Le Larousse, ineffable usuel, auquel il est bon de se référer pour connaître le sens d'une expression, donne cette définition: "Point de suture: point de couture effectué à l'aide d'un fil, serti sur une aiguille et maintenu par un nœud, pour rapprocher les lèvres d'une plaie ou d'une incision chirurgicale afin d'en faciliter la cicatrisation."
Dans un des entretiens, qu'il accorde à la fin de chaque chapitre du roman, Arthur, le narrateur, laisse le lecteur libre d'interpréter le titre, Point de suture, que Florian Sägesser lui a donné: il peut tout aussi bien considérer que la cicatrisation des grandes blessures de sa vie est obtenue grâce à un point de suture ou qu'au contraire il n'est point de suture pour les cicatriser...
Les deux lèvres de la grande plaie de cette histoire sont très éloignées. Un océan les sépare. Alors que Rémy a treize ans et qu'Arthur en a huit, leurs parents se les sont partagés au moment de leur divorce, "comme on se partage les meubles du salon": Arthur a suivi sa mère aux Etats-Unis, Rémy est resté en France avec son père.
Les liens entre Arthur et son frère sont depuis lors bien ténus, même s'ils ont eu des nouvelles l'un de l'autre par Sophie, une amie d'enfance. En fait, pendant les vingt-cinq ans de leur séparation, ils se sont peu entendus, ils ont surtout entendu parler l'un de l'autre dans les gazettes, parce que devenus célèbres: Arthur comme écrivain, Rémy comme peintre-photographe.
Aussi est-ce une surprise pour Arthur, quand son frère, avec lequel il n'a pas eu de contact depuis peut-être trente-deux mois, l'appelle au téléphone pour lui dire qu'il aimerait accompagner sa prochaine expo d'une autobiographie écrite par lui. C'est une occasion unique pour les deux frères de se retrouver et Arthur ne manque pas de la saisir.
Le récit est dès lors celui de leurs retrouvailles pendant lesquelles ils essayent de rattrapper le temps perdu, de se connaître davantage, de se forger des souvenirs communs: "Des images symbolisant notre nouveau lien. Un territoire qui nous serait propre, que seuls nous pourrions arpenter, partager, un lieu qui nous survivrait."
Dans sa vie, Arthur a développé la technique de la fuite comme échappatoire, une manière, à chaque fois, de rechercher la bouffée d'oxygène salvatrice. Cette fois il s'agit d'une fuite en avant, en apnée. Mais, finalement, elle en vaut la peine, car Arthur, "observateur du quotidien", saura dresser avec ses mots le portrait tout en nuances de "L'Artiste" qu'est son frère.
Francis Richard
Le point de suture, Florian Sägesser, 156 pages, Olivier Morattel Editeur