Magazine Cinéma

Ce Sentiment de l’Été, de Mikhael Hers

Par La Nuit Du Blogueur @NuitduBlogueur

Note : 3,5/5

  Sept ans après Montparnasse (2009) et six après son premier long métrage Memory Lane (2010), Mikhaël Hers continue à tisser son œuvre sensible et délicate qui tend, avec une justesse troublante, vers une représentation hyper réaliste de la vie de ses personnages troublés se battant contre les tracas de la vie de tous les jours, contre les petits, mais aussi les grands drames de leur existence. Dans Ce Sentiment de l’Été, il s’agit, pour Mikhaël Hers, de reprendre une thématique déjà abordée dans l’un des trois segments existentiels de Montparnasse dans lequel un jeune homme dînait avec le père de sa petite amie décédée avant d’aller rejoindre la sœur de cette dernière. Si les rôles sont changés et qu’il s’agit de traiter du deuil différemment que dans son deuxième moyen métrage, Hers s’attache à nouveau aux mêmes thématiques : l’amour et la structure familiale à l’épreuve de la longue et difficile acceptation de la mort d’un être cher.

Sentiment été 1

Copyright Nord Ouest Production

Cet être cher est Sasha, une jeune sérigraphiste française vivant à Berlin. D’elle, le spectateur ne sait pas grand chose et ne verra qu’un instant de vie durant le préambule du film qui s’attache merveilleusement à la faire exister au travers de ses gestes quotidiens, de sa dernière douche du matin, de son dernier café, de sa dernière sérigraphie. En quelques gestes simples, Hers réussit formidablement l’un des débuts de film les plus flamboyants de ces dernières années dans lequel la mise en scène de la vie prend un sens tragique après seulement quelques minutes de film, lorsque Sasha tombe en pleine traversée d’un parc après sa journée de travail.

Sans jamais offrir la parole au personnage de Sasha, dans un début incroyablement silencieux, Hers déploie avec force sa faculté à mettre en scène des moments qui créent un itinéraire. Car c’est véritablement un itinéraire que met en place le réalisateur, installant même l’un des deux personnages centraux de son film, le compagnon Lawrence (interprété brillamment par le norvégien Anders Danielsen Lie, découvert dans Oslo 31 août), dans la même succession de gestes que Sasha, et presque dans la même suite de plans, comme pour le lancer dans le mouvement vital que sa compagne a entamé.

  Il s’agit pour Hers de rendre compte de la Vie, d’un élan vital qui a le don d’exister même parasité par la mort de Sasha et son souvenir qui vient hanter chaque été des personnages. L’été même de sa mort à Berlin porté par Lawrence, celui de Paris et Annecy dont Zoé, la sœur de Sasha (magnifique Judith Chemla), est la figure centrale, et enfin celui de New-York qui rassemble les deux endeuillés.

  Délicatement le réalisateur français tisse une œuvre qui sonne toujours juste et dans laquelle Lawrence et Zoé n’arrivent jamais à trouver véritablement leur place. À la question du deuil, de l’acceptation de la mort, Hers ne répond que très peu par les mots, leur préférant le mouvement quasi continuel. Ce Sentiment de l’Été est un film de marche, comme si Lawrence et Zoé, abattus par la mort, avaient ce besoin de se mettre à l’épreuve physique de l’évolution de l’espace, comme pour faire résonner la marche inaugurale et finale de Sasha, portant son souvenir avec eux.

Sentiment été 2

Copyright Nord Ouest Production

  En décloisonnant l’arène de son récit pour le faire résonner dans les trois villes-mondes de Berlin, Paris et New-York, Hers met non seulement en avant l’idée d’un deuil qui suit les personnages où qu’ils aillent, mais il tisse aussi le portrait d’une société de plus en plus libre pour laquelle la seule frontière paraît être celle de la mort. Travestis, gays assumés, artistes, sont autant de points de repères qui tendent vers la définition heureuse d’une jeunesse mondialisée à la liberté totale et insouciante. Et les relations amicales et complices qu’entretiennent Lawrence et Zoé avec eux agissent comme un véritable baume atténuant la douleur de la mort par un élan vitaliste puissant.

  Filmé en 16mm pour mieux capter la palette visuelle d’un couché de soleil, la richesse chromatique d’une aube bleutée, la douceur d’un après-midi estival, Ce Sentiment de l’Été atteint doucement le postulat de son titre. En posant toujours un regard aimant et passionné sur ses personnages, en insistant sur leurs émotions, leurs tics, leurs rires et leurs pleurs, Hers réussit habilement à plonger son spectateur dans la délicatesse de l’histoire de Lawrence et Zoé. Ce Sentiment de l’Été est un film à voir, porté élégamment par une force émotive à la fois brute et raffinée qui, sans avoir le feu du chef d’œuvre, brille d’une tendresse et d’une douceur éclatantes.

Simon Bracquemart

Film en salles depuis le 17 février 2016


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