individualiste et pragmatique, construite sur la déception du monde politique. Au niveau local cela se reflète dans l'élection de Luis Castañeda à la Mairie de la capitale, et au niveau national cela s'exprime par le choix de Keiko Fujimori ou celui de César Acuña. La moitié des électeurs ne suivrait même pas la campagne actuelle et choisirait de voter pour tel ou tel candidat la veille des élections. Il s'agit de personnes qui ne demandent qu'une chose, la sécurité dans leurs quartiers, par n'importe quel moyen. Les électeurs de Keiko Fujimori auraient aussi un lien affectif fort avec elle, fabriqué et cultivé par Alberto Fujimori qui, dans les années 1990, se présentait comme le « sauveur du peuple péruvien ».

Dans le sondage cité, 25% des enquêtés sont classés dans le groupe de « critiques participatifs », des gens qui ont le goût du politique mais rejettent le monde politique péruvien ; ils sont suivis par 21% de personnes « insatisfaites » qui rejettent la politique et prennent leurs distances. Dans ces deux groupes, nombreux sont ceux qui affirment qu'ils participeraient à la vie politique avec des partis réellement démocratiques. Ils réclament la transparence et l'absence de corruption, mais l'idée des « partis historiques » n'existe plus. Il faut rappeler que les partis ont disparu progressivement depuis le coup d'État de 1968 et la guerre interne, et cette mort annoncée des partis due à l'autoritarisme et à l'absence de démocratie a été accélérée par le régime du dictateur Alberto Fujimori (1990-2000).

Le vide politique est donc une nouvelle fois flagrant. Après la disparition des partis politiques, nous sommes confrontés à un trop plein de discours populistes s'adressant à une population qui rejette l'ordre politique public, qui connaît mal ou pas du tout les valeurs démocratiques et républicaines, et qui ne sait pas non plus à quel saint se vouer. Dans les derniers sondages, l'ancien président (centre-droite) García n'obtient que 6,5% des voix, le candidat de la droite traditionnelle, Kuczynski, obtient 9,5%, et les outsiders Acuña et Guzmán se talonnent autour de 10%. Si l'on rappelle que les couches les plus pauvres du pays représentent la moitié des électeurs, et que les voix de la droite (García et Kuczynski) se concentrent dans les quartiers des classes moyennes et bourgeoises de Lima, on peut en déduire que le futur président péruvien sera élu par les pauvres : il s'agira d'un choix entre Fujimori et Guzmán, car Acuña vient d'être mis hors-jeu suite à des accusations avérées de plagiat de ses travaux universitaires.

Donc, une fois encore, nous nous trouvons devant un choix cornélien, car aucun candidat ne représente une alternative crédible d'amélioration des conditions de vie des 30 millions de Péruviens. On y reviendra après l'analyse de l'économie. On évoquera par la suite les droits humains et les peuples originaires, l'insécurité, les terroristes et la culture comme voie de construction de la nation.

ÉCONOMIE : LES EFFETS D'EL NIÑO, LA RECESSION ET L'INFLATION

Selon un rapport de l'Institut national de statistique et informatique (INEI), la croissance péruvienne a été de 3,95% en décembre, grâce notamment aux bonnes performances des secteurs de la pêche et de l'extraction du cuivre. On estime que le PBI a augmenté de 2,9% en 2015, ce qui coïncide avec les prévisions du ministère de l'Économie et Finances et de la Banque centrale. Le secteur minier a augmenté de 22% au mois de décembre en raison de la mise en activité de plusieurs projets miniers.

Le ministre de l'Économie, Alonso Segura, a annoncé au Forum économique mondial de Davos que la croissance serait de 3,5 à 4% au cours de l'année en cours. Pourtant, l'économiste Javier Zuñiga a déclaré que pour atteindre ce taux, il aurait fallu atteindre une croissance de 5% en décembre dernier. D'après lui, si l'impact d'El Niño est inférieur aux prévisions, et si la crise internationale ne s'aggrave pas, on pourrait connaître entre 3,3 et 3,5% de croissance en 2016. Il a précisé également que les prix des minerais resteront bas, et que la pêche est incertaine (La República du 2 février 2016).
>br>

Photo 2 : Sécheresse à Puno (La República du 22 janvier 2016)

Or, comme nous savons que la crise internationale reste bien d'actualité, et que la phénomène El Niño a causé de graves dégâts, on peut prévoir une croissance très basse en 2016. En effet, l'impact d'El Niño a été et reste très fort dans le pays, où le sud du pays traverse une grave période de sécheresse, notamment dans la zone d'Arequipa, Moquegua, Tacna et Puno. On estime que 50% de la production de riz sera perdue dans la vallée du Tambo ; dans le département de Tacna, plus de 8 000 hectares de cultures sont menacés (La República du 22 janvier 2016). Les prix des produits de consommation de base ont augmenté de 4,35% au cours de la période allant de février 2015 à janvier 2016, mais aussi le logement, l'eau, l'électricité, le gaz, et les aliments en général (notamment le poisson, ce qui a fait grimper le prix du ceviche, notre plat national). L'inflation a augmenté de 0,42% lors du dernier trimestre, et selon la Banque Scotiabank, elle pourrait atteindre entre 4,6 et 5% en mars (La República du 2 février 2016).

Photo 3 : Ceviche peruano

Le taux de change du dollar a atteint son prix le plus élevé en onze ans, soit 3,482 soles. La monnaie nord-américaine a augmenté de 1,99% en 2015 face au sol péruvien. Les entreprises ont en effet utilisé le dollar comme valeur refuge après la chute du secteur des manufactures en Chine, et les conséquences de la récession de l'économie globale (La República du 2 février 2016).

Selon l'Association des producteurs, les agro-exportations de fruits et des légumes frais ont augmenté de 13% par rapport à 2014. Il s'agit notamment du raisin, des asperges, de l'avocat, de la mangue et des citrons (La República du 2 février 2016).

Les investissements des sociétés péruviennes dans la région se sont accrus, notamment en Colombie où le Pérou peut commercialiser ses tissus et son coton, complémentaires aux produits colombiens. Les Péruviens investissent également dans l'agro-industrie, les produits cosmétiques et d'hygiène, la chimie, les technologies de l'information, les services financiers, et les services de transport. Les régions les plus concernées sont Antioquia, Atlántico, Cundinamarca, Bogotá, Bolívar y Valle. Une vingtaine de sociétés colombiennes sont présentes au Pérou, notamment dans les secteurs de la construction, de l'énergie, du pétrole, du gaz, de la chimie, du textile et du tourisme (La República du 2 février 2016).

Selon un rapport qui vient de publier le CEPLAN (Centro nacional de planeamiento estratégico) le Pérou est l'un des cinq pays avec le taux d'économie informelle le plus élevé de la région, cela malgré la bonne croissance économique des dix dernières années. Selon les données de l'INEI, en 2014, 11,5 millions de Péruviens (72% du total de la population) avaient un emploi informel, dont 8,8 millions (56%) qui travaillaient dans le secteur informel lui-même et 2,7 millions (17%) dans le secteur formel. On sait de plus qu'un travailleur déclaré gagne presque le double qu'un travailleur informel ; en 2014, un travailleur déclaré gagnait près de 12 soles de l'heure [3€], contre seulement 5,30 soles [1,36€] dans l'informel. Les secteurs les plus touchés par l'économie informelle sont l'agriculture (97%), les transports (80%), la construction (75%) et le commerce (74%). Cela implique que plus de la moitié de la PEA se trouve en dehors du système économique classique et ne paye pas d'impôts.

