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[CRITIQUE] Un jour avec, un jour sans

Par Régis Marton @LeBlurayphile
[CRITIQUE] Un jour avec, un jour sans

un film de: Hong Sang-soo
avec: Jung Jae-young, Kim Min-hee

Festival de Locarno 2015: Léopard d'or du meilleur film, Léopard d'or du meilleur acteur

Un jour avec, un jour sans est un film majeur dans l'œuvre de Hong Sang-soo. Succédant à une période foisonnante de " petits films " (films courts, vifs, épurés), il revient à un format qui était celui de ses premiers films; un film de deux heures, ou plutôt, un film de 2×1 heure. C'est avec une grande jubilation que l'on assiste à la trouvaille d'une forme aboutie qui semblait tarauder le cinéaste depuis plusieurs films: unir le format court et le format long dans un même ensemble. Ainsi, on pourrait dire d' Un jour avec, un jour sans qu'il s'agit de la juxtaposition de deux moyens métrages dans une même continuité. Le film, constitué en deux parties distinctes, dont la seconde est une variation de la première, semble au premier abord jouer sur la répétition du même. On s'aperçoit vite qu'elle en est, en fait, la déviation. L'histoire est des plus simples, et des plus connues, pour qui fréquente l'œuvre du cinéaste: Ham Cheon-soo, réalisateur arrivé un jour trop tôt dans la ville de Suwon pour y présenter une rétrospective de ses films, rencontre par hasard Yoon He-jeong, une jeune femme peintre.

Le temps et son dédale

[CRITIQUE] Un jour avec, un jour sans

Chez Hong Sang-soo, le temps est une architecture au milieu de laquelle les personnages se croisent et se perdent. Chaque fragment de cet édifice, faussement symétrique, est interchangeable de sorte que les scènes semblent être des décalques les unes des autres. Ici, celles de la seconde partie font écho à celles de la première. A l'échelle de l'œuvre du cinéaste, bon nombre de films paraissent d'incessantes reprises du même motif. Et pourtant non. Car, c'est sans compter les variations, les modulations, les décalages rythmiques, les contrepoints et les contretemps. Ainsi, les scènes du " deuxième film " d' Un jour avec, un jour sans ne sont ni tout à fait la suite, ni tout à fait le prolongement de celles du " premier film ". Ces évènements pourraient se produire quelques secondes plus tôt ou quelques secondes plus tard que ceux, analogues, de la première partie. Les déviations des deux récits passent par des détails qui influent sur les personnages et modifient leur parcours. Tout semble alors recommencer et se poursuivre en même temps. Le temps du film n'est plus le même que le temps du récit. En effet, bien que le film soit coupé en son milieu en deux parties d'une durée équivalente, la seconde partie contient plus de scènes que la première. C'est dans les ellipses de la première partie que s'engouffrent certains fragments de la seconde, que l'on identifie à la fois comme continuités et variations. Ce jeu temporel participe grandement à l'émotion ressentie devant le film. Car on aurait tort de penser qu'il s'agit là d'un procédé purement théorique. Il s'agit ici de voir autrement ce que l'on a déjà vu, revoir sous un autre angle les mêmes évènements, en étant habité par un autre sentiment, par d'autres pensées.

Dans le cas de Un jour avec, un jour sans, on peut parler de trois constructions temporelles explorées par Hong Sang-soo: le film-puzzle, à l'instar de Le Jour où le cochon est tombé dans le puit et In Another country, où la seconde partie est à la fois contradictoire et complémentaire de la première; le diptyque, divisé en deux volets plus ou moins symétriques, comme Le Pouvoir de la province Kangwon et Woman on the Beach; et le film coupé en deux, comme La Vierge mise à nu par ses prétendants et Conte de cinéma. Sa structure élabore deux mondes coexistants avec une infinité de possibles entre eux, marquée par des points de convergences et des écarts dans le tempo du récit. Ainsi, malgré l'homogénéité apparente des deux parties, les ressentis divergent. La première partie est la plus vive et la plus légère, alors que la seconde, tout aussi drôle, se teinte d'une gravité mélancolique plus douloureuse. Une infinité de combinaisons émerge au gré des évènements, faisant de la seconde partie un " négatif " de la première, son reflet diffracté, révélant dans cet entre-là toute une expérience des possibles.

