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Contrôle des loyers au Sénégal: une bonne idée?

Publié le 23 février 2016 par Unmondelibre
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Selon les statistiques de la BCEAO, en 2014, les ménages sénégalais consacraient près du tiers (31,0%) de leur budget aux produits alimentaires et boissons non alcoolisées, alors que leurs dépenses pour le logement représentaient 12,5%. Le 22 janvier 2014,le gouvernement sénégalais a décidé, à travers la loi n°2014-03, portant baisse des loyersau Sénégal,de contrôler les loyers. Le gouvernement soutient que cette baisse est guidée par la volonté d’améliorer les conditions de vie des Sénégalais. Les statistiques de la BCEAO indiquent qu’en décembre 2014, les loyers ont baissé de 16% par rapport à leurs niveaux de la même période de 2013. Malgré cette baisse, le gouvernement sénégalais songe déjà à réviser la loi n°2014-03 du 22 janvier 2014 portant baisse des loyers au Sénégal. Pourquoi cette loi n’a-t-elle pas atteint les résultats escomptés?

Selon le ministre du commerce, du secteur informel, de la consommation, de la promotion des produits locaux et des PME du Sénégal, 10544 réclamations ont été enregistrées depuis l’adoption de la loi sur la baisse des loyers à usage d’habitation. Parmi ces réclamations 9564 cas ont été traités. Le nombre élevé des réclamations témoigne des difficultés à faireappliquer cette loi. Ces réclamations traduisent les difficultés croissantes des Sénégalais à se loger, ce qui prouve que la cherté des loyers n’est que le symptôme de maux plus profonds qui ne pourraient être traités par une simple loi.

D’abord, il faudrait noter l’insuffisance de l’offre de logement par rapport à la forte demande de logement à Dakar et dans tout le pays. Selon le ministre du renouveau urbain, de l’habitat et du cadre de vie, le cumul du déficit de logement à Dakar en 2015 serait de plus de 150 000 unités et environ 300 000 pour tout le pays. Ce déficit de l’offre explique la cherté des loyers. Ensuite, l’Etat a décrété une baisse des loyers sans réduire les taxes prélevées sur ce secteur. Bien qu’il y ait eu une baisse du droit d’enregistrement sur le foncier et l’immobilier de 15% à 10%  en 2012, l'impôt sur les revenus fonciers, la TOM, l'impôt sur le foncier bâti, la TVA sur les loyers mensuels... sont maintenus intacts. De même, les faits révèlent que les coûts de matériaux de construction restent élevés. Selon le gouvernement les coûts de la construction ont augmenté de 44% au moment certains opérateurs soutiennent que les prix des matériaux de construction ont doublé. Enfin, le cadre légal et réglementaire qui régule le secteur du logement est complexe. Plus de quatorze (14) directions centrales de l’administration publique, des collectivités décentralisées et des groupements interviennent dans le processus lié au logement. Cette pluralité des acteurs entraîne des lenteurs dans les procédures, allonge les délais, et génère des coûts et frais supplémentaires, favorisant ainsi la corruption. En conséquence, le prix du foncier s’en trouve gonflé artificiellement. La ville de Dakar étant une presqu’île, il y a un frein naturel à l’étalement urbain. En même temps, la région de Dakar concentre près de 50% de la population urbaine du pays. De surcroît, le déficit de terrains aménagés et équipés contribue à la hausse du foncier et par ricochet la hausse des loyers.

Bien que certaines personnes louaient la mise en place de cette loi, force est de constater que le contrôle des prix peut avoir des conséquences désastreuses à long terme. La variation des prix dans une économie envoie des signaux sur la santé de l’économie. Ces signaux constituent des messages d’alerte à l’endroit des agents économiques. Le contrôle des prix, biaise et brouille ces messages, ce qui conduit à de mauvaises décisions, et à une allocation sous-optimale des ressources. Donc si les loyers sont réduits artificiellement, aussi bien les consommateurs que les producteurs recevront un faux message : les premiers croiront que les logements sont abondants et augmenteront leur demande ; les seconds diront que ce n’est pas rentable de louer. Au final cette loi gonflera davantage la pénurie de logement déjà existante, puisqu’elle va anéantir toute incitation à l’investissement dans l’immobilier pour le secteur privé car l’investissement dans ce secteur ne sera plus rentable. Cela va contribuer au développement de l’habitat précaire. Selon le rapport ONU HABITAT (2012)l’habitat informel (en constructions précaires ou irrégulières)au Sénégal concernerait 25% de l’habitat urbain et 30% des superficies habitées à Dakar. Sans oublier quel’application de cette loi génère des coûts qui concernent le traitement de nombreuses réclamations engendrant des coûts humains et financiers. Ces coûts sont en réalité supportés par les contribuables sénégalais à travers les impôts qu’ils paient.

En définitive, l’ambition du chef de l’état d’améliorer les conditions de vie des sénégalais à est certes louable mais l’approche n’est pas la bonne. En effet, cette loi risque d’être un cadeau empoisonné si l’Etat ne s’attaque pas aux vraies causes de la hausse des loyers que sont les déficits de l’offre de foncier, le coût élevé des matériaux de construction, la fiscalité et la trop forte concentration des services et des hommes à Dakar. La solution ne réside donc pas dans le contrôle des prix, mais dans l’action sur les facteurs qui gonflent artificiellement les prix. Dès lors, faciliter l’accès aux logements passe inéluctablement par l’augmentation de l’offre et non pas seulement le contrôle de la demande. Sinon la « solution d’aujourd’hui » deviendra la source des problèmes de demain.

Kramo Germain, Chercheur au CIRES, Côte d'Ivoire. Le 24 février 2016.


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