Le salaire minimum est actuellement de 750 soles [193€], alors qu'on estime qu'une famille de quatre personnes ne peut vivre qu'avec 1 212 soles [312€]. En outre, le Pérou occupe la 8e place des salaires moyens sur les dix pays sud-américains avec 260$ dollars / mois, devant la Bolivie (240$ / mois) et le Venezuela (85$ / mois). Les pays où les salaires sont les plus hauts sont l'Argentine (520$ / mois), le Paraguay (410$ / mois) et le Chili (375$ / mois). Selon l'économiste Armando Mendoza, le débat sur l'augmentation du salaire minimum n'est pas technique mais plutôt idéologique. En effet, le paiement des travailleurs est perçu par les hommes d'affaires comme une charge et non comme un droit, et nous sommes très en retard de ce point de vue dans l'espace sud-américain. Le président Humala avait promis une augmentation en 2015, mais rien ne fut annoncé (La República du 16 juillet 2015). Actuellement, tous les candidats proposent une augmentation d'au moins 200 soles [52€], alors que la Centrale générale des travailleurs (CGTP) réclame 1 500 soles [386€] de salaire minimum.

• En décembre 2015, le président Humala a clôturé la Conférence annuelle des entrepreneurs et des hommes d'affaires (CADE) en soulignant qu'au cours de son mandat le PIB avait été supérieur à 3%, et il a proposé que le prochain gouvernement atteigne les 6%... Autant de vœux pieux lorsqu'on sait que la situation économique du pays est mauvaise (La República du 4 décembre 2015).

• Le 30 janvier, le président Humala, accompagné du Premier ministre Cateriano, de la ministre du Commerce, Magali Silva, a lancé officiellement l'organisation de l'APEC [Foro de cooperación económica Asia-Pacífico] qui aura lieu les 19-20 novembre 2016. Il s'agit d'une association de 21 pays d'Asie et des Amériques qui représentent 58% du PIB mondial.

Photo 4 : Le président Humala, cérémonie de lancement du Forum de l'APEC (Gobierno del Perú)

Rappelons que l'APEC a été créée en 1989 dans le but d'assurer une croissance inclusive et novatrice des pays membres ; en particulier en réduisant les barrières commerciales, en promouvant les exportations, et en créant en 2020 un système de commerce transparent et libéral. Grâce à l'APEC, le Pérou a augmenté ses exportations vers la Chine (30%), les USA (30%), le Canada (29%) ; le pays importe des produits des États-Unis (33%), de la Chine (32%), du Canada (29%) et du Mexique (7%).

Chronique politique du Pérou, février 2016. Préparation de la campagne présidentielle
Photo 5 : Infographie APEC (La República)

POLITIQUE GENERALE : ELECTIONS PRESIDENTIELLES

Selon une enquête du journal Correo, la cote de popularité du président Humala est au plus bas avec 14% de satisfaits contre 84% de mécontents ; pour 66% des personnes interrogées, c'est Nadine Heredia qui prend les décisions de gouvernement ; 24% considèrent que les décisions sont partagées et seulement 7,7% pensent que Humala administre le pays (La República du 10 novembre 2015). Ces derniers mois de mandat sont donc particulièrement éprouvants pour le couple et le parti nationaliste vit ses derniers jours.

Photo 6 : Les 7 principaux candidats des élections au Pérou (La República)

Comme on le notait dans l'introduction, actuellement sur un total de 19 candidats officiels, cinq dépassent les 6% d'intentions de vote selon les sondages. En tête de liste on trouve Keiko Fujimori (32%), suivie par Julio Guzmán (10,40%), César Acuña (10%), PPK (9,50%) et enfin Alan García (6,50%).

Photo 7 : Infographie sur l'intention de vote des cinq premiers candidats

Les autres candidats recueillent très peu d'intentions de vote : l'ancien président Alejandro Toledo [2001-2005] ne concentre que 2,70%, et la candidate de la gauche, Verónika Mendoza, seulement 1,90%. Viennent ensuite Renzo Reggiardo (1,40%), Daniel Urresti, candidat du parti nationaliste, accusé de crimes durant la période de la guerre interne (0,90%), Gregorio Santos, le leader du mouvement de Yanacocha des années 2013-2014 (0,60%), et Alfredo Barnechea (0,50%).

Examinons les principaux candidats selon leurs orientations, pour peu que les termes gauche et droite aient encore un sens dans la scène post-moderne mondiale. Keiko Fujimori se situe dans un cadre populiste de droite, dont les tendances autoritaires et népotistes ne sont un secret pour personne. Selon certains analystes, elle serait pourtant la seule à avoir préparé cette campagne, après avoir su s'imposer face à l'aile « albertistes » de sa mouvance politique. Comme on l'a noté dans les chroniques précédentes [2013 et 2014], son père, Alberto Fujimori, a essayé d'obtenir sa libération pour « causes humanitaires » pour organiser son retour aux élections présidentielles, mais la fille ne l'a pas aidé. Ainsi vont les choses dans la famille de l'ancien dictateur, et leur situation ne va sans rappeler celle de la famille Le Pen en France.

Photo 8 : Keiko Fujimori devant une sculpture représentant son père Alberto Fujimori (La República)

Les anciens présidents Toledo [Perú posible] et García [Alianza popular, APRA et PPC] pensaient occuper les places centrales dans ces élections, mais ils sont loin derrière selon les sondages. On pourrait les classer au centre-droit. Ils ont montré leurs tendances autoritaires, sans parler de leur populisme qui les situe, d'après eux, proche du « peuple péruvien ». Les nouveaux outsiders sont Julio Guzmán (droite) et César Acuña (centre-droit) qui obtiennent des taux d'intention de vote semblables à celui du candidat des élites, Pedro Pablo Kuczynski.

César Acuña [Alianza por el progreso] a été congressiste entre 2000 et 2006, ancien maire de la ville de Trujillo et gouverneur de la région de La Libertad (janvier-octobre 2015). Ses adjoints sont Humberto Lay et Anel Townsend. L'actuelle vice-présidente, Marisol Espinoza, le soutient aussi. A la fin janvier, il a été accusé de plagiat pour son mémoire de master (Universidad del Pacífico) et pour sa thèse (Universidad Complutense de Madrid). Son cas a fait l'objet d'une enquête officielle. Le président du Jury national des élections, Francisco Távara, a déclaré que si le plagiat était démontré, il serait exclu des élections. De plus, un ancien professeur, Otoniel Alvarado, a déclaré que son livre « Política educativa », publié en 1999, était paru en 2002 avec le nom de César Acuña, alors recteur de l'Universidad César Vallejo. Enfin, le 5 février, le plagiat était définitivement prouvé et sa candidature sera certainement invalidée.

