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Monsieur et Madame Rivaz, de Catherine Lovey

Publié le 28 février 2016 par Francisrichard @francisrichard
Monsieur et Madame Rivaz, de Catherine Lovey

Faire le bonheur des gens contre leur gré. Savoir ce qui est bon pour eux et qu'ils ignorent. Le règlement, c'est le règlement. Voilà ce que de beaux esprits promeuvent ouvertement aujourd'hui. Il y a dans ces manières de faire beaucoup de présomption, de condescendance et d'autoritarisme...

Monsieur et Madame Rivaz, Juste et Hermine, ont deux enfants, un fils imbu de sa personne, Jonas, avocat fiscaliste, et une fille, Léonore, qui, au contraire, pourrait très bien devenir moniale orthodoxe. Leurs parents sont tous deux octogénaires. Ils ont vécu mais sont toujours alertes et savent ce qu'ils veulent.

La narratrice remplace au pied levé Laeticia Lang, une amie affligée d'un terrible mal de dos, comme accompagnatrice de voyageurs, âgés pour la plupart. Il s'agit pour elle, inexpérimentée en la matière, d'effectuer avec eux une croisière de deux semaines en Méditerranée, sous la responsabilité d'Alexis Berg.

Monsieur et Madame Rivaz sont inscrits à cette croisière de la compagnie DreamWaterWorld, DWW, croisière qui leur a été offerte (par pitié) par leurs enfants. Mais le vieux couple ne veut pas la faire et vient trouver la narratrice sur le quai de la gare pour le lui annoncer de vive voix, plutôt que de téléphoner.

Si Monsieur et Madame Rivaz ne veulent pas faire cette croisière, ce n'est pas qu'ils soient malades ni rien du tout. Ils veulent tout simplement faire autre chose (par exemple, aller au cinéma voir des films en lesquels leur région est mal desservie), mais ne veulent surtout pas que leurs enfants le sachent, pour ne pas les décevoir.

Le manager des opérations, Alexis Berg, essaie bien de les convaincre, d'autant que c'est leur fils qui a entièrement payé leur voyage, qui plus est en cabine de luxe avec baignoire, mais c'est peine perdue. Et ce qui devait arriver, arrive. Quand il finit par l'apprendre, le fils Rivaz demande à être remboursé.

Pour que DWW ne doive pas rembourser le prix de la croisière à Rivaz fils et pour que la prime saisonnière d'Alexis Berg (avec qui elle a couché par désoeuvrement) ne soit pas amputée de ce montant important pour lui, la narratrice accepte de se rendre chez les Rivaz pour contrecarrer la requête de leur avocat de fils.

C'est lors de cette visite qu'elle fait vraiment connaissance avec ce couple dont le caractère bien trempé n'est pas en contradiction avec une grande bonté, foncière. Aussi signent-ils bien volontiers un papier dans lequel ils reconnaissent leur entière responsabilité dans le refus de participer à la croisière.

L'histoire de ce roman est celle des rapports d'amitié qu'entretient dès lors la narratrice avec Monsieur et Madame Rivaz, et de la vie personnelle de la narratrice, qui émaille son récit de considérations sur l'époque, qui sont pour le moins anticonformistes et qui n'en sont que plus réjouissantes.

Ainsi le fils Rivaz envoie-t-il une lettre menaçante à la narratrice, dans laquelle il lui recommande de cesser d'entretenir le désir irréaliste de ses parents d'effectuer un voyage en Roumanie sous peine d'intervention de sa part. Il l'accuse, ce qui est pure calomnie, de profiter de ses parents à des fins commerciales.

La narratrice lui fait une réponse cinglante, dans laquelle elle dit son fait à cet odieux personnage et met les choses au point: "Vos parents ne souhaitent pas faire de croisière organisée. Ils préfèrent partir dans un pays rugueux, avec un sac léger, et voir ce qu'il adviendra. Ils entendent surtout échapper à tout ce qui a été aménagé pour ceux qui paient."

Ainsi Hermine Rivaz prépare-t-elle des plats pour les habitants de son village, qui en sont tout à fait satisfaits et qui s'en félicitent tous les jours. Seulement Hermine n'est pas cuisinière diplômée et sa cuisine ne respecte pas les normes sanitaires édictées par les services sociaux de la commune.

En fait ces fonctionnaires sont jaloux de son succès mérité. Pour eux, il est inadmissible qu'Hermine Rivaz concurrence l'Etat. Alors pour ne pas attirer l'attention des services sociaux, les habitants continuent à leur commander des plateaux-repas immangeables qui nourrissent les poules d'Hermine, tandis qu'elle continue à leur cuisiner de bons petits plats...

Si"le bon sens est la chose au monde la mieux partagée", selon Descartes, il n'en est pas toujours fait usage, comme s'il s'agissait de l'épargner. Aussi le lecteur ne peut-il que comprendre pourquoi, avec les considérations qui l'illustrent, Catherine Lovey a mis en exergue de son livre cette épigraphe tirée de L'homme sans qualités de Robert Musil:

"Or, on peut affirmer que le monde lui-même, en dépit de la masse d'esprit qu'il contient, se trouve dans un état de ce genre, analogue à l'imbécillité; il est même impossible de ne pas le voir lorsqu'on essaie de se faire une vue d'ensemble des événements qui s'y déroulent."

Francis Richard

Monsieur et Madame Rivaz, Catherine Lovey, 320 pages, Zoé (à paraître en mars)

Livre précédent chez le même éditeur:

Un roman russe et drôle (2010)


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