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La trahison logique du parti socialiste

Publié le 22 mars 2016 par Blanchemanche
#PS
 LA TRAHISON LOGIQUE DU PARTI SOCIALISTE




©http://www.frustrationlarevue.fr/?p=740La loi El Khomri est perçue par beaucoup comme une énième trahison du parti au pouvoir, dont le candidat prétendait pourtant en 2012 vouloir combattre la finance. Certaines personnalités, comme l’inspecteur du travail Gérard Filoche, continuent de défendre le parti en prétendant qu’il aurait été « détourné » de ses objectifs normaux par Valls et Macron. L’idée que les membres du gouvernement auraient trahi leurs militants ne tient pas longtemps quand on se penche sur l’évolution de leur composition. De parti timidement du coté du peuple dans les années 70, le PS est devenu le représentant des classes moyennes supérieures dans les années 80, avant d’être désormais celui du patronat. Vous trouverez ici un extrait de notre enquête « PS, le vote inutile« , présent en intégralité dans le n°6 de Frustration « Pour qui travaille la classe politique ? ».
Mais de quel bois est fait le navire PS ? Le parti sʼappuie au départ sur un réseau militant très dense et mobilisé plutôt jeune et éduqué à lʼorigine des nouvelles formes de mobilisation ayant porté les revendications soixante-huitardes. Il ne sʼagit pas dʼun parti populaire tant il reste propulsé par les classes moyennes salariées et les générations dʼétudiants qui sortirent en masse de lʼaprès-guerre. Ces couches techniques et intellectuelles (journalistes, professeurs, métiers de la communication, cadres, commerciaux, ingénieurs, instituteurs, hauts fonctionnaires etc.) présentent une importance numérique et fonctionnelle croissante dans le société française mais restent à la lisière du pouvoir placé sous la gestion gaulliste et de la droite classique depuis 1958. Cette position subordonnée dans le champ du pouvoir les placera vite en sympathie avec les classes populaires, jusquʼà la dénonciation des « puissances de lʼargent, qui corrompt, qui achète, qui écrase » par François Mitterrand et la reprise du discours anticapitaliste porté par le PC. Cʼest là que réside lʼillusion. Sitôt arrivé au pouvoir, le parti amiral des classes moyennes va verser de lʼeau (libérale) dans son vin (socialiste) et défendre les intérêts de ces strates intermédiaires au détriment des couches plus défavorisées. Au lieu dʼune rupture avec lʼordre économique, le PS va au contraire gérer lʼadaptation de la société française aux changements du capitalisme mondial et mettre à lʼhonneur ces classes moyennes chargées de lʼencadrement et lʼéducation des strates inférieures.La montée en puissance du PS sanctionne dʼabord lʼémergence des nouvelles couches moyennes intellectuelles et techniciennes sécrétées par la France dʼaprès-guerre appelées à prendre le relais dʼune droite traditionnelle usée par lʼexercice du pouvoir qui sʼest rendue incapable de les tenir plus longtemps à distance. Comme le conclura Laurent Fabius après coup : « Cʼest à nous quʼest revenu de faire le « sale boulot », précisément parce quʼil nʼavait pas été fait avant. ». Ce ralliement progressif à une vision et une politique libérales sʼest même inscrit dans la doctrine officielle. La déclaration de principes du PS adoptée par les militants en 2008 voyait pour la première fois disparaître le terme de « lutte des classes » de son texte de référence. Le commerce capitaliste adoucit les mœurs socialistes.Portrait du socialiste moyenUn bref aperçu de la composition socio-démographique du PS aide à mieux comprendre ses orientations politiques réelles[1]. Aujourdʼhui encore, les plus de 40 ans et les hommes regroupent chacun 70 % de la base ce qui tend à en faire un parti essentiellement masculin et âgé. Les cadres et professions intellectuelles supérieures complètent près de la moitié des rangs quand ouvriers et employés nʼen occupent que 12 %. Le niveau dʼéducation y est extrêmement élevé puisque 64 % des adhérents sont titulaires dʼun diplôme de lʼenseignement supérieur contre 14 % dans la société française. Cette tendance à lʼélitisation se voit renforcée par la place privilégiée quʼoccupent les syndicats étudiants tels que lʼUNEF et le poids des formations comme le MJS (Mouvement des jeunes socialistes) qui recrutent dans la jeunesse favorisée pourvue dʼun fort capital scolaire et servent de marchepied aux futurs cadres du parti.Manuel Valls, Jean-Christophe Cambadélis, Julien Dray et Jean-Marie Le Guen, cadres historiques du PS, présentent ce parcours type. Comme le détaille le journaliste Laurent Mauduit[2], ils ont évolué ensemble dans les organisations étudiantes dʼextrême gauche, passant souvent plus de temps à tracter quʼà étudier, pour gravir peu à peu les échelons jusquʼà se hisser au sommet de lʼappareil PS quʼils rejoignent après leurs années gauchistes. On