Julio Guzmán Cáceres [Todos por el Perú] est économiste, titulaire d'un doctorat de l'Université de Maryland, Il a travaillé pendant dix ans à la Banque interaméricaine du développement, et a été secrétaire de la présidence du Conseil de Ministres (2012-2013). Ses adjoints sont Juana Umasi et Carolina Lizárraga. Ses propositions sont très proches de celles de PPK. Selon un sondage réalisé en janvier, quelque 12% de Liméniens voteraient pour lui en raison de sa « jeunesse » (il est né en 1970). Selon Carmen Omonte, candidate à la vice-présidence de Toledo, Guzmán a repris plusieurs propositions de son parti sans le dire (La República du 1er février). De son côté, le notable des hommes politiques de droite Víctor García Belaunde, a déclaré que Guzmán était un candidat des élites et un « pur produit factice, un produit de cosmétique parfumé. »

Photo 9 : Julio Guzmán Cáceres

Pedro Pablo Kuczynski [Perú por el Kambio] est économiste, il a travaillé pour la Banque mondiale, a été ministre de l'Économie dans le gouvernement de Toledo (2001-2002 et 2004-2005). Il fut aussi président du Conseil des ministres du gouvernement de García (2005-2006). Il possède la double nationalité nord-américaine / péruvienne, et se présente avec Martín Vizcarra et Mercedes Aráoz. Il est le candidat de la droite traditionnelle péruvienne, celle des beaux quartiers et des hommes d'affaires de Lima qui n'ont pas, ou peu, de contacts avec le reste du pays, où il demeure inconnu. Il considère Julio Guzmán comme une version plus jeune que lui, ce qui en dit long sur leurs ressemblances.

Photo 10 : Pedro Pablo Kuczynski

Alfredo Barnechea se place également dans ce milieu de droite, homme de lettres et journaliste, il fut député et membre du Parti Action Populaire depuis 2013. Il est soutenu par des personnalités telles que Victor Andrés García Belaunde et Edmundo del Aguila. Plusieurs personnalités de la gauche traditionnelle se sont réunies dans le Frente amplio et ont choisi d'accorder leur soutien à Verónika Mendoza, née en 1980, formée en France en psychologie et sciences sociales ; elle est congressiste pour Cusco depuis 2011 (Gana Perú). Elle est binationale par mère française, ce qui suscite des vives critiques, à l'instar du péruvien-américain PPK. Notons que selon la Constitution les binationaux peuvent être élus à la présidence. Ses adjoints sont Marco Arana et Alan Fairlie.

Photo 11 : Verónika Mendoza

Gregorio Santos se place également dans cette mouvance de gauche (Parti communiste Patrie rouge), ancien Gouverneur régional de Cajamarca, il conserve une certaine aura de dirigeant grâce à ses actions militantes des dernières années. Mais… il est en prison et ne peut pas participer aux débats.

Renzo Reggiardi (1,4%) et Daniel Urresti sont aussi des outsiders dont les candidatures font figure d'opportunisme populiste. Reggiardi fut congressiste pour le parti fujimoriste puis changea de parti en 2011. Urresti, commandant de l'armée (service des télécommunications), ancien ministre de l'Intérieur (2014-2015), est soutenu par le parti nationaliste au pouvoir, qui se trouve en pleine décomposition après les luttes intestines, et le déclin de Nadine Heredia, secrétaire générale du Parti nationaliste, et Première Dame du pays. Urresti a été accusé d'avoir participé à l'assassinat du journaliste Hugo Bustíos en 1988 ; à cette époque il était le chef des renseignements dans la base de Huanta (Ayacucho), ce qui pourrait lui coûter 25 ans de prison. De manière surprenante, l'ancienne maire de Lima, Susana Villarán, lui a apporté son soutien politique et postule à la vice-présidence, le second adjoint est Maciste Díaz. Dans un article paru dans le New York Times, Sonia Goldenberg considère que le soutien de Villarán est honteusement opportuniste . Il faut ajouter qu'il est le candidat du parti nationaliste du président Humala et de son épouse Nadine Heredia. D'autres candidats se partagent quelques intentions de vote : à gauche, Vladimir Cerrón, Yehude Simon ; au centre-droite, Antero Flores Araoz, Felipe Castillo, Francisco Diez Canseco, Miguel Hilario, Fernando Olivera et Hernando Guerra.

Les propositions sur les droits humains et les questions de société

D'une manière générale, les candidats n'accordent pas l'importance requise au domaine des droits humains dans un pays qui vit encore les séquelles d'une guerre interne et d'une guerre civile (dans les zones les plus touchées du conflit, Ayacucho et selva centrale). Cependant, ils avancent certaines propositions, dont certaines ont été recueillies le 28 janvier 2016.

• Fujimori propose une politique de réconciliation nationale, l'éradication de la discrimination et la violence contre les femmes, et l'amélioration des conditions des handicapés. Elle a reconnu le travail effectué par la Commission de la vérité et la réconciliation (CVR) et assure que les enquêtes seront poursuivies, sans préciser néanmoins si elle accepte les recommandations de ce rapport. D'autre part, elle promet de terminer le programme des Réparations aux victimes du conflit armé interne.

• Julio Guzmán propose une nouvelle réforme éducative pour favoriser l'enfance et la jeunesse, pour que tous les enfants aient au moins achevé le cycle du primaire, et pour introduire la perspective des genres dans les écoles. Les droits des femmes seraient renforcés par de nouvelles politiques. Les personnes handicapées et les anciens disposeraient de programmes de protection, ainsi que la population afro-péruvienne, et les communautés indigènes, dont on respectera les avis suivant la Loi de consultation préalable.

Photo 12 : César Acuña

• César Acuña accorde plus d'importance aux droits humains dans son plan de gouvernement. Son programme garantit le bien être, l'égalité, la démocratie et le respect de la Constitution. Il propose de poursuivre et de renforcer les programmes sociaux du gouvernement actuel (Juntos, Pensión 65, Cuna más et Qali Warma), il s'inscrit dans la continuité de la loi de consultation préalable et la protection des peuples indigènes, dans la recherche de la résolution des conflits pour promouvoir les investissements. Mais, comme on l'a vu, il y a peu de chances que sa candidature soit validée en raison de ses plagiats.

• Pedro Pablo Kuczynski a promis d'élaborer un nouveau plan national des droits humains pour la période 2017-2021. Il promet également d'éradiquer l'exploitation infantile et la traite des personnes, et d'élaborer un Registre des victimes des stérilisations forcées. Rappelons que ce programme fut mis en place par Alberto Fujimori, et que plus de 300 000 femmes en furent les victimes. Sur ce point Keiko reste bien silencieuse. PPK envisage de reprendre à son compte l'agenda du Rapport final de la CVR, de protéger les minorités sexuelles, d'autoriser l'Union Civile [l'équivalent du PACS français], mais pas l'adoption d'enfants pour ces couples. Il déclare vouloir poursuivre le processus de la Consultation préalable (convention 169 de l'OIT), qui protège les peuples indigènes des expropriations ; et il compte achever le processus d'inscription des terres natives.

Photo 13 : Alan García

• Alan García a mis l'accent sur la diminution de la pauvreté nationale et la croissance économique pour résoudre les problèmes sociaux. Il compte renforcer les programmes actuels en matière de nutrition, d'amélioration de la vie et de la productivité rurale avec des petites et moyennes entreprises. Son programme défend les droits des femmes, notamment la réduction d'au moins 25% de la violence dont elles sont victimes. Dans ce cadre, il propose de renforcer la famille comme centre d'éducation des relations humaines et du respect entre hommes et femmes ; ce respect sera développé aussi dans les écoles publiques dans le cadre de l'éducation civique. Les droits des peuples indigènes seront également respectés, cependant, la Consultation préalable n'est pas citée ouvertement.

