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Comédie française - Ça a débuté comme ça, de Fabrice Luchini

Publié le 19 mars 2016 par Francisrichard @francisrichard
Comédie française - Ça a débuté comme ça, de Fabrice Luchini

Autant le dire tout de suite, il m'est difficile de parler de Fabrice Luchini avec impartialité. Nous sommes tous deux du même millésime, 1951; cela crée un contexte historique commun. Nous sommes tous deux amoureux des grands textes, devant lesquels nous nous inclinons; cela crée une complicité indicible. Nous sommes antinomiques; cela crée de l'attraction.

Une seule fois nous nous sommes croisés et j'en garde un souvenir impérissable, ce qui ne doit pas être le cas pour lui. Mais, du coup, je suis bien conscient que j'ai pour tout ce qu'il dit un préjugé favorable, que ses dires n'ont jamais à ce jour démenti. Il vient d'écrire un livre, Comédie française, dans lequel il se raconte, jadis et naguère. Eh bien l'après-jugé conforte le préjugé.

Quand il commente La laitère et le pot au lait, de La Fontaine, mon poète préféré, inimitable, je me sens plus intelligent parce qu'il me fait comprendre pourquoi le fabuliste n'est pas seulement un adaptateur de génie des fables d'Esope: "Le génie de La Fontaine  c'est d'avoir créé, plutôt retrouvé le mouvement." Il précise que ce mouvement est "libéré de toute rhétorique".

Quand il fait le rapprochement entre Céline et La Fontaine, je dresse une oreille intéressée et ouvre un oeil tout aussi intéressé. Je me rends compte que ce rapprochement est fondé: "Céline, comme La Fontaine, comme Villon, comme Rabelais, comme Rimbaud, fait entrer la vie dans la littérature." L'autodidacte qu'il est en remontre gentiment à l'élève d'une grande école que je suis.

Quand il dit qu'il est l'Alceste du Misanthrope de Molière, parce qu'il ne cesse de se "plaindre des gens, de leur brutalité, du bruit qu'ils font, de leur indifférence aux autres", je me sens Philinte, son opposé: "Je prends tout doucement les hommes comme ils sont, j'accoutume mon âme à souffrir ce qu'ils font." Ce que Luchini traduit par "Philinte s'adapte au portable"...

"Quoi de neuf? Molière", repète inlassablement Jean-Laurent Cochet à qui veut l'entendre. Fabrice Luchini, son élève, abonde: "Il nous délivre du narcissisme de la modernité en nous obligeant à nous mesurer aux constantes de l'âme humaine." Et il le fait en créant "des scènes et des personnages qui ont une puissance éternelle": "Molière, c'est un graphologue organique."

Quand il relate sa visite à Roland Barthes, que j'ai découvert sur le tard, je l'envie un peu. Barthes avait fait dans Le Nouvel Obs l'éloge de son rôle de Perceval dans le film éponyme d'Eric Rohmer. Je suis sur sa longueur d'onde quand il dit: "C'est le Barthes des Fragments [d'un discours amoureux] qui m'enchante; le sémiologue du Degré zéro de l'écriture n'est pas pour moi."

Quand il parle du Bâteau ivre d'Arthur Rimbaud, il me rassure. Car il reconnaît que c'est une oeuvre incompréhensible la plupart du temps. Au point qu'il est impossible de la dire. Pourtant il en a fait des représentations. Parce qu'il a compris que c'est "simplement hallucinatoire", qu'il s'agit d'humeur et que c'est magnifique sans qu'il importe du tout de comprendre...

Quand il dit que La Fontaine, Racine, Rimbaud, Baudelaire, Hugo ont changé sa vie, je ne peux qu'ajouter qu'ils ont également changé la mienne. Aussi, faisant confiance à sa compétence, le cité-je: "La poésie, c'est une rumination. C'est une exigence dix fois plus difficile qu'un texte de théâtre. La poésie demande une vulnérabilité, une capacité d'être fécondé."

Fabrice - dont le prénom est Robert comme celui de mon père - parle de bien d'autres choses dans ce livre que j'ai lu et reçu aujourd'hui comme un merveilleux cadeau d'anniversaire. Mais, comme j'ai décidé de persévérer dans ma partialité jusqu'au bout, ce sont les quelques propos ci-dessus - parce qu'ils me parlent - qu'il me plaît de souligner égoïstement aujourd'hui.

De toute façon Fabrice parle peu de lui-même dans ce livre. Ou plutôt si, il parle beaucoup de lui-même quand, plutôt que d'occuper le terrain "par infatuation de l'ego", il passe son temps à témoigner d'auteurs plus grands que lui; car, ce faisant, il se révèle par ses choix et ce n'est pas fortuit s'il cite Flaubert écrivant à Ernest Feydeau:

"L'écrivain ne doit laisser de lui que ses oeuvres. Sa vie importe peu. Arrière la guenille!"

Francis Richard

Comédie française - Ça a débuté comme ça, Fabrice Luchini, 256 pages, Flammarion


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