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Reprise du Trouvère mis en scène par Olivier Py au Bayerische Staatsoper

Publié le 19 mars 2016 par Luc-Henri Roger @munichandco

Reprise du Trouvère mis en scène par Olivier Py au Bayerische Staatsoper

Crédit photographique: Wilfried Hösl


La reprise du Trouvère dans la mise en scène récente d´Olivier Py (2013) nous donne l´occasion de découvrir et d´apprécier trois jeunes grands talents trentenaires pleinement confirmés dont les noms font bruisser la planète opéra, le Manrico de Yonghoon Lee, la Leonora de Julianna di Giacomo et le Conte di Luna d´Igor Golovatenko.
Olivier Py et son décorateur complice Pierre-André Weitz ont préféré le temps de l´écriture à celui de la narration en le déplaçant du moyen âge vers la société industrielle contemporaine du compositeur, le temps des machines à vapeur, des industries avec leurs ateliers aux structures de fer et du développement des réseaux ferroviaires (avec une loco sur scène et un rideau d´avant-scène à la Tinguely), tout en introduisant par de constantes mises en abyme un monde onirique et mythique qui donnent un écho amplifié au scénario horrifique du livret de Salvatore Cammarone, que le metteur en scène suit scrupuleusement. Py place Azucéna au centre du drame en donnant un relief inhabituel au personnage dont il souligne la complexité. L´action est continuellement doublée par des actrices qui la représentent en pantomime. La mère de la tsigane est figurée par une vieille femme nue aux longs cheveux gris qui porte une corde autour du cou. Une jeune femme nue elle aussi brandit deux bébés sanguinolents. Sur une scène un gladiateur lycanthrope affronte un gladiateur minotaure, ils figurent sans doute les combats, celui du pouvoir et celui de l´amour, qui opposent Manrico au fils du Comte de Luna. Le châtiment habituel des sorcières, le bûcher, est représenté par une croix en feu ou par une foret de bouleaux qui brûle et se calcine. Si l´anachronisme des bûchers de l´inquisition et de la révolution industrielle  patent, c´est cependant la lecture onirique cauchemardesque et angoissante qui domine. Les décors et les costumes de Pierre-André Weitz se déclinent dans des camaïeux de noir et de gris, avec de rares touches de couleurs brunes ou roses. Les atmosphères sont sinistres ou délétères, avec souvent des touches sexuelles ambiguës: Olivier Py affectionne la nudité de torses masculins puissamment musclés et introduit une relation incestueuse ou tout au moins trouble entre la tsigane Azucéna et son fils prétendu. Il tend le récit du leitmotiv d´un filin rouge qui figure à la fois la corde des pendaisons, le lasso, les liens qui ligotent mais aussi des cordons ombilicaux ensanglantés. Sur la scène dans la scène, deux bébés géants avec de grosses têtes disproportionnées gesticulent.  Les machines et les guerres semblent broyer les humains comme la haine les déchiquette et les réduit en cendres. L´excellentissime choeur du Bayerische Staatsoper est soumis à d´incessants changements de costumes qui représentent ici la guerre et là la pauvreté monde ouvrier et la misère de l´émigration, avec souvent une convocation de l´imagerie goyesque. 
L´orchestre et les choeurs font ruisseler  la musique verdienne sous  l´exacte direction d´Antonello Allemandi, un chef qui maîtrise à merveille  le répertoire italien de l´ottocento et qui sait souligner le sens de la théâtralité musicale et la profondeur psychologique dans son approche des opéras de Verdi. Le casting a sélectionné des voix très puissantes pour les rôles principaux qui passent toutes allègrement l´orchestre. A commencer dès l´ouverture par la basse de Goran Jurić qui interprète Ferrando en force avec la formidable présence en scène de sa stature imposante, mais avec cependant le bémol de coloratures par trop répétitives sans trop de différenciation dans l´expression des affects. On a le plaisir de découvrir le Conte impitoyable d´Igor Golovatenko, un baryton russe qui fait partie depuis 2014 de la troupe du Bolchoï  avec une voix puissante, veloutée dans la menace, un phrasé impeccable, remarquable dans la nuance émotionnelle étudiée à la syllabe près. La Californienne Julianna Di Giacomo emplit le rôle de Leonora de la belle étendue de la palette vocale d´une soprano lirico spinto avec une grande aisance tant dans l´aigu ou le trémolo que dans l´expression plus sombre du dramatique, particulièrement remarquable dans le "Miserere". Une technique parfaite tant dans la beauté du phrasé, de la diction et du ressenti que dans le legato. La beauté du chant  de Julianna Di Giacommo fait oublier un jeu théâtral un rien stéréotypé. Son chant est sublime dans sa tentative de sauver Manrico au moment de  la scène finale de soumission au Conte ("ma salva il trovator")  et de la  scène de sa mort "Ecco l'istante... io moro...". L´Azucéna de Nadia Krasteva reçoit une place prépondérante dans la mise en scène d´Oliver Py. La chanteuse qui interprète à Munich le rôle pour la troisième fois de sa carrière impressionne par la chaleur de son timbre de mezzo dramatique avec des graves émis en registre de  poitrine.  Enfin et surtout, le trovatore de Yonghoon Lee a transporté le public munichois qui a salué la performance inouïe du chanteur sud-coréen, un ténor lui aussi lirico spinto qui brille tant par l´intensité émotionnelle du chant puissant, au beau timbre et à la technique irréprochable, que par celle d´un jeu de scène extrêmement physique. On pourra encore entendre Yonghoon Lee en Prince Calaf à la fin du mois de mars. Un artiste dont dont on  aura plaisir à suivre la carrière.

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