La guerre contre le cash est déclaré depuis un moment : entre les appels à la suppression pure et simple des pièces et des billets, et les récentes déclarations d’officiels de la Banque Centrale Européenne envisageant sérieusement la suppression du billet de 500€ au motif que seuls les méchants et les vilains les utilisent, les autorités ont bel et bien décidé de se débarrasser d’une énième relique barbare.
Cela n’a rien d’étonnant. Derrière les arguments plus ou moins vasouillards de fraude fiscale, d’utilisation par les terroristes, par ceux qui vendent de l’alcool des médicaments de la drogue et des armes, on trouve toujours le même souci des thuriféraires de l’Etat : il faut, absolument, contrôler toutes les transactions commerciales. Ceci permet de contrôler directement ce que font les citoyens et les contribuables, pour vérifier qu’ils se soumettent bien à la tonte que les institutions organisent pour eux. Et cela permet aussi de museler très efficacement toute opposition, toute contestation : ceux qui possèdent quelques richesses, quelque épargne sont toujours plus dociles lorsqu’ils peuvent tout perdre sur décision arbitraire du pouvoir en place. Et piocher dans un compte, lorsqu’il est numérique, est singulièrement plus simple que pour un compte physique, qu’il soit en banque ou, encore plus problématique, sous forme de coupures dans un coffre dans un lieu tenu secret.
C’est dans ce contexte de traque des transactions financières de tout un chacun et de guerre larvée permanente contre l’argent liquide que s’inscrit une directive européenne que la Commission entend présenter au second semestre 2016 et qui tentera de réguler tous les moyens que les vilains & les méchants de par le monde osent utiliser pour faire des vilénies et des méchancetés. Et au delà des cartes de paiement prépayées, on retrouve bien sûr les plateformes d’échange de monnaies numériques. Autrement dit, l’idée est bien de forcer Bitcoin à rentrer dans le rang des monnaies sur lesquelles les États ont le dernier mot.
Comme d’habitude et pour ne pas changer, c’est avant tout le bon gros argument du terrorisme qui est employé pour y aller du petit couplet régulateur : comme les terroristes utilisent du cash, des bitcoins et des cartes prépayées, alors il faut trouver un moyen de les en empêcher. Notez le parfait sophisme employé ici et qui pourrait aussi se construire ainsi : comme les terroristes mangent ou louent des voitures, il faut trouver un moyen de les en empêcher. Bien sûr, ce dernier sophisme est trop gros pour passer dans l’opinion, mais le second, martelé avec assez de conviction, finira par emporter les suffrages d’une bonne partie des citoyens, s’ils sont suffisamment « conscientisés » à la nécessité de a/ lutter contre le terrorisme, b/ lutter contre le blanchiment et la fraude fiscale, c/ lutter contre les riches trop riches et les pauvres trop pauvres, d/ lutter contre ceux qui ont plus qu’eux.
Ici, peu importe qu’aucune preuve n’existe que Bitcoin, dont chaque transaction est de surcroît publique, ait un jour servi pour ces terroristes. Peu importe que des milliers d’utilisateurs honnêtes de cette technologie existent, de même pour les cartes prépayées qui dépannent tous les jours des milliers de personnes. Non, peu importe tout ça : l’idée générale de la proposition de directive est de placer les échanges de monnaies virtuelles sous le contrôle des autorités compétentes, comme pour les autres transactions bancaires. Et de façon moins cryptique, cela revient à réclamer une sorte de « TRACFIN » sur les opérations en Bitcoin signalant aux autorités tous les échanges qui correspondent à certaines caractéristiques choisies arbitrairement par les autorités en question.
