Le calvaire des musiciens semble sans fin : après la chute de la vente des disques, la réduction des achats de chansons en ligne et la fuite vers les services de diffusion contre des redevances réduites, voilà que ces mêmes services sont victimes de fraude à grande échelle.
Oublions donc Kanye West dont le nouvel album a été piraté à plusieurs centaines de milliers de reprises après avoir été lancé en exclusivité sur le service TIDAL, ou Taylor Swift qui a décidé de quitter Spotify pour protester contre la faiblesse de son modèle d’affaires. De petits malins ont trouvé comment tirer un profit du modèle de redevances au clic sans devoir enregistrer la moindre chanson.
Le trafic numérique frauduleux représenterait des pertes de 7,2 milliards de dollars US aux États-Unis.
Dans un article détaillé publié sur Quartz, la journaliste Amy X. Wang explique qu’alors que des artistes poursuivent Spotify, TIDAL et Rhapsody (Napster au Canada) pour des questions de respect des droits d’auteur et de redevances, des algorithmes informatiques sont utilisés pour récolter des milliers de dollars au nez et à la barbe des administrateurs de services musicaux par abonnement.
Le truc? Mettre en ligne des «chansons» muettes et programmer des robots pour écouter ces pièces en boucle, histoire de ramasser son chèque en fin de compte. Tous services confondus, le trafic numérique frauduleux représenterait des pertes de 7,2 milliards de dollars US aux États-Unis selon l’Association of National Advertisers.
Épine dans le pied
Tandis que les revenus de la diffusion de musique en ligne devraient atteindre 2 milliards de dollars US par année d’ici 2019 pour les Spotify, Apple Music, Deezer et autres Google Music de ce monde, la fraude est un problème auquel ces compagnies devront s’attaquer plus tôt que tard pour éviter que trop d’artistes ne se désistent en invoquant la perte de confiance.
Le cœur du problème n’est pas la fraude, mais la question des droits d’auteur. Le système est ainsi fait que plus une chanson a d’écoutes, plus ses ayants droit recevront de l’argent. Dans un monde normal, cela veut dire les artistes, les producteurs, les distributeurs, les publicistes, etc. Mais dans le monde numérique, la situation est tout sauf normale, même au Canada. Et le domaine de la musique n’est que l’une des têtes de l’hydre du système de copyright en ligne, les autres étant le contenu vidéo et les jeux. L’animal dégage depuis longtemps une odeur de charogne, mais les associations de défense des droits de propriété intellectuelle, RIAA et MPAA en tête, continuent de maintenir en vie cette créature du siècle dernier.
Le DJ a sauvé mon âme
Comme si cela n’était pas suffisant, Apple a annoncé mardi un partenariat avec Dubset Media Holdings pour diffuser en ligne des chansons remixées, des mashups, et des prestations de DJ. Autant de créations musicales autrefois confinées aux coins plus sombres du Web en raison des questions de copyrights.
Le site MacRumors précise que Dubset se servira d’un logiciel pour analyser les pièces remixées afin d’identifier les artistes et pièces utilisées pour payer les ayants droit. En utilisant la force brute, un morceau d’une durée d’une heure pourrait être traité en 15 minutes, mentionne le PDG de l’entreprise Stephen White.
En fin de compte, des ententes auraient déjà été signées avec plus de 14 000 maisons de disques et producteurs de musique.
Il est évident que ce système ne fonctionnera pas à tout coup. Un peu à l’image des grands studios de jeux vidéo lançant un titre AAA avec une composante en ligne (ou, horreur, une connexion obligatoire au Web), des erreurs vont survenir et des gens seront frustrés, voire en colère.
Printemps musical
L’idée de passer les remix au crible a aussi quelque chose de fondamentalement anti remix, sorte d’exercice de déconstruction de ce qu’un créateur a voulu mettre sur pied en mélangeant justement les pièces, les artistes, les styles. Est-ce aussi à dire que la création d’un DJ ne constitue pas une œuvre à part entière? On en revient encore au principe du fair use (utilisation équitable en français), sorte de principe-parapluie derrière lequel plusieurs créateurs se réfugient lorsque vient le temps de diffuser des œuvres sur le Web. Pour le meilleur et pour le pire, d’ailleurs. D’autant plus que le concept s’applique différemment en fonction du pays de résidence du créateur. Et s’appliquer est parfois un bien grand mot…
Rome ne s’est pas bâtie en un jour, et mettre le feu à l’édifice chambranlant des droits d’auteur n’est absolument pas la solution idéale pour changer les choses.
Rendons néanmoins à César ce qui lui appartient. L’approche d’Apple et de Dubset n’est pas parfaite, mais elle donne au moins l’occasion à des DJ d’acquérir une légitimité supplémentaire. Voilà peut-être ce qu’il faut pour faire progresser la question des droits d’auteur en ligne. La carotte pour ces artisans des platines, le bâton pour ceux qui fraudent le système (bien imparfait) des redevances.
Rome ne s’est pas bâtie en un jour, et mettre le feu à l’édifice chambranlant des droits d’auteur n’est absolument pas la solution idéale pour changer les choses. De toute façon, tout travail mérite salaire, et aussi bordélique et dysfonctionnel que soit le système, il incombe à l’industrie et aux artistes de le transformer de l’intérieur.