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Le Joueur de Prokofiev mise et perd à Monte-Carlo

Publié le 21 mars 2016 par Podcastjournal @Podcast_Journal
Rédacteurs et stagiaires: cliquez sur cette barre pour vous connecter en back-office de la rédaction! C’est dans une atmosphère très "après nous le déluge", de suite après la chute de la maison Romanov que Prokofiev composa en 1917 son "Joueur". En écrivant lui-même le livret, il tenta de rester le plus fidèle possible aux dialogues et à l’esprit de Dostoïevski. Bel effort aussi de composer pour cet opéra, vivant et dynamique, une partition efficace, vite qualifiée de futuriste.
Un essai de jeunesse donc où l’on voit aussi notre compositeur fasciné par les états d’esprit, osons le mot, anormaux.
Alexei, le héros, est d’abord un homme du monde ironique, que son obsession du jeu conduit insidieusement, sans appel, à la folie destructrice.
La musique, acide, décrit cette progression dans une curieuse partition parfois satirique mais toujours fascinante. Les passions, violentes, exacerbées, sont décrites avec une lucidité froide, analytique, presque sans âme, dans les deux premiers actes en particulier.
Après, c’est à une descente aux enfers que nous assistons, dans un scherzo effréné, un "lyrisme d’acier", un climat de fièvre paroxystique.

Jean-Louis Grinda, en croupier diabolique, a su attraper le rythme exact des mots et de la musique. Son travail d’une rare précision sur le geste et la mimique transforment cet ouvrage à la réputation maudite en polar psychologique d’une remarquable actualité. Surtout à une époque comme la nôtre où l’argent n’en finit pas de faire trembler les boursicoteurs de tous ordres, où l’argent est roi, domine tout, dirige tout…
Le metteur en scène exploite jusqu’au bout le fait que le ténor Micha Didyk est un remarquable acteur. Déchiré par toutes les passions, avec un jeu théâtral naturellement halluciné, des yeux égarés sans grandiloquence, acrobatique, son Alexei sait quand il le faut souligner la musique qui ici, semble crier naturellement.
Dans les décors art-déco, luxueux et glaciaux, très Mitteleuropa, de Rudy Sabounghi, qui figurent toutes les Marienbad ou Roulettenbourg d’un monde réel ou onirique, c’est dans un réalisme au scalpel que s’agitent ces figures échappées tout autant à Tchekov que Gorki ou Dostoïevski revu et corrigé par Prokofiev.
Toute la mise en scène, virtuose, millimétrée, sensible, parvient derrière le cynisme et la grossièreté de chacun, à révéler la blessure secrète qui transforme ces monstres en créatures pitoyables. Les soyeux costumes de Jorge Jara achèvent de nous séduire.
Tous les autres étaient, sans jeu de mot, au diapason du ténor, et traduisaient avec conviction la lente et constante progression de l’obsession du jeu.
Dmitri Oulianov en Général qui a perdu sa fortune et souhaite reprendre sa position en héritant de de sa grand-mère frise un tantinet la caricature, comme le voulait sans doute Prokofiev. Mais, la scène dans laquelle il s’effarouche après l’arrivée de sa grand-mère (une prestation très assurée d’Ewa Podles, effrayante Dame de Pique sur le retour) qui joue elle aussi sa fortune est grandiose, pathétiquement humaine, à pleurer.
Oksana Dyka, la fille du Général, qui n’arrive pas à se décider pour savoir si elle peut ou non s’abaisser à accepter l’amour d’Alexei (son tuteur!), habitée par un autre ange, de feu, donne au mieux à son personnage la touche d’hystérie voulue.
Une mention pour le Marquis français, Oleg Balachov, et sa demi-mondaine Ekaterina Sergueïeva, les seuls, dans cette histoire de cyniques et de cinoques, à ne pas être modelés par le démon de la roulette, les seuls à garder le contrôle d’eux-mêmes, de la situation.
Sans défaut la foule des seconds rôles, des troisièmes rôles, les chœurs.

C’est vraiment du théâtre remarquable. A la sortie, les commentaires étaient sans appel: l’Opéra de Monte-Carlo est l’un des plus intéressants, l’un des plus passionnants d’aujourd’hui…
Jolie découverte que le chef Mikhail Tatarnikov. Énergique, expressionniste, toujours dans un grand souci de précision, sa direction, formidablement efficace dans le grand scherzo final ou dans les très beaux interludes qui l’entourent, tire des fusées orchestrales aux couleurs nauséeuses ou apocalyptiques d’un philharmonique "maison", qui comme jamais, s’attache à mettre en relief toutes les qualités, toutes facettes, mais aussi les quelques défauts d’une partition maléfique dans son originalité.


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