retrouve là une classe dʼhommes politiques intégrés par le militantisme, devant tout à un capital de relations patiemment accumulé au fil du temps qui servit leur fortune. Ils joueront par exemple un rôle décisif dans lʼadministration de la MNEF au cours des années 1980, mutuelle étudiante connue pour ses nombreuses dérives qui se solderont par des condamnations pour abus de biens sociaux, détournements de fonds publics et abus de confiance. Opportunisme et soif de pouvoir guideront à coups dʼintrigues et de stratagèmes dans diverses organisations politiques leurs destins si proches. Manuel Valls finira par entrer dans le cabinet du Premier ministre Michel Rocard qui nʼen voulait pas, méfiant envers ce jeune ambitieux qui devait tout à la politique… Laurent Mauduit rapporte encore que Jean-Christophe Cambadélis nʼhésitera pas à usurper son titre universitaire de docteur en sociologie pour assurer sa légitimité dans les instances du PS. De lʼautre côté, on retrouve énarques et diplômés de grandes écoles – François Hollande, Ségolène Royal, Michel Sapin, Pierre Moscovici, etc. – qui trustent les postes hauts gradés. Il faut dire quʼà leur sortie de lʼENA, le PS représentait un choix de carrière adapté à une stratégie de promotion rapide plutôt quʼune décision politique. Lʼinspection de la « tête » révèle finalement la confiscation dʼun parti au départ militant par des élites administratives et carriéristes tournées vers leur consécration et qui maintiennent au pied dʼune hiérarchie rigide le gros des adhérents. Comme le résument les politologues Rémi Lefebvre et Frédéric Sawicki : « La société des socialistes apparaît ainsi comme une société de plus en plus refermée sur elle-même, où les enjeux liés à la préservation des positions de pouvoirs apparaissent surdéterminants[3]. »Élu un jour, élu toujoursCe phénomène dʼélitisation est devenu particulièrement visible lors de la constitution du premier gouvernement par François Hollande en 2012. Comme le résume un journaliste de Mediapart après les nominations : « Plus que jamais, les énarques et les grands corps de lʼadministration (Conseil dʼÉtat, Cour des comptes, Inspection des finances…) ont le pouvoir : 23 des 34 ministres ont un diplômé de lʼENA à la tête de leur cabinet. Deuxième enseignement : si le gouvernement est paritaire (pour la première fois de lʼhistoire) et si certains ministères ont fait un effort, les femmes ne représentent que 31 % des effectifs. Enfin, si plusieurs cabinets se targuent dʼune certaine “diversité” car ils ont mêlé des diplômés de lʼENA à dʼautres grandes écoles (SciencesPo, Polytechnique, HEC…), les équipes sont largement blanches[4]. » Cet arbitrage en faveur des technocrates, un directeur de cabinet en livre la clef : « Entre un conseiller qui connaît la politique de terrain dans une collectivité et un abruti du Conseil dʼÉtat, cʼest toujours le second qui a gagné[5]. ». La prophétie de Mitterrand se trouve ainsi réalisée. Lors du dernier conseil des ministres précédant une seconde cohabitation avec la droite, le patriarche socialiste se lève devant ses fidèles, dépités, et les exhorte à ne pas se laisser abattre leur prédisant leur retour au pouvoir. Michel Sapin et Ségolène Royal étaient déjà présents dans la salle. Signe dʼune caste qui attend son dû et retrouve quelques années plus tard les mêmes places chauffées par leurs semblables.On a pris lʼhabitude de parler dʼune coupure entre la base militante et la tête dirigeante pour expliquer le dérapage libéral des socialistes parvenus au pouvoir. Sûrement existe-t-elle, mais celle-ci nous semble très atténuée au regard de la composition sociale de ce parti. Plus récemment, un sondage auprès des sympathisants de gauche en vue de potentielles primaires plébiscite déjà Manuel Valls et François Hollande pour les présidentielles de 2017. Le PS conduit des politiques conformes aux intérêts sociaux de ses adhérents et de ses responsables, politiques qui prévoient la maltraitance économique des classes populaires, presque absentes de sa base, pour le maintien du taux de profit et la reconduction des inégalités. Il ne sʼagit donc pas dʼun reniement, comme sʼen plaignent souvent les commentateurs politiques, mais plutôt dʼun accomplissement. Le papillon libéral est sorti de la chrysalide socialiste.
[1] Voir l’enquête de C. Dargent et H. Rey, « Sociologie des adhérents socialistes », Les Cahiers du CEVIPOF, no 59, décembre 2014.[2]L. Mauduit, À tout ceux qui ne se résignent pas à la débâcle qui vient, Don Quichotte, 2014.[3F. Sawicki et R. Lefebvre, La Société des socialistes, Éditions du Croquant, coll. « Savoir/Agir », 2006.[4]E. Plenel (dir.), Quʼont-ils fait de nos espoirs ? Faits et gestes de la présidence Hollande. Décryptage au jour le jour dʼun stupéfiant reniement, Don Quichotte, 2015.[5]Ibid.

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