Photo 14 : Alejandro Toledo

• Alejandro Toledo considère que l'amélioration de l'économie pourra résoudre une grande partie des problèmes sociaux actuels. Il s'agit pour lui de lutter contre la pauvreté et de favoriser les droits humains, y compris les droits des peuples originaires et des afro-péruviens, et se déclare en faveur de l'Union civile. Toledo propose de poursuivre le travail de la CVR, mais on doit remarquer que durant son mandat (2001-2005), il s'est montré incapable de suivre les recommandations de cette dernière. Ce manque de vision et de courage politique a conduit au renforcement des idéologies négationnistes des fujimoristes et d'autres militaires. Malgré ses déclarations, Toledo a raté l'occasion d'être le président qui réhabiliterait la démocratie et les droits humains.

• Verónika Mendoza propose : des améliorations dans l'éducation de base et supérieure, l'éradication des violences contre les femmes, des droits sexuels pour les adolescents (contraception), l'affirmation des droits pour les homosexuels, et une réforme du système de santé. Elle propose aussi de dépénaliser l'avortement en cas de viol, de respecter les peuples indigènes (dont la Consultation préalable), et enfin de prévenir et d'éradiquer les crimes de haine.

Quelques remarques d'ordre général

Il est probable que le meilleur programme consacré aux droits humains soit celui de Pedro Pablo Kuczynski. Mais on doit se souvenir que Humala a changé complètement son programme une fois élu. Ici comme ailleurs, les promesses électorales peuvent rester telles et ne jamais se concrétiser. De plus au Pérou, on vote pour des individus, non pour des leaders de partis politiques ; une fois élus, ils peuvent faire l'exact opposé de ce qu'ils ont promis durant les campagnes.

Cela étant, il faut remarquer que les recommandations de la CVR ne sont pas pleinement adoptées, bien que très détaillées, tant pour ce qui est de la réforme de l'État, et de la priorité accordée à l'éducation et la santé, que pour tout ce qui est lié aux séquelles de la guerre interne. Il ne suffit donc pas d'annoncer que les propositions de la CVR seront suivies, encore faut-il expliciter précisément leur mise en œuvre. Des mesures très pratiques attendent aussi d'être mises en place : le Registre des fosses communes, le Registre des personnes disparues, le Registre des stérilisations forcées et une Banque des données de la violence politique.

Plus fondamentalement, la reconnaissance par l'État du rôle néfaste des Forces armées durant la guerre interne devrait être suivie d'une demande de pardon aux victimes et à leurs proches. Enfin, personne n'a reconnu jusqu'à présent que des milliers de natifs amazoniens et paysans andins ont été forcés de vivre dans des camps d'internement installés par Sentier Lumineux depuis 1982 (Chungui y Oreja de Perro, Ayacucho, puis sur les fleuves Ene et Tambo, Satipo). Cette réalité tarde à être admise, et les responsables restent impunis, au premier chef le sinistre Abimael Guzmán qui n'a jamais été accusé d'avoir ordonné l'installation de ces camps d'internement où des milliers de personnes sont mortes de faim, de maladie ou ont été exécutées. On y reviendra plus loin.

Aucun candidat n'a proposé non plus l'abrogation de la Loi d'amnistie n°26479 [juin 1995] qui protège les responsables militaires et civils des crimes contre l'humanité. Cette loi anticonstitutionnelle a été approuvée par le Congrès contrôlé par Fujimori et par son complice Montesinos pour permettre l'impunité des militaires condamnés par la justice militaire, notamment pour le cas du massacre de La Cantuta [10 morts, le 18 juillet 1992]. Alan García a confirmé cette loi le 4 décembre 2009 par la Loi n°29477. Pourtant, la Cour interaméricaine des droits de l'homme (CIDH) et le Tribunal constitutionnel péruvien ont affirmé que ces lois n'ont pas de valeur juridique. Le poids de l'héritage du président Fujimori dans l'ordre politique national doit être aussi souligné car il est passé sous silence, sauf dans les milieux de défense des droits humains. C'est surtout dans ce cadre que les promesses de campagne de sa fille Keiko apparaissent négationnistes.

Affaires judiciaires de Fujimori : stérilisation forcées et déni des crimes contre l'humanité

• En octobre 2015, la directrice d'Amnesty pour les Amériques, Erika Guevara-Rosas, a demandé au gouvernement péruvien de constituer un Registre des victimes des stérilisations forcées durant le mandat de Fujimori, et de sanctionner les responsables. Selon la Defensoría del Pueblo, entre 1996 et 2001, le ministère de la Santé a effectué 272 028 stérilisations et vasectomies dans le pays. Marina Navarro, directrice d'Amnesty au Pérou, a rappelé que la grande majorité de femmes stérilisées étaient des paysannes quechuaphones, dont la santé a été sérieusement détériorée par les opérations. Le journal La República a montré que dans la région de Piura, 60 opérations étaient effectuées par jour ; durant l'année 1997, le gouvernement réalisait des « Festivals de la santé » qui servaient à camoufler les stérilisations dont les femmes et quelques hommes étaient victimes sans le savoir.

Photo 15 : Stérilisations forcées sous le régime de Fujimori (La República)

L'avocat Carlos Rivera Paz, de l'Instituto de defensa legal (IDL), a déclaré que contrairement à ce qu'avance la candidate Keiko Fujimori, qui accuse les médecins d'avoir réalisé ces opérations de leur propre chef, les stérilisations faisaient partie d'un programme gouvernemental organisé par son père. Les documents (témoignages officiels, vidéos, enquêtes) sont accablants et il est urgent qu'on juge l'ancien président, principal responsable des stérilisations forcées, ainsi que les responsables des équipes médicales.

Photo 16 : Alberto Fujimori lors d'un procès oral, janvier 2014 (RPP Perú)

• En novembre 2015, Alberto Fujimori a accordé un entretien au journal chilien El Mercurio dans lequel il nie, encore une fois, sa responsabilité dans les violations des droits humains et les actes de corruption pour lesquels il a été condamné à 25 ans de prison. L'avocat Carlos Rivera Paz, d'IDL, a rappelé que les accusations de crimes contre l'humanité ont été étayées pleinement lors des quatre jugements contre l'ancien président. Rivera a affirmé également que tout au long des 16 mois du procès, son avocat, César Nakazaki, n'avait jamais présenté d'objections. Contrairement à ce qu'a déclaré Fujimori, des preuves abondantes ont été présentées, notamment sur le Groupe Colina, responsable des tueries de La Cantuta (10 morts) et de Barrios Altos (15 morts). Ce groupe d'élite constituait un bataillon régulier de l'armée péruvienne, sous les ordres du Service des renseignements (SIN) dirigé par le sinistre Vladimiro Montesinos, qui purge aussi une longue peine de prison.

Pour ce qui est de la corruption, Rivera a rappelé que Fujimori a été jugé lors de quatre procès pour corruption et qu'il a été condamné quatre fois (pour le payement de 15 millions de dollars à Montesinos, l'achat d'une chaine de télévision avec les deniers publics, l'usurpation de fonctions et le contrôle de la presse à scandales). Enfin, le directeur des prisons, Julio Magán, a annoncé que Fujimori sera mis en examen car il n'avait pas été autorisé à accorder des interviews, rappelant « qu'il était aussi prisonnier qu'Abimael Guzmán ». L'avocat de l'ex-dictateur a répondu « qu'il a fait usage de sa liberté d'expression » … comme s'il n'était pas détenu.

