Même une horloge arrêtée indique l’heure exacte deux fois par jour. Conséquemment, même l’État français, aussi bordélique et incompétent soit-il, tombe parfois juste. Or, s’il y a bien un domaine dans lequel il est d’une importance capitale qu’il tombe juste, c’est celui de l’impôt. Et ça tombe bien, l’année 2015 constitue un record. Youpi.
Voilà qui met du baume au cœur de nos ministres, Michel Sapin et Christian Eckert. Sonnez hautbois, résonnez musette, les chiffres sont formels : le rendement de la lutte contre la fraude fiscale a atteint des records en 2015. Du point de vue d’Eckert et de Sapin, il y a de quoi se réjouir : pour la première fois cette année, les redressements ont atteint 21,2 milliards, soit une progression de 18 % par rapport à l’année précédente.
« L’action du gouvernement et de l’administration dans la lutte contre la fraude fiscale porte pleinement ses fruits ! »
Et avec 21 milliards d’euros, mazette, quels fruits ! De loin, ça sent même le festin !
Tout ceci justifie amplement que tout ce que la presse compte d’importants journaux reprenne avec componction les petits chiffres, les petits graphiques et la petite communication joyeuse de Bercy. À lire les exploits narrés par nos journalistes d’outre-internet, on serait presque content pour les services de Bercy devant les résultats obtenus.
Las.
Après analyse, les choses sont cependant un peu moins belles et moins claires que les idées que nos journalistes tentent de faire passer avec cette habileté inénarrable des enfants de deux ans tentant, avec un maillet, de faire rentrer le cube dans le trou cylindrique ; le service après-vente du gouvernement n’est pas toujours efficace et la grossièreté de certains maillets artifices finit par se voir.
En effet, rappelant bien proprement que la lutte contre la fraude s’est nettement renforcée à l’arrivée de François Hollande au pouvoir (avec pas moins de 70 mesures en quatre ans, soit facilement le triple de pages écrites en petits caractères dans le code fiscal du pays qui n’en peut pourtant plus), on découvre que les sommes mentionnées sont en fait des redressements signifiés. Un peu plus loin, on apprend que cela se traduit par des recettes encaissées de 12,2 milliards d’euros. Tiens, 9 milliards se sont évaporés en route !
Bien sûr, ce n’est pas invraisemblable. C’est même parfaitement logique : dans son empressement à ponctionner le contribuable, Bercy signifie généralement un redressement aussi douloureux que possible. Le contribuable, après protestations, frais d’avocats et de procédures, finit par obtenir l’une ou l’autre réduction. Au bilan, le redressement effectif est inférieur au signifié.
Là où les choses tournent ici au comique, c’est que partant de ce principe, il suffira à Bercy de signifier des redressements encore plus ridicules pour 2016 pour faire ainsi voler la barrière des 21,2 milliards d’euros de redressements signifiés (pas trop compliqué), quitte à n’encaisser au final que 11 milliards d’euros, par exemple. La presse, extatique, ne pourra alors s’empêcher de titrailler vigoureusement, entre deux cocoricos, sur la belle performance du Ministère. Et ceux qui ont deux sous de bon sens pourront à nouveau sentir l’odeur de la pignouferie de presse.
La pignouferie ne s’arrête pas là et flirte gentiment avec le grandiose dans la suite des explications farfelues fournies par les journalistes et le ministère. Selon Bercy, le plus gros des encaissements provient de l’impôt sur les sociétés et, notamment, des contrôles sur les grandes entreprises, et pas, comme on pourrait le croire, d’un matraquage des petits contribuables. Mais dès qu’on aborde la question des montants, patatras, c’est le drame :
Ce seul contrôle a rapporté 5,8 milliards d’euros en 2015 – contre 4,2 milliards en 2014 –, soit plus du quart des recettes totales.
À Bercy (ou au Monde, allez savoir), 5,8 est donc plus du quart de 12,2 milliards, les recettes effectives de ces redressements. Factuellement, c’est exact (on est nettement plus près de la moitié, ici), mais on sent comme une nouvelle tentative de faire passer les 21,2 milliards de contrôles signifiés pour de l’argent qui rentre, là où il n’y en a « que » 12,2 milliards. On sent aussi l’envie de ménager le petit contribuable lorsque le brave Eckert s’écrie, frétillant :
« Il faut tordre le cou à l’idée que le rendement du contrôle fiscal reposerait sur un matraquage des petits contribuables. C’est faux ! »
Sauf que, dans tous les cas, ce contribuable est concerné par la partie restante soit les trois quarts (des signifés) – ouch ! – ou plus de la moitié (des encaissés) – ouch aussi -.
