Pape est un métier complet. Il faut être multi-compétent pour faire le job. Comme un footballeur, un disc-jockey ou un bonimenteur d’émission people, on lui demande d’avoir un avis sur tout, alors il s’autorise à donner des avis qu’on ne lui demande pas. Forcément, si la stagiaire n’a pas préparé une fiche ad hoc ou l’anti-seiche documentée, c’est le couac assuré. Papatrac ! Touche pas à mon pape !
C’est ce qui a dû se passer lorsque le pape a rencontré 32 membres de Poissons roses, le banc et l’arrière banc d’un groupuscule associatif d’inspiration chrétienne affilié au Parti socialiste. Sans doute subjugué par son auditoire, il a laissé flotter sa pensée de fond. Quand un pape nage dans l’euphorie, il dit bien fort ce que d’habitude il réserve aux messes basses. Plus proche du curé de Cucugnan que du curé Meslier, voilà qu’il professe une sentence exécutive sur l’état de la France. Selon son éclairée appréciation « la France doit devenir un Etat plus laïc ». (La Vie. 02/03/2016). Puis à l’aise comme un poisson dans l’eau, il ajoute avec la bonhommie de ceux qui aiment éclabousser leur auditoire que la laïcité de la France « résulte parfois trop de la philosophie des Lumières, pour laquelle les religions étaient une sous-culture. Et la France n'a pas encore réussi à dépasser cet héritage ».
Hé, souverain poncif, voilà un chouette argument d’autorité ! La philosophie des Lumières n’est pas de son goût. Un « trop » de philosophie ou un « trop » de Lumières ? C’est que, poursuit-il, le concept de laïcité introduit dans la démocratie française est « sain ». Que voulait-il dire ? Consommable immédiatement, comme un légume bio ? Pas toxique, comme une parcelle cultivable où les produits phytosanitaires auraient été supprimés ? Curieux le recours de cet adjectif pour désigner un principe juridique. Il fallait une suite. Elle vint agrémentée d’une nuance : « Une laïcité saine comprend une ouverture à toutes les formes de transcendance, selon les différentes traditions religieuses et philosophiques. La recherche de la transcendance n'est pas seulement un fait, mais un droit ». Hé pape, faut pas trop planer ! Depuis pas mal de temps la France n’est plus une propriété de l’Eglise. Un peu d’objectivité permettrait d’ajuster l’Histoire avec les partis-pris. La transcendance est un droit ? Non un choix !
Pape, le droit de chacun, c’est de penser librement sans l’influence d’une croyance. Urgence Lumières ! Pape, il faut lire le petit texte de Kant Qu’est-ce que les Lumières ? (1784). Il y est rappelé que l’homme quittera son état de sujet « lorsqu’il saura se servir de son propre entendement sans la direction d’un autre ». « Aie le courage de te servir de ton propre entendement ». Oser penser pour ne pas être dominé. Oser penser pour être libre. Oser penser pour être irremplaçable…
La saillie papale montre que le retour à la tradition infernale des religions qui se pensent comme la seule source de justification spirituelle est amorcé. Ce retour de l’immuable refoulé de la transcendance donnée comme une obligation morale par toutes les cléricatures est loin d’être sain. La laïcité serait une réponse à tous les rêves de bûchers. « La religion fait peut-être aimer Dieu mais rien n’est plus fort qu’elle pour faire détester l’homme et haïr l’humanité », dit Boualem Sansal.
Toujours est-il que la sentence de ce pape adulé des bobos a donné lieu à un beau désordre orthographique. Dans la phrase citée le plus souvent par les médias, « la France doit devenir un Etat plus laïc », le dernier mot est un adjectif. Si, de nombreux médias ont repris telle quelle la formule de l’AFP, imitée immédiatement par les médias numériques, Le Monde a cependant vite rectifié la citation : « laïc » est devenu « laïque ». « La France doit devenir un Etat plus laïque », estime le pape François. www.lemonde.fr/religions/article/2016/03/02/l Metronews a titré directement avec l’adjectif ad hoc « La France pas assez laïque et "l'invasion arabe": les déclarations choc du pape ». Il faut dire que les spécialistes du lexique ne sont pas toujours sensibles à la nuance. Pour le Larousse, « laïc ou laïque adjectif et nom, latin ecclésiastique laicus, du grec laikos, du peuple, se dit d'un chrétien qui ne fait pas partie du clergé ». Le dictionnaire culturel de la langue français, Le Robert réunit laïque et laïc dans le même article, tout en précisant que « laïc » ou « laïque » et celui « qui ne fait pas partie d’un clergé ». Laïc est donc un substantif. Le Trésor de la langue française emploie indifféremment laïque ou laïc comme adjectif et comme nom. Comme adjectif, c’est laïque qui s’impose. Laïque n’est donc pas le féminin de laïc. Ainsi, on peut qu’approuver Victor Hugo quand, il déclare à l’Assemblée nationale le 15 janvier 1850, « Je veux ... l'Eglise chez elle et l'Etat chez lui... Je veux l'Etat laïque, purement laïque, exclusivement laïque ». On écrira donc « enseignement laïque » et « école laïque ». « Laïc » est réservé au seul nom masculin. Un militant de la laïcité explique que pour montrer la différence entre “laïc” et “laïque”, il mentionne « qu'un curé ne peut pas être “laïc”, puisque “un laïc “ désigne un membre d’une religion qui ne fait pas partie de son clergé, et que ce curé ne peut pas être “laïque”, si on entend par “laïque” indépendant des religions, (comme l’Etat laïque). Mais un curé peut être “laïque”, si on entend par “laïque” partisan de notre laïcité républicaine. C’est pourquoi pour éviter toute confusion je préfère dire laïciste ».
L’usage et la dimension idéologique de l’écrit support déterminent ou orientent la graphie. Pour certains, par exemple, « laïc » désigne plus précisément les croyants n'ayant pas reçu d'ordination sacerdotale, tandis que « laïque » s'appliquerait à tous ceux, tant croyants qu'incroyants, qui respectent et défendent la laïcité. De quoi y perdre son latin profane. La lumière et l’argumentation positive viennent d’un site qui situe son engagement laïque dans l’étude laïque du langage. On y trouvera des éléments qui ne manqueront d’éclairer nos chandeliers et nos candélabres. http://01-comite1905.org/spip.php?article50