LA SITUATION DES DROITS HUMAINS ET DES PEUPLES ORIGINAIRES

• Le 10 décembre, la Journée des droits humains a été célébrée dans le monde entier et au Pérou. Le Dr Salomón Lerner, ancien président de la Commission de vérité et réconciliation (CVR), a rappelé que très peu de choses avaient été réalisées dans le pays douze ans après la CVR, malgré quelques efforts institutionnels . D'après lui, l'État péruvien a toujours une dette de vérité, de justice et de réparations envers les victimes de la guerre et leurs proches. La vérité mise à jour par le Rapport final de la CVR n'a donc pas été suivie d'actions, et la même paralysie est visible dans le champ de la justice, à quelques exceptions notables près. Les avancées les plus importantes sont celles des réparations, mais là encore le processus est lent et n'arrive pas à inclure toutes les victimes. L'absence d'une dimension symbolique est aussi à regretter. Il s'agit, comme noté précédemment, de la demande de pardon de l'État aux victimes, qui ne se sentent pas reconnues comme telles. Le Dr Lerner a réitéré que le pays semble incapable d'apprendre les leçons du passé, et que l'indolence étatique est évidente lorsqu'il s'agit d'améliorer la protection et la promotion des droits humains. Il a souligné aussi l'urgence à respecter les droits des citoyens à manifester leur mécontentement, sans une répression excessive des forces de l'ordre ; et le respect des droits des femmes et des enfants menacés de violences, des droits des peuples indigènes et des communautés sexuellement différentes. Il a lancé enfin un appel à inclure le respect de la vie et de la dignité humaine au sein de la culture péruvienne qui semble l'avoir oublié. Ces questions fondamentales sont absentes des débats électoraux.

Dans ce cadre, je voudrais rappeler la publication de la traduction du Hatun Willakuy en français, sous le titre Le Grand Récit de la guerre interne au Pérou, que j'ai eu l'honneur de traduire et d'annoter, avec la collaboration de Christophe de Beauvais [L'Harmattan, juin 2015]. Nous espérons que ce livre fera mieux connaître la réalité de la violence interne péruvienne.

Le livre a été présenté à l'Alliance française de Lima le 21 octobre 2015. L'ambassadeur de France au Pérou, Fabrice Mauriès, a évoqué l'importance de la CVR dans le pays, et le manque de dénonciation des crimes communistes par les secteurs de la gauche internationale, notamment en France. Le Dr Lerner a présenté une analyse des efforts accomplis et de l'immense travail à faire. Le Defensor del Pueblo, Eduardo Vega, a évoqué les cas urgents des violations des droits humains, dont les violences contre les femmes et les enfants. Félix Reátegui (chercheur à l'IDEHPUCP) a exposé la situation des Commissions de vérité dans le monde et la place de celle du Pérou, Finalement, j'ai évoqué rapidement les aspects techniques de la traduction et j'ai présenté une sélection des 66 photos qui illustrent ce Grand récit de la guerre interne au Pérou.

Photo 17 : Couverture du Grand récit de la guerre interne au Pérou

Photo 18 : Présentation du Grand Récit (de gauche à droite) Félix Reátegui, Eduardo Vega, Fabrice Mauriès, Mariella Villasante, Dr Lerner (©Villasante)

Violence contre les femmes et les enfants

Le Pérou détient le triste record de la violence sexuelle de toute l'Amérique du Sud ; de plus, selon l'association nord-américaine Planned Parenthood, l'on estime que 90% des grossesses de jeunes filles mineures de 15 ans sont dues à un inceste. Le directeur de l'Human Rights Watch pour les Amériques, José Miguel Vivanco, a dénoncé la législation rétrograde qui empêche toujours les mineures d'avorter dans des conditions sanitaires correctes, ce qui conduit à des avortements dans des conditions souvent épouvantables. Les églises catholique et évangélique sont accusées de freiner tout progrès législatif dans ce domaine.

On remarquera que les candidats aux élections citent tous la violence sexuelle contre les femmes et les enfants comme un point important de leurs programmes pour les droits humains. Pourtant, aucun d'entre eux ne défend la modernisation de la loi et la légalisation de l'avortement. Seules les organisations de défense des droits des femmes évoquent cette exigence, même si aucun mouvement social ne la revendique. Dans ce contexte, il est vrai que les églises constituent le principal frein à la modernisation des lois concernant le contrôle par les femmes de leur propre corps.

• En septembre 2015, la Cour suprême de justice a confirmé 389 sentences sur 516 pour des crimes de violences sexuelles contre des mineurs de moins de 14 ans. Sur ce total, 29 hommes ont été condamnés à perpétuité. Dans le cadre du VIe Congrès international sur la justice interculturelle qui a eu lieu à Puno, le juge de la Cour suprême Víctor Prado a précisé que la plupart des procès impliquant les peuples indigènes concernent les viols de fillettes de moins de 14 ans. D'autres cas concernent des incestes, parfois dénoncés par les épouses des filles violées par leurs pères, comme cela fut le cas de Celso Yaun Ukunchan (Awajun de San Rafael, San Martín), en janvier 2015 . D'après le juge, il existe une mauvaise application de l'article 15 du Code pénal, qui considère que certains crimes (dont les viols) ne concernent pas les indigènes, et que cet article devrait être supprimé. Faisant écho aux premières législations de protection des indigènes, l'article 15 légalise en effet une « justice coutumière » au nom du respect de l'interculturalité. Ce qui revient à créer un système de justice double et contraire à l'esprit de la Constitution qui garantit l'égalité de tous les citoyens devant la loi.

Photo 19 : VIe Congrès international sur la justice interculturelle, Puno (LosAndes.com)

En fin de compte, c'est l'article 149 de la Constitution, relatif au droit coutumier, qui n'est pas bien compris. Il donne le droit aux autorités indigènes d'exercer la justice dans leurs territoires, mais « seulement lorsqu'ils ne violent pas les droits fondamentaux de la personne », et toujours en relation avec les instances juridiques du pays. En outre, le juge a indiqué que l'augmentation des viols des fillettes indigènes est aussi due à la légitimation des pratiques sexuelles consenties. Il fait allusion aux pratiques anciennes qui sont aujourd'hui revendiquées comme faisant partie de la « culture indigène », et sur lesquelles j'ai recueilli plusieurs témoignages dans la région de la selva centrale. Pour autant, il est clair, comme le demande le juge Prado, que les femmes et les enfants doivent être protégés des violences sexuelles suivant les lois ordinaires (El Comercio du 27 septembre 2015). Les natifs peuvent donc exercer leur justice coutumière seulement et exclusivement dans les limites de la loi républicaine.

• En novembre, on apprenait qu'au moins 1 678 femmes avaient été tuées en Amérique latine en 2014. La Journée internationale pour l'élimination de la violence contre les femmes, célébrée le 25 novembre, a été marquée par des commémorations. Le secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon a déclaré qu'il s'agit d'une priorité pour la mission de paix et de respect des droits humains. Au Pérou, le président Humala a promulgué une loi destinée à prévenir, sanctionner et éradiquer la violence contre les femmes, rappelant que 83 furent tuées au cours de l'année. De son côté, Maria Isabel Sedano, directrice de l'Étude pour la défense des droits des femmes, a signalé qu'au moins 300 000 femmes avaient été violées au Pérou, mais qu'elles n'ont pas dénoncé les crimes subis. Le Pérou fut le premier pays de la région à promulguer une loi contre le harcèlement sexuel en mars 2015 (El Comercio du 4 février 2016).