Bref, on se gargarise d’avoir su ponctionner de-ci et de-là, d’avoir pu trouver quelques billets sous le tapis et quelques piécettes sous les coussins du sofa, mais à l’examen un peu attentif, 43% de la somme représente du vent ou un montant impossible à recouvrer de toutes façons, et in fine, le fisc s’en prend majoritairement aux contribuables bien avant les entreprises. Le cou de l’idée n’est pas tordu. C’est un échec.
Mais surtout, on oublie de mentionner qu’une augmentation des fraudes repérées ne signifie pas forcément une amélioration des mesures et des contrôles. Cela peut aussi représenter une augmentation de toutes les fraudes ; autrement dit, la proportion de fraudes repérées sur le nombre total de fraudes restant la même, on pourrait même raisonnablement envisager que la fraude fiscale continue de grandir dans le pays.
Dès lors, est-il impossible d’imaginer que des contribuables et des entreprises françaises font tout pour exfiltrer leurs avoirs hors de France, ou mettent suffisamment d’efforts et de stratagèmes malins pour en tout cas l’extraire de l’appétit vorace de Bercy ? Est-il inimaginable de penser que la fuite des capitaux français continue, voire s’accélère ?
Dans ce contexte, on doit donc largement relativiser les sourires joyeux et les mines rubicondes de nos deux ministres, tout heureux de trouver là motif à reprendre deux fois des frites à la cantoche. Eh oui, messieurs les ministres, il semble bien que si vos prises sont plus nombreuses, ce n’est pas parce que vous êtes subitement plus malins, mais plutôt que le cheptel s’enhardit, et que ceux qui ne fuient pas prennent discrètement leurs disposition pour vous échapper.
Et plus à propos, compte-tenu de ce qui est traditionnellement fait avec les impôts, peut-on vraiment blâmer les Français et leurs entreprises de tout faire pour ne plus participer à cette mascarade grotesque que vous faites passer pour de la solidarité nationale ?
Parce qu’à bien y regarder, il n’y a plus que quelques naïfs pas vraiment au courant, et l’inévitable poignée d’envieux gauchistes pour confondre impôts et solidarité : qui peut en effet encore croire que l’argent récolté par les taxes et les impôts sert effectivement aux intérêts du peuple, à la collectivité quand le premier poste de dépense du gouvernement est le service d’une dette créée en 40 ans pour acheter son électorat dans la plus parfaite décontraction et un cynisme sans borne ? Qui prétend encore à la moindre égalité de traitement devant les impôts alors que la moitié des ménages ne paie plus que ceux sur la consommation (TVA), ou que tout, en France, n’est plus qu’affaire de réseaux, de passe-droits, de privilèges ?
Où est-elle, cette solidarité, lorsque ceux qui la réclament en gueulant toujours plus fort sur les plateaux télé sont ceux qui y participent le moins, depuis les élus (on pourra lire avec attention ce petit encart du Canard Enchaîné) jusqu’à certains sportifs qui s’empressent de faire jouer, dès qu’ils le peuvent, absolument toutes les ficelles de l’optimisation fiscale qu’ils dénoncent pourtant bruyamment ?
La réalité, c’est qu’avec 2000 milliards de dettes qui ne seront jamais remboursées, avec un budget systématiquement déficitaire, l’Etat français cherche, encore et toujours, à accaparer le peu de richesses que ce pays produit encore, en augmentant la coercition.
La réalité, c’est que l’augmentation des jolies prises de Bercy correspond en fait à l’augmentation constante des exfiltrations de capitaux fuyant ce qui est devenu un enfer fiscal à l’aune duquel même un pays comme la Belgique, pourtant collectivisé à mort, apparaît encore comme un paradis.
La réalité, c’est que personne dans le gouvernement, dans les médias et les « élites » jacassantes, ne semble avoir pris la mesure de ce drain et de la violence toujours plus forte de l’Etat à l’encontre des citoyens et des contribuables et des conséquences catastrophiques en matière d’emploi, de santé, d’avenir que cette violence fait peser sur le pays tout entier.
Et la réalité, c’est qu’il n’existe plus qu’une seule option pour ceux qui ne peuvent pas ou ne veulent pas fuir ou combattre cet état de fait.
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