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La concentration des médias français limite l’information

Publié le 06 mars 2016 par Podcastjournal @Podcast_Journal
Rédacteurs et stagiaires: cliquez sur cette barre pour vous connecter en back-office de la rédaction! Fabrice Arfi, journaliste à Mediapart et co-auteur du livre "Informer n’est pas un délit" confie que "sept milliardaires dont le cœur d’activité n’est pas l’information ont entre leurs mains 95% de la production journalistique." Parmi eux on peut trouver Serge Dassault, sixième fortune de France et anciennement à la tête d’un constructeur aéronautique. Il possède aujourd’hui le groupe Le Figaro. Xavier Niel, fondateur de Free a racheté en 2010 le groupe Le Monde qui englobe le journal Le Monde, le Courrier International, La Vie, Télérama. En 2014 il a racheté Le nouvel observateur qu’il rebaptise L’Obs. Les exemples sont encore nombreux, comme Martin Bouygues, président directeur général du groupe Bouygues depuis 1989, qui contrôle le groupe TF1 et détient 43,5% du capital de la première chaîne de France.
En 2015, Vincent Bolloré est classé huitième fortune de France avec 11.140 milliards d’euros. Il a repris la direction du conseil de surveillance de Canal+ qui fait parler depuis le printemps 2015.

Ce dernier est le président-directeur général du groupe Bolloré qui comprend des activités diverses et variées: films plastiques, papiers spéciaux, distribution d'énergie, batteries à haute performance, terminaux pour aéroports, agriculture... Depuis les années 2010 le groupe a inclus les médias. Ainsi, ce patron n’est pas étranger du marketing et de la communication mais il n’en reste pas moins qu’il contrôle et limite grandement les programmes du groupe Canal+. Après plusieurs rumeurs circulant quant à la suppression de l'émission culte de Canal+ "Les Guignols de l'info", en septembre 2015 le programme est devenu crypté et plusieurs auteurs licenciés. Plusieurs médias affirment qu’il s’agit d’une décision politique, alors que "Les Guignols" étaient connus pour leur irrévérence. Mais cela ne s’arrête pas là. Au printemps 2015, Vincent Bolloré interdit personnellement la diffusion d’un documentaire dans l’émission "Spécial investigation", consacré à des pratiques d'encouragement de la fraude fiscale qu'organiserait une filiale du Crédit Mutuel. Jean-Baptiste Rivoire, rédacteur en chef adjoint de "Spécial investigation" s’est exprimé début février sur le plateau d’"Arrêt sur images". "Au dernier comité d'investigation nous avons proposé à la direction onze projets d'enquête. On a eu sept refus." Parmi ceux-ci "Volkswagen, l’entreprise de tous les scandales", "Attentats: les dysfonctionnements des services de renseignements", "Les placards dorés de la République", "Nutella, les tartines de la discorde"… A la tête du groupe, Vincent Bolloré installe une censure qui limite la liberté d’investigations des journalistes. "Depuis que Vincent Bolloré a initié cette censure grave autant vous dire qu'il n'y a plus aucun producteur qui nous a envoyé un projet d'enquête sur le monde bancaire. Il n'y aura plus d'enquêtes sur les banques à Canal+", dénonce Jean-Baptiste Rivoire.
Si ces censures sont mises en place, c’est pour une raison. Dans le cas de Canal+ beaucoup montre du doigt les relations de Vincent Bolloré. En effet ce dernier entretient des liens d’amitié avec le patron du Crédit Mutuel, ce qui expliquerait la censure du numéro de "Spécial investigation". On lui prête également de nombreux liens avec des hommes politiques, tel Nicolas Sarkozy.
Ce phénomène est le même pour tous ces milliardaires. Fabrice Arfi explique que "leur chiffre d’affaires dépend pour partie de leurs rapports avec le gouvernement français ou les États étrangers." On comprend donc que lorsqu’un reportage ou un programme n’est pas à l’avantage des politiques ou d’autres hommes de pouvoir, il est dans l’avantage des responsables du groupe de ne pas le diffuser pour conserver de bonnes relations. C’est une tradition français: tout grand industriel se doit de posséder son média. Mais depuis une vingtaine d’années, on assiste à un réel phénomène de concentration des médias. Du coup, les patrons des médias français sont des hommes d’affaires et non des journalistes. Par exemple, Bernard Arnault, deuxième fortune de France, a le contrôle de L’Écho et a racheté en 2015 Le Parisien et Aujourd’hui en France. Il est à la tête du leader mondial de luxe LVMH, présent dans la mode, la bijouterie, la parfumerie ainsi que dans les vins et champagnes.

