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Une bête blessée

Publié le 29 février 2016 par Alteroueb

Le monde paysan est en ébullition. Ca brûle de toutes parts, et l’image de gens désespérés, prêts à tout, fait froid dans le dos. Visiblement, le modèle économique dans lequel évoluent principalement les éleveurs a provoqué des désordres irrémédiables jusqu’à mettre en péril leur activité. C’est donc guère étonnant de les voir interpeller avec force les personnalités politiques afin qu’ils mettent en oeuvre des mesures leur permettant de percevoir une rémunération juste.

Je vais me risquer à donner mon avis de citadin, salarié, auto-entrepreneur à ses heures, et observateur plutôt attentif du monde qui m’entoure. C’est d’une certaine manière que qu’attendent les manifestants. En s’agitant bruyamment, en bloquant les routes et rocades, en jouant ça et là du coup de poing, ils relatent leur difficulté et espèrent être compris et soutenus face à ce qui est considéré comme un dérèglement grave, voire une injustice.

Salon de l'agriculture 2016
Je comprends leur colère. J’entrevois leur vision de l’avenir : dans le système actuel, impossible d’aller à contre-courant sans être irrémédiablement broyé. J’ai l’impression de revoir les toutes ces gueules noires désemparées, tous ces ouvriers sacrifiés des années 70 et suivantes, désormais inutiles qui sont allés gonfler les effectifs de l’ex ANPE sans aucun espoir de rebond. Les penseurs du monde capitaliste globalisé avaient justifié ce massacre en soulignant l’inaptitude de ce prolétariat à s’adapter au nouveau monde du travail.

Pour les agriculteurs, la crise qui les secoue n’est, à mon sens, en rien une surprise, et résulte plus d’une suite d’événements significatifs et annonciateurs d’une fin mouvementée et assez inéluctable. Ce n’est pas une surprise, cette population vote globalement bien à droite. Elle est attachée au dogme libéral avec l’économie de marché comme modèle. Son crédo pour prospérer, il faut exporter et inonder nos voisins. Et pour que ça marche, il faut compenser les baisses de prix nécessaires pour s’aligner sur les prix du moment par des subventions. En même temps, les agriculteurs ont réclamé le statut de «chef d’entreprise», se fichant comme d’une guigne des paysans incapables de s’aligner dans et surtout hors des frontières françaises. Les agriculteurs chefs d’entreprise sont ainsi devenus les principaux bénéficiaires de la politique agricole commune (PAC) mise en place par l’union européenne.

Fini donc cette désignation désuète et péjorative : être chef d’entreprise, cela réclame de disposer de revenus d’une toute autre hauteur que celles d’un paysan. Désormais, on parle «business-plan», rendement, investissement, mécanisation. Qu’importe de perdre ce lien essentiel avec le pays, la terre. Le besoin de développement est tellement fort qu’on feint d’oublier les tonnes de polluants et pesticides devenus indispensables qu’on impose aux sols et qui finissent dans les rivières et les assiettes. On détourne les yeux sur les méthodes ignobles d’élevage du vivant : seul le chiffre compte. Et dire qu’il y en a parmi eux qui déclarent aimer leurs animaux… c’est abjecte.

Mais subventions et marché ne font pas bon ménage. Dans cet exercice permanent d’équilibriste, le système de subventions rajoute une variable artificielle et malsaine dont les plus gros ont su tirer profil au détriment des petites exploitations. Quelques scandales sanitaires retentissants ont fini par modifier les habitudes de consommation d’une population livrée pieds et poings liés à une industrie tentaculaire qui tient désormais aussi le monde de la production. Ces paysans apprentis patrons ont fermé les yeux sur tout et se sont livrés sans réserve aux sirènes du capitalisme. Le réveil est forcément difficile.

Alors on braille, on détruit, on insulte un ministre de l’agriculture, un Président de la République. Ils n’ont aucune solution puisque c’est le marché, libre et non faussé, qui décide toujours. C’est bien ce que ces agriculteurs ont demandé et obtenu des différents gouvernements de droite auxquels ils ont donné majoritairement leurs voix. La FNSEA, les banques et les organismes agricoles sont complices en inscrivant les exploitations dans une fuite en avant sans avenir consistant à les endetter très au delà du raisonnable. C’est irresponsable quand on sait comment les soubresauts des marchés, le climat et le contexte politique influent sur ce secteur d’activité, par nature peu rentable puisque déjà subventionné.

Curieux mélange des choses. Personne ne bruisse quand Xavier Beulin, président de la FNSEA s’exprime sur le malaise paysan, lui qui se trouve être à la tête d’un monopole agricole monstrueux qui écrase le secteur dans un conflit d’intérêt majeur. Personne ne met en avant le rôle des banques et institutions agricoles qui font leur gras sur leurs ouailles. Encore une fois, le monde agricole ferme les yeux, et préfère accuser les normes (et heureusement qu’il y en a), les charges (qui ne sont qu’un salaire différé et une protection sociale), et évidemment les socialistes (qui sont ceux que les français ont majoritairement choisi).

Je comprends leur détresse, mais pas leur violence aveugle à l’encontre du gouvernement. Toute nouvelle aide de sa part serait immédiatement sanctionnée par Bruxelles. Les agriculteurs ne peuvent l’ignorer. C’est le capitalisme. Mais le capitalisme, c’est aussi cela : personne ne vient au secours d’une bête blessée.

Bien que citadin, je dois avouer côtoyer régulièrement non pas des agriculteurs, mais d’authentiques paysans. Impliqué dans des systèmes de circuit court, je peux assurer qu’il existe des paysans riches d’une activité harmonieuse et à taille humaine, fiers de leurs racines, de leur terre et leur production, conscients de leur impact sur l’écologie, et de la nécessite de transmettre aux générations futures un terreau de valeurs. Une chose est sûre : on ne rase pas gratis, tout à un prix, qui correspond au travail fourni. Le baisser artificiellement pour le compenser en subventions revient à tricher.

Et en trichant, on ne gagne qu’un temps.


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