Vacance existentielle

Au cœur de ce système se rencontrent deux personnages, un homme et une femme, au caractère forcément contraire. Depuis le début de son œuvre, Hong fait des deux sexes opposés quelque chose d'inévitablement étrange pour l'autre. Ham Cheon-soo est plutôt nerveux, gesticulant sans arrêt, alors que Yoon He-jeong est plus douce, presque lunaire. Mais, d'une partie à l'autre, ils ne sont plus tout à fait les mêmes. Le cinéaste s'amuse à laisser une seconde chance à ses personnages pour trouver le comportement idéal, la sincérité la plus exemplaire devant les situations qu'ils rencontrent. C'est un véritable fantasme d'être humain que de souhaiter revenir en arrière après un échec pour corriger le tir et franchir l'obstacle. Mais Hong semble nous dire qu'il n'y a pas d'idéal et que toute personnalité à sa part de gaucherie. Si la prétention ironique de Ham Cheon-soo se change en une touchante honnêteté, l'éloge qu'il fait de la peinture de Yoon He-jeong dans la première partie, devient un aveu cruel dans la seconde. De même, si dans le premier film, les personnages masquent tant bien que mal leurs sentiments naissants (qui sont surtout affectueux et physiques, l'amour n'intervenant que par l'alcool), ils se dévoilent davantage dans la seconde moitié, mais toujours avec une gaucherie jubilatoire. Ce redoublement de jeu opère comme un redoublement de l'inconscient. De ce point de vue, le questionnement de Hong Sang-soo n'est pas si éloigné de celui d'un cinéaste bien différent: David Lynch. Si dans Lost Highway, une conscience passait d'un corps à l'autre, dans Un jour avec, un jour sans ce sont deux mêmes corps qui passent par différents états de conscience.

[CRITIQUE] Un jour avec, un jour sans

Il faut dire un mot des deux magnifiques acteurs du film, Jung Jae-young et Kim Min-hee, et de leur aptitude à tenir les plans. La mécanique de la durée est comme souvent chez Hong Sang-soo une manière de mettre à l'épreuve le corps des acteurs et de les voir occuper l'espace pendant un temps relativement long. Pour cela, le film est radical. D'une durée de deux heures pour une cinquantaine de plans, les acteurs ont le temps pour eux et le sculptent selon leur rythme personnel. D'où, chez Hong Sang-soo, l'importance du plan séquence où la parole agit comme un flux entre les personnages. Les dialogues et les affects peuvent remplir et circuler dans le cadre. La coupe est proscrite afin de ne pas rompre cet espace qui, à lui seul, réunit deux êtres voués à se séparer tôt ou tard. De fait, l'utilisation personnelle que le cinéaste fait du zoom prend tout son sens. Il lui permet de monter dans le plan, sans couper. De plus, il filme l'aimantation de ces corps, et donc, l'espace qui les sépare, plus ou moins important et ténu selon leurs mouvements. L'alcool, parce qu'il désinhibe le corps et libère la parole, participe à créer une nouvelle dynamique. Les corps saouls et titubants de la seconde partie (dans la scène où il la raccompagne chez elle) se rapprochent et se repoussent, entre délicatesse et brusquerie.

Ce film hivernal aux couleurs pastel fait un pas de plus dans le dépouillement et la précision que travaille Hong Sang-soo de film en film. Il s'en tient au strict nécessaire. En découle un sentiment du temps présent toujours plus aigu. C'est bien l'attente que filme le cinéaste, mais comme une sensation concrète, palpable. Elle sert à déclencher l'intrigue (c'est lorsque les personnages ne font rien qu'ils se rencontrent), mais elle est également son moteur. Le film tire sa force de cet abandon.

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