• Le 25 novembre, Marcela Huaita, ministre de la Femme, a regretté que le Congrès ait décidé de rejeter le projet de loi qui dépénalise l'avortement en cas de viol. Elle a lancé un appel aux partis politiques pour tenir compte de cette nécessité législative (El Comercio du 25 novembre).

Photo 20 : Marcela Huaita, ministre de la Femme (El Comercio)

La situation des peuples natifs

• En janvier 2016, l'association de défense des droits des natifs amazoniens AIDESEP a déclaré que les candidats aux élections doivent respecter leurs droits, dont la Loi de consultation préalable promulguée le 6 septembre 2011 dans le cadre de la Convention 169 de l'OIT. Cette loi garantit les droits des communautés indigènes sur leurs territoires [voir ma chronique de Janvier 2012].

Il s'agissait de répondre notamment aux déclarations de Julio Guzmán qui avait affirmé que s'il était élu, il abrogerait cette loi, avant de se corriger et de revenir en arrière quelques heures après. AIDESEP revendique aussi le choix du développement des communautés, et leur droit à une éducation interculturelle bilingue de qualité.

Photo 21 : Réunion d'AIDESEP (El Comercio)

Rappelons que la Loi de consultation préalable ne concerne jusqu'à présent que 54 communautés sur un total de 1 786 (recensement de 2007, INEI). La majorité de ces communautés enregistrées par le ministère de l'Interculturalité est amazonienne. Cependant, l'ambigüité du classement des communautés comme « indigènes et/ou originaires » reste entière, comme le signalait l'ancien titulaire de ce ministère, Iván La Negra. Ainsi, il y aurait des communautés aymara et quechua qui y sont inclues et d'autres pas, sans que l'on sache pourquoi. D'après son conseiller Mayu Velasco, l'enregistrement a été réalisé en suivant les critères de l'OIT, qui définit le critère subjectif d'auto-identification des habitants des communautés, ainsi que des critères objectifs associés à l'ancienneté de l'organisation sociale des communautés datant d'avant la colonisation. Cela étant, s'il existe environ 3,5 millions de Péruviens locuteurs d'une langue indigène, l'auto-identification est variable ; de plus, les recensements ne tiennent plus compte de la « race » depuis 1940. En conclusion, la Loi de consultation préalable touche les indigènes vivant dans le cadre des communautés enregistrées comme telles, et concerne en premier lieu les peuples amazoniens, et beaucoup moins les Quechua ou les Aymara qui sont identifiés comme « paysans ».

D'après l'anthropologue Javier Torres, directeur de Noticias de l'asociación de servicios educativos rurales (SER), les communautés paysannes réclament le droit d'accès à la protection de la Loi de consultation préalable et leur nier cette possibilité génère la méfiance. Il suggère ainsi de créer des instances de négociation associant l'État, les entreprises minières ou autres, et les populations locales non-indigènes .

• Le 24 décembre 2015, on apprenait que le Recensement de la population de 2017 tiendra compte de l'auto-identification ethnique. Selon Daniel Sánchez Velásquez (Directeur du Programme des peuples indigènes de la Defensoría del Pueblo), lors du dernier recensement de 2007, la population d'origine indigène avait été estimée à 4 millions de Péruviens sur la base de la langue maternelle . Cependant, de nombreux natifs ne parlent plus leurs langues en raison de l'acculturation, de l'immigration ou de la discrimination raciale. Le recensement de 2007 ne reconnaissait que 13% de personnes parlant quechua et 1,7% parlant aymara. L'auto-identification ethnique a été intégrée dans les recensements de la quasi-totalité des pays latino-américains à l'exception du Pérou. Une campagne de sensibilisation devra précéder le prochain recensement dans le pays.

LA SECURITE CITOYENNE DEVIENT UNE PRIORITE NATIONALE

Selon les estimations actuelles, environ 30% des Péruviens ont été victimes d'un acte criminel au cours de l'année 2015. 122 305 vols ont été enregistrés entre 2000 et 2015, et chaque heure 5 dénonciations pour vols sont présentées à Lima (La República du 31 janvier 2016). Selon la dernière enquête de l'Observatoire Lima Cómo vamos, 85% de Liméniens considèrent que le principal problème de la capitale est l'insécurité ; et 46% d'entre eux pensent que la qualité de la vie s'est dégradée depuis 2014, que Lima n'est plus un lieu agréable où habiter. Le second grand problème de la capitale est bien évidemment le transport, et enfin la pollution de l'air (La República du 19 janvier 2016).

En outre, les assassinats sous contrat ont énormément augmenté, selon la Direction d'enquête criminelle (DIRINCRI) ; en 2014 il y eut 343 meurtres commis par des tueurs à gages, contre 288 cas en 2013. La région de La Libertad souffre de la plus haute concentration de tueurs, où on l'a enregistré 88 assassinats en 2014 et 102 en 2013. La région de Lima occupe la seconde place, avec 65 meurtres en 2014 et 62 en 2013. Les tueurs agissent en utilisant des motos dans 60% des cas (La República du 1er novembre 2015).

• En septembre 2015, une campagne totalement illégale dite « Chapa tu choro » [Attrape ton voleur], a été lancée par une spécialiste de la communication de Huancayo, Cecilia García. Elle propose aux victimes des délinquants de se faire justice et de promouvoir un « nettoyage social ». Le ministre de l'Intérieur José Luis Pérez, a dénoncé cette campagne. Les experts en sécurité citoyenne ont rappelé que les délinquants pouvaient être pris en flagrant délit mais qu'ils devaient ensuite être livrés aux autorités. Selon une enquête de Datum, 43% des Péruviens seraient d'accord avec la campagne « Chapa tu choro » .

LES TERRORISTES TOUJOURS EN ACTIVITÉ : MOVADEF ET VRAEM

• Le 2 septembre 2015, le « camarada Antonio », numéro 2 de la « commission militaire » du groupe terroriste dirigé par les frères Palomino aurait été tué lors d'un affrontement avec l'armée. Le 12 septembre 2015 a marqué le 23e anniversaire de la capture d'Abimael Guzmán, chef historique du Parti communiste du Pérou, Sentier Lumineux. Le journaliste d'investigation Angel Páez a présenté un état des lieux dans La República dont je donne une synthèse . Précisons d'abord que l'idéologie de mort du Sentier Lumineux, qui a marqué la guerre civile (1980-2000) n'a pas complètement disparu. Il subsiste en effet une aile politique représentée par le Mouvement pour l'amnistie et les droits fondamentaux (MOVADEF) et une aile armée qui agit en alliance avec les narcotrafiquants de la région des Vallées des fleuves Apurímac, Ene et Mantaro (VRAEM). Les deux groupements se détestent, le premier revendique sa loyauté à Guzmán et le second rejette la position de l'ancien chef de la « guerre populaire ».

Le MOVADEF et le FUDEPP

Rappelons qu'en 2011, le MOVADEF a essayé de s'inscrire au Jury national des élections sous la direction des avocats Alfredo Crespo et Manuel Fajardo.

• En janvier 2015, l'organisation senderiste a présenté une nouvelle association politique en vue de participer aux élections de cette année, sous le nom de Frente de unidad y de defensa del pueblo peruano (FUDEPP). L'alliance est composée du MOVADEF, Patria para todos, Partido político tierra, Partido etnocacerista Runamasi [dirigé par Antauro Humala, qui purge une peine de prison pour rébellion en 2005]. La principale revendication, exposée par Manuel Fajardo, est l'amnistie pour les prisonniers qui ont participé au conflit armé, dont les membres du Sentier Lumineux (La República du 14 janvier 2015).