Qu'elle est la légitimité de ces milliardaires dans la presse? Ou bien même, quel est le gain à gagner par ces rachats pour ces industriels? Patrick Eveno, économiste des médias a tenté de répondre à la question. D’après lui, "ceux qui rachètent sont ceux qui ont les moyens de perdre de l'argent. Pour ces milliardaires plutôt discrets, la presse est aussi un moyen d'influence, de notoriété et de réseautage, qui les aide aussi pour leurs affaires." Ainsi, le rachat du Parisien par Bernard Arnault, fait sens pour Patrick Eveno dans le fait que "Paris est au cœur de l'univers du luxe. Ils peuvent positionner Le Parisien un peu plus sur ce créneau." Autre avantage pour le groupe LVMH, par ce rachat Bernard Arnault va pouvoir contrôler toute la publicité. Il va pouvoir promouvoir ces produits dans chaque titre de presse qu’il possède. Dans ce contexte, où les grands industriels rachètent les médias pour influencer leurs images, contrôlent le contenu et parfois censurent, se pose la question de la liberté d’informer. Les médias sont essentiels à la démocratie par l’information qu’ils donnent aux citoyens. Les personnes à la direction des médias font donc partie des personnes les plus puissantes car ils ont un moyen d’assoir leur pouvoir, souvent à l’insu du peuple. Par les rachats successifs de ces dernières années, les médias sont entre les mains de moins en moins de personnes, mais d’individus riches et proches des politiques. Fabrice Arfi a fait part de son inquiétude dans Média le Mag: "On ne peut pas se satisfaire de ce qui se passe en France. Bien sûr, on ne meurt pas d’être journaliste en France. Pour autant, nous ne sommes pas une démocratie qui répond aux canons en la matière. Et c’est notre devoir d’interroger ce monde bizarre qui nous entoure et d’essayer de comprendre pourquoi nous volons au citoyen son droit de savoir. C’est un bien fondamental!"

Dans le Classement mondial de la liberté de la presse en 2015 de Reporters sans frontières (RSF) la France est à la 38e place sur 180 pays. La Finlande occupe la première place. De nombreux pays sont donc en meilleure position que la France, tel le Costa Rica, l’Estonie, la Slovaquie, le Ghana, l’Uruguay… Ce score moyen de l’hexagone est en partie expliqué par de "nombreux conflits d’intérêts"et d’un cadre légal peu efficient. "Le projet de loi sur le secret des sources, décevant sur le fond, n’a toujours pas été adopté." Fabrice Arfi partage cette inquiétude. "On a une loi de la presse qui ne défend pas suffisamment la liberté d’informer. Et on a un accès aux documents administratifs qui est pitoyable en France. Tout cet écosystème-là est à repenser de fond en comble, parce qu’on est dans un moment extrêmement inquiétant." Alors que les politiques ne semblent pas se soucier de cette nouvelle sorte de censure qui apparaît, certains journaux sont encore indépendants. Parmi eux, on trouve Le Canard enchaîné, Charlie Hebdo, Mediapart… et ne l'oublions pas, le Podcast Journal. Dans ces cas, ce sont généralement les journalistes et quelques autres personnalités qui se partagent les parts. L’information qui peut déranger, les investigations… peuvent encore être connus par les citoyens français, mais pas sur la majorité des supports français.

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