Après deux semaines intenses de conférences, notamment à la médiathèque de Forbach et à l'UPT, où la qualité du public fut un élément déterminant du succès rencontré, j'en reviens à mes analyses. Les médias ont cela de bien qu'ils changent régulièrement de marotte, sans s'interdire les marronniers.
Ainsi, la panique sur les marchés financiers a-t-elle très vite cédé sa place à l'anti-loi travailler plus pour gagner moins de Madame El Khomri, elle-même détrônée par Super-Mario et ses injections de liquidités. Et désormais, c'est l'impôt prélevé à la source qui refleurit avec la venue du printemps... Et comme on me pose beaucoup de questions très intéressantes à ce sujet, j'ai jugé utile de consigner dans un billet de mon blog quelques éléments pour comprendre les tenants et aboutissants de cette réforme.
L'impôt sur le revenu
L'impôt sur le revenu fait partie des impôts directs que payent les ménages. Mais l'unité de déclaration retenue par la Direction générale des finances publiques n'est pas le ménage comme on le croit trop souvent, mais le foyer fiscal (au nombre de 36,5 millions environ en 2015).
Ainsi, pour les personnes mariées, le foyer fiscal est constitué du contribuable, de son conjoint et des personnes à charge, ce qui signifie que l'administration des impôts tient compte des revenus de tous les membres du foyer fiscal pour établir une imposition unique au nom du contribuable. L'impôt payé dépend alors d'un barème, dont la mouture 2016 est la suivante :
[ Source : https://www.service-public.fr ]
Dès l'âge de 18 ans, si la personne n'est rattachée au foyer fiscal de ses parents, elle doit remplir une déclaration de revenus. Pendant très longtemps, cela se faisait par courrier, mais depuis quelques années la déclaration en ligne gagne du terrain, au point qu'en 2016, la déclaration par Internet devient obligatoire lorsque le revenu fiscal de référence est supérieur à 40 000 € et que la résidence principale est équipée d'un accès à Internet !
Les revenus soumis à l'impôt sur le revenu sont répartis en plusieurs catégories :
* les traitements, salaires, pensions, retraites et rentes
* les revenus des placements financiers
* les plus-values et gains divers (ventes de valeurs mobilières…)
* les bénéfices industriels et commerciaux
* les bénéfices non commerciaux des professions libérales et assimilées
* les bénéfices agricoles
* les revenus fonciers
* les rémunérations de certains dirigeants de sociétés (gérants majoritaires de SARL notamment)
Combien l'impôt sur le revenu rapporte-t-il à l'État ?
Tout d'abord, à rebours d'une idée reçue, l'IR n'est pas le seul impôt sur le revenu puisqu'il existe également la CSG, qui est destinée à participer au financement de la Sécurité sociale. Et le moins que l'on puisse dire, est que le rendement de la CSG est important : 91,5 milliards d’euros en 2013, soit plus que l’impôt sur le revenu.
Venons-en à l'impôt sur le revenu. Son rendement est le suivant :
[ Source : Le journal du net ]
Si l'on s'intéresse maintenant à la part des foyers fiscaux imposables, on constate qu'elle est en nette baisse depuis 2013, autant pour des raisons sociales (chômage...) que politiques (mesures d'allégement de l'impôt pour les plus modestes prises suite à la colère des contribuables, dont modification du barème)... ce qui soulève évidemment de nombreuses questions :
[ Source : Le Figaro ]
Piketty et son équipe ont par ailleurs montré qu'en plus d'être illisible, le système d'impôts sur le revenu (IRPP+