• Le 10 juin 2015, le président du Jurado nacional de elecciones (JNE), Francisco Távara, a déclaré que l'institution ne permettra pas l'inscription d'organisations criminelles qui prônent la violence. Pourtant en juillet 2015, le MOVADEF tentait de s'inscrire à nouveau dans le registre national électoral sous le nom du FUDEPP.

Photo 22 : Manuel Fajardo, dirigeant du MOVADEF et avocat de Guzmán (Peru21)

Le nouveau visage du groupe est représenté par un ancien policier et candidat de Carabayllo, Arnaldo Chávarry, qui refuse d'être lié au senderisme. D'après lui, « il existe encore une blessure ouverte qu'il faut soigner ; cela inclut des militaires, des policiers, et ceux qu'on appelle « terroristes » sont en réalité des prisonniers politiques » (La República du 26 juillet).

Photo 23 : Arnaldo Chávarry (Panamericana, Agendapais)

En décembre, le groupe avait obtenu plus de 500 000 signatures, constitué 74 comités provinciaux et tentait de s'inscrire dans le JNE. La secrétaire générale du FUDEPP, Nora Alva, a déclaré sur la chaîne Canal N que son groupe n'est pas « le bras droit de Sentier Lumineux » et qu'ils ont accueilli les membres du MOVADEF « parce qu'ils ont le droit de participer au débat politique ».

Divers analystes, dont Percy Medina et Gerardo Távara ont précisé que la législation sur les partis exige non seulement des signatures, mais aussi l'attachement à la démocratie. Or en accueillant le MOVADEF, le FUDEPP montre qu'il ne respecte pas cette exigence (La República du 23 décembre). Enfin, le Forum des jeunesses des partis politiques a déclaré son opposition à l'inscription de ce groupe sur la liste des partis du pays (Expreso du 21 décembre).

L'aile armée au VRAEM

L'aile armée du senderisme s'est donné le nom de Partido comunista del Perú marxista-leninista-maoísta militarizado (PCP-MLM). Ils se revendiquent comme les véritables continuateurs de la lutte du Sentier Lumineux, tout en méprisant Abimael Guzmán qui « buvait et dansait à Lima alors qu'eux se battaient à l'intérieur du pays » (Páez, 12 septembre). Après la capture de Guzmán, SL fut dirigé par Oscar Ramírez Durand, « Feliciano », dans la selva central et Florindo Flores, « Artemio », dans le Huallaga. Feliciano fut capturé le 14 juillet 1999 grâce à la dénonciation de Jorge Quispe Palomino, l'un des dirigeants de l'aile du VRAEM.

Après la capture de Feliciano, les frères Palomino affirmèrent leur emprise sur le mouvement, en prenant leurs distances d'Artemio et de Guzmán. Le 2 octobre 1999, Víctor Quispe (José) et son groupe tendirent une embuscade à l'armée dans la zone de Satipo, tuèrent 6 soldats, s'emparèrent d'armes lourdes et récupérèrent leur frère Jorge (Raúl). Durant les mandats de Toledo et de García les frères renforcèrent leurs actions au VRAEM. Ils tentèrent aussi de tuer Artemio pour contrôler le trafic de drogue du Huallaga. Le 12 février 2012 Artemio fut capturé. D'autres chefs terroristes tombèrent après (William, Alipio, Gabriel), et probablement Antonio. Les chefs libres et/ou encore en vie sont peu nombreux actuellement (Olga, Julio Puca, Dino).

Photo 24 : Infographie des chefs du sentier Lumineux (La República)

Libérations des prisonniers des camps d'internement senderistes

• Le 23 juillet 2015, une opération conjointe de la police anti-subversive et de l'armée a permis la libération de 26 enfants et 13 adultes du secteur 5 du VRAEM [Chronique politique d'octobre 2015]. Rappelons encore une fois que ce que les autorités continuent de nommer « centres ou camps de production », suivant la terminologie senderiste, sont en réalité des camps d'internement communistes. Les enfants des communautés andines ou ashaninka sont séquestrés, mais d'autres sont nés dans ces camps des unions entre les terroristes et des femmes capturées, en général d'origine ashaninka. Les enfants-soldats sont entraînés pour la lutte armée, et endoctrinés dans l'idéologie communiste de la haine. La journaliste María Elena Belaunde (CNN español ) écrit :
« [En] los llamados « campos de producción », donde los adultos, la mayoría mujeres, eran forzados a trabajar en labores agricolas y engendrar, cuidar y alimentar a los niños que serían los futuros guerrilleros. (…) Los cuerpos de los rehenes muestran signos de la mala alimentación y pésimas condiciones sanitarias de su cautiverio. La gran mayoría pertenece a la etnía ashaninka. O nacieron siendo rehenes, o habían sido apresados de niños en alguna de las multiples incursiones del grupo terrorista. Gracias a una traductora del Ministerio de la Mujer y Poblaciones vulnerables, CNN pudo conversar con algunos de ellos, quienes afirmaron que llevaban una vida de esclavos, dedicados desde el amanecer a las labores del campo, y que los cabecillas senderistas habían dicho que los militares los matarían por lo que debían permanecer siempre escondidos. »

• En août, Pierina Pighi (BB Mundo) a recueilli des témoignages de trois femmes rescapées, dont Ana (55 ans), qui disait : [Ana] « Cuando me rescataron tenía miedo de regresar a otro campamento de Sendero, otra vez al monte. Ahí no hay nada para comer » (…)
Ahora recuerda que los insurgentes les decían a los cautivos que si las Fuerzas Armadas los encontraban, los iban a torturar, matar o peor, llevarlos a otros campamentos de secuestro. Los policías y militares intentaron entrar al Sector 5 desde el 2014, pero los rehenes huían. « Cuando escuchábamos helicópteros, corríamos, nos metíamos al monte », dice Ana. (…)
Ya estamos bien, más tranquilos, más contentos, mejor que en el monte », dice Ana.
Ahora ella y otras 38 personas -26 niños y 12 adultos- descansan en un salón de cemento de unos 200 metros cuadrados, con un televisor, mesas y camarotes para todos ellos, en la base policial Los Sinchis, en Mazamari, distrito del VRAEM. »

Les autorités ont déclaré qu'il resterait une centaine de personnes dans des camps du VRAEM et qu'elles feront tout pour détruire ces camps au cours de cette année.

Photo 25 : Femmes « récupérées » d'un camp senderiste du VRAEM en juillet 2015 [BBC Mundo]

Libérations de terroristes

• Le 23 septembre l'ancien membre du Mouvement révolutionnaire Túpac Amaru (MRTA), Péter Cárdenas Schulte fut libéré après avoir purgé sa peine de 25 de prison. Il fut l'un des rares dirigeants terroristes qui demanda pardon aux proches des victimes devant la CVR. Le procureur anti-terroriste Milko Ruiz a déclaré qu'il sera mis sous surveillance pour prévenir de possibles actions subversives. Cárdenas doit encore s'acquitter d'une amende de 50 millions de soles pour réparation. Une trentaine de prisonniers pour crimes de terrorisme ont été libérés en 2015. D'autres suivront cette année, dont probablement le numéro 2 du PCP-SL, Osmán Morote Barrionuevo. L'ancien chef de la DIRCOTE, Ketín Vidal, a considéré que ces libérations sont normales dans un État de droit, et qu'il faudra simplement continuer la surveillance (La República du 23 septembre).

CULTURE : BASE DE LA CONSTRUCTION NATIONALE

Le sociologue Nelson Manrique a écrit récemment sur le thème de la culture, remarquant que celle-ci n'est pas du tout évoquée par les candidats aux élections à l'exception de Verónika Mendoza, chef de file du front de gauche. Le thème culturel est associé au tourisme de masse, le pays a été visité par quelque 3,2 millions de touristes en 2015, qui ont rapporté près de 3 000 millions de dollars à l'économie nationale. La gastronomie péruvienne est pour beaucoup dans l'attraction qu'exerce notre pays dans le monde, sans rien dire des merveilles naturelles et autres ruines antiques. Mais, comme le remarque Manrique, la culture joue aussi un rôle central dans l'identité nationale. L'identité péruvienne se fonde sur plusieurs traits communs d'histoire, de plaisir de la table, du parler local du castillan, voire des formes de religiosité comme le culte du Seigneur des Miracles. Certes. Pour autant dans notre société largement métissée, il n'existe pas de mythe national commun. Si la culture, dans son sens le plus étendu, est fondamentale dans le monde politique contemporain, c'est parce qu'elle exprime les identités plurielles en plus de l'identité nationale. Mais encore faut-il, pour que l'idée de nation s'affirme, inventer des traits partagés par tous, par les minorités indigènes et par les majorités métisses, au-delà des classements collectifs fondés sur la richesse. Pour le moment nous en sommes encore loin au Pérou. Remédier à cette situation passe certainement d'abord par une éducation publique de qualité.

• En décembre 2015, la cité antique de Machupicchu fêtait son 32e anniversaire d'inscription au Patrimoine de l'humanité. La zone couvre environ 37 300 hectares.

• Le 8 janvier 2016, le Sanctuaire du Temple de la Lune de Machupicchu fêtait son 35e année d'ouverture au public. Situé dans la zone nord du Huayna Picchu, le temple était un lieu de culte très important selon l'archéologue péruvien Federico Kauffmann. Le lieu étant d'accès difficile, il est très peu visité, et se situe à 2 050 mètres, soit 400 mètres plus bas que Machupicchu.

Photo 26 : Temple de la Lune, Machupicchu (La República)

• Les 29 et 30 janvier, une mission d'inspection de l'UNESCO a visité les ruines de Machupicchu et a déclaré que le site n'était pas en danger. L'UNESCO doit présenter un rapport avec des recommandations destinées à protéger et à améliorer la gestion du premier site touristique du pays. Il s'agira notamment de construire une autre voie de sortie plus en accord avec la topographie des lieux.

Photo 26 : Machupicchu (Peru.gob)

RÉFLEXIONS FINALES

La conjoncture politique actuelle est entièrement marquée par les préparatifs du premier tour des élections présidentielles, le 10 avril, et si personne ne dépasse les 50% des votes, un second tour est prévu le 5 juin. Les candidats en lice ne semblent pas cependant être à la hauteur des espoirs des Péruviens pour une meilleure gouvernance et une amélioration réelle de leurs conditions de vie qui restent, pour la majorité, caractérisées par la pauvreté et l'extrême pauvreté. Le haut niveau d'intention de vote en faveur de Keiko Fujimori ne laisse d'être inquiétant. Un vaste secteur des classes populaires reste sensible aux discours populistes de son père et d'elle-même, et d'autres secteurs acceptent sa rhétorique de « changement » vis-à-vis de l'ancien dictateur. La popularité de Keiko est par ailleurs liée à l'importance d'un courant négationniste dans la société péruvienne, opposé aux défenseurs des droits humains. Enfin, on peut remarquer que certains secteurs de l'élite économique considèrent que son succès pourrait ouvrir la porte à un riche climat d'affaires. D'autre part, en cas de victoire, le pays risque de connaître une autre phase de polarisation entre les partisans de l'autoritarisme, et ceux qui s'y opposent. De plus, il semble peu douteux que la fille libère le père, exacerbant de nouvelles tensions.

Sur le plan international, le succès de Keiko Fujimori est très difficile à comprendre. Comment la fille d'un ancien dictateur qui purge une peine de prison pour crimes contre l'humanité pourrait-elle représenter dignement le Pérou ? Et si elle est élue, comment lui serrer la main et signer des conventions ? On doit se souvenir que Keiko faisait partie du gouvernement de son père en tant que Première dame, après que sa mère avait été arrêtée. Elle a déclaré maintes fois que son père n'avait commis aucun crime et que sa seule erreur avait été de maintenir Vladimir Montesinos au pouvoir. Le procès de son père, son jugement et la peine qu'il purge, n'ont donc aucune valeur à ses yeux. .

Rappelons également que pendant deux décennies, entre 1990 et 2000, Alberto Fujimori et ses complices ont instauré un système politique fondé sur l'autoritarisme, la fraude, la corruption à tous les niveaux de l'administration étatique, du système de justice, des forces armées et de police, et de la société en général. Le gouvernement de transition de Valentín Painagua a instauré une Commission de vérité et fait appel aux personnalités les plus compétentes et les plus honnêtes pour poser les bases d'une nouvelle structure étatique. Malgré ce travail monumental et héroïque, compte tenu de la crise profonde du pays en novembre 2000, le président en exercice ayant abandonné son poste avant de trouver refuge au Japon, les gouvernements de Alejandro Toledo et d'Alan García furent incapables de suivre les recommandations de la CVR et enfoncèrent le pays dans une course à la productivité en abandonnant complètement les explications des 20 ans de violence interne.

Cette course à la productivité n'a pas bénéficié au peuple péruvien mais seulement à des groupes étroits, peu soucieux de redistribution. L'oubli du passé de violence, les violations massives des droits humains, les 70 000 morts de la guerre, les 15 000 disparus, et les milliers de familles déplacées furent couverts du sceau du silence et de l'oubli. Les générations nées après 1990 ne savent rien de la guerre, ni du fait que le pays a touché le fond de l'indigence politique, morale et économique, pendant une vingtaine d'années. Le besoin infantile et arriéré de tout oublier et faire comme si rien ne s'était passé pour « bien vivre » dans un présent permanent nous revient à la figure en cette année 2016. Fujimori, Toledo, García et Humala ont suivi la même stratégie absurde : occultons les horreurs et faisons comme si elles n'avaient jamais existé ; si on parle de la guerre, on peut rouvrir des « blessures », n'est-il pas préférable de se taire ?

Donc, si le travail de la CVR constitua un pas en avant décisif pour nous mettre en face des horreurs de la guerre interne, son exclusion par les gouvernements depuis 15 ans — au profit d'une course au libéralisme économique ne profitant qu'aux élites au pouvoir — nous a menés à la candidature légale d'une Keiko Fujimori. L'exclusion du travail de la CVR des politiques étatiques nous a conduits aussi voir se pérenniser les idéologies senderistes au Pérou, avec l'existence d'un groupuscule qui revendique toujours l'héritage de mort d'un Abimael Guzmán, et qui prétend même participer aux élections comme s'il s'agissait d'un « parti banal ». Ce sont là les deux pôles politiques en présence. Le scénario catastrophe de l'élection possible de la fille du dictateur Fujimori est bien présent dans le Pérou actuel, espérons qu'il ne se réalise pas. Le contraire nous ramènerait 20 ou 30 ans en arrière, et à quel prix !

-0-0-0-0-0-


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Slal 3451 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte