11.22.63 est une nouvelle série de huit épisodes diffusée sur Hulu aux États-Unis et Super Channel au Canada. Le personnage principal est Jake Epping (James Franco), divorcé et professeur de littérature dans le Maine et dont le meilleur ami, Al (Chris Cooper), tient un restaurant à deux pas de chez lui. Ce dernier n’en a plus pour longtemps à vivre et lui révèle son secret : lorsqu’on se rend au fond d’un des placards de son établissement, on effectue automatiquement un voyage dans le temps nous ramenant à une heure et date précise en 1960. Al y est allé plusieurs fois dans le but de rester assez longtemps afin d’éviter l’assassinat du président Kennedy, mais sans jamais y parvenir et il convainc Jake de reprendre le flambeau. Adaptation du livre éponyme de Stephen King par J.J. Abrams, 11.22.63 est une fascinante incursion dans le passé qui mélange admirablement bien thriller et science-fiction. Et bien qu’il incarne un personnage somme toute discret, James Franco crève l’écran et c’est sans contredit qu’on a envie de le suivre jusqu’à la fin de l’aventure.
Un passé qui ouvre plusieurs portes
Honnêtement, Jake n’a pas grand-chose à perdre en se lançant dans cette aventure, mais avant qu’il ne tente quoi que ce soit, une nouvelle règle est toujours de mise : peu importe le nombre d’heures, voir même d’années où il séjourne dans le passé, s’il veut retourner en 2016, les gens n’auront remarqué sa disparition que deux minutes tout au plus, si bien qu’il ne risque jamais d’être porté disparu. Par contre s’il décide de retourner encore dans le passé, il devra recommencer à zéro, soit, en 1960, d’où l’importance de bien se préparer avant son départ. Une fois là-bas, il découvre rapidement que l’on ne devient pas espion en claquant des doigts et tant d’obstacles surgissent qu’il est sur le point de quitter le passé, n’eût été une autre mission dans le deuxième épisode beaucoup plus facile à réussir : empêcher un père de famille (Josh Duhamel) du Kentucky d’assassiner sa femme et deux de ses enfants le soir de l’Halloween. C’est que dans le présent, le seul fils survivant de cette tragédie est son (vieil) élève et il cherche pour ainsi dire à réécrire son histoire. Dans cette quête, il se lie d’amitié avec Bill Turcotte (George MacKay), un pauvre hère à qui il dit toute la vérité et qui le suit jusqu’à Dallas dans l’épisode suivant. Ensemble, ils trouvent un logement tout juste à côté de celui de Lee Harvey Oswald (Daniel Webber), le « futur présumé » assassin de Kennedy et Jake se trouve un travail de professeur dans une école à proximité. Donc, une nouvelle vie qui s’avère agréable commence, mais avec de grosses responsabilités.
Ce qu’il y a d’intéressant avec 11.22.63 est qu’en trois épisodes, on nous transporte dans trois univers différents et que tous parviennent à retenir notre attention, notamment en raison d’une ambiance efficace qui agit comme fil conducteur, peu importe l’action qui s’y déroule. Ainsi, dans le pilote, c’est une longue introduction à la Outlander, c’est-à-dire un voyage dans le temps effectué grâce à une méthode absurde. Néanmoins, à l’inverse de la série de Starz, celle de Hulu nous donne beaucoup de détails sur la marche à suivre et les expériences passées d’Al, si bien qu’on achète totalement le contexte. Puis, pour les fans d’Hitchcock et de Psycho (d’ailleurs, sorti aussi en 1960), l’épisode #2 est un vrai bijou télévisuel : on est dans le mélodrame avec ces maisons isolées, une ambiance glauque et un mélodrame familial, agrémenté d’une trame sonore saisissante digne de l’œuvre de Bernard Hermann. Au point de vue scénaristique, il s’agit bien ici d’une parenthèse à l’histoire générale, mais qui nous montre aussi la volonté de la production de s’imprégner d’un langage cinématographique qu’il perpétue d’ailleurs à l’épisode suivant; celui-là même où la véritable enquête sur Oswald se met en branle.
C’est justement cet aspect de l’histoire qui risque d’en attirer plus d’un : autant dans American Crime Story, The People vs OJ Simpson on s’intéresse au procès et à l’influence de l’opinion en lien avec un crime probablement commis par le principal intéressé, autant dans 11.22.63, c’est le crime en soi qui pique notre curiosité et l’interprétation qu’en fait la série. C’est que selon un sondage Fox de 2004 par exemple, 66 % de la population était persuadée que le meurtre de Kennedy résultait d’une conspiration, tandis qu’un autre mené par Gallup en 2013 nous apprenait que 61 % de la population croyait qu’Oswald n’avait pas agi seul, comme l’a affirmé l’enquête officielle. La série joue déjà sur ce scepticisme et quand bien même Jake parviendrait à éviter le meurtre du président, rien ne nous prouve que la planète aura droit à un monde meilleur en évitant ce drame.
Un protagoniste fantôme
Certaines critiques s’en sont prises au personnage incarné par James Franco, dénonçant son manque de profondeur. Il est vrai qu’on ne sait pas grand-chose de l’homme lorsqu’il s’embarque dans ce périple et que jusqu’ici, il est davantage le spectateur des événements. Pourtant, on a affaire à un professeur de littérature novice en matière d’espionnage et le public peut aisément s’identifier à lui et à ses diverses expériences à tâtons. En même temps, sa relative neutralité nous offre un meilleur point de vue du contexte social de l’époque qu’il s’agisse de la condition (déplorable) des noirs, de la bigoterie dans les petits villages, de la place de la femme et c’est sans oublier la magnifique reconstitution d’un discours de Kennedy face à ses partisans dans une salle bondée qui nous donne vraiment le pouls d’une renaissance politique. En fait, en effaçant le protagoniste au profit de l’époque à laquelle il se trouve, 11.22.63 réussi largement où Vinyl (HBO) a échoué, alors que le flamboyant, mais peu attachant Richie Finestra prend toute la place, ne laissant que des miettes au contexte historique, incluant même les courants musicaux.
L’avantage avec 11.22.63 est qu’au bout des huit épisodes, on peut être assuré que l’intrigue sera bouclée puisqu’il s’agissait d’une série « événement » et vu l’erre d’aller de la série, on est quasiment certains qu’on en aura pour notre argent. Quant à James Franco, on le verra dans un tout autre registre prochainement puisqu’il tiendra le rôle d’un acteur de films pornographiques dans les années 70-80 aux côtés de Maggie Gyllenhaal dans The Deuce, nouvelle production d’HBO, créée et écrite par David Simon (The Wire, Treme, Show me a Hero, etc.)