C’est parfaitement grotesque, et, encore une fois, montre le décalage et la méconnaissance par les institutions des mécanismes technologiques qui sont en jeu : d’une part, le réseau étant totalement décentralisé, les plateformes d’échange entre monnaies numériques et monnaies étatiques, actuellement visées, seront simplement gênées par ces régulations. Une concurrence s’établira naturellement entre celles qui devront les suivre et celles qui pourront s’en affranchir. Rapidement, les consommateurs passeront par les plateformes les moins chères et les plus rapides, et donc les moins vérolées, le coût du changement de plateforme avoisinant zéro. D’autre part, toutes les transactions exclusivement en Bitcoin continueront à échapper à tout contrôle. À la limite, ce genre de gesticulations pourrait même hâter la prise de conscience des citoyens qu’ils sont de plus en plus fliqués…En tout cas, le monde financier, en contraste frappant à ces contorsions législatives, a bien compris l’ampleur des enjeux. Des startups se créent, des institutions bancaires vénérables se penchent sur la question, des milliers d’individus investissent leur temps, leur argent (et pas qu’un peu : pour Blockstream, on parle de 76 millions de dollars) et leur savoir dans cette technologie pour, justement, s’affranchir à la fois des intermédiaires et surtout de la tutelle étouffante des États.
Les banquiers centraux sont certes puissamment armés : à n’importe quel moment, une banque centrale peut décider d’intervenir sur les marchés (en changeant les taux, en achetant ou vendant n’importe quoi, n’importe comment), de faire fermer les banques commerciales pour empêcher les fuites de capitaux, d’interdire l’un ou l’autre type de transaction dans une monnaie, voire supprimer unilatéralement une monnaie ou une partie de celle-ci (l’exemple des billets de 500€ est ici d’actualité), rendant instantanément pénible la vie de ceux qui comptaient se passer de ses services. Et si ces moyens semblent extrêmes, si la naïveté pousse encore certains à s’écrier « Mais enfin, voyons, vous savez bien qu’une banque centrale n’a pas le droit de faire ça ! », rappelez-vous que, derrière ces institutions faussement privées se trouvent toujours des États, que force reste toujours à la loi, et que la loi, c’est toujours l’État, le plus fort, qui la définit en dernier ressort.
Mais ces armes sont à double tranchant : moyens de dissuasion tant qu’elles restent dans les cartons, elles fournissent une incroyable motivation à adopter rapidement d’autres concepts, d’autres idées et à utiliser d’autres moyens quand on sent qu’on risque d’y perdre sa chemise. Autrement dit : oui, bien sûr, les banques centrales peuvent instantanément décider d’interdire purement et simplement les billets de 500€, la possession d’or ou toutes transactions en Bitcoin (ou mieux encore, les transactions impliquant or et bitcoin ensemble). Mais tout aussi instantanément, elles envoient un signal clair que l’or va devenir rare (donc cher) ou que le Bitcoin constitue une vraie menace pour elle et en est donc d’autant plus attractif : après tout, une banque centrale ne risque pas de se protéger d’une technologie qui ne fonctionne pas et ne présente aucune menace, non ?
Pour ceux qui en doutent encore, il faut le redire clairement : c’est précisément parce que les autorités font tout pour mettre main basse sur toutes les transactions financières des uns et des autres, soit pour espionner, soit pour prélever l’une ou l’autre taxe plus ou moins inique, que le principe décentralisé de Bitcoin s’impose de plus en plus comme une évidence.
Cette évidence pousse alors directement ces autorités à tenter de réguler ces transactions, et c’est précisément parce que ces autorités tentent de réguler Bitcoin qu’elles en valident, implicitement, le modèle.
En fait, tout montre que le système centralisé a vécu et il est en train de mourir, assez rapidement, sous vos yeux. La désintermédiation est en route, et le bénéfice apporté au consommateur final est tel qu’elle ne pourra pas être arrêtée.
Maintenant, en toute lucidité, il faut comprendre que dans certains pays, souples, jeunes et adaptables, cela produira quand même des remous sociétaux. Et bien sûr, pour des pays sclérosés comme la France, cela ne pourra pas se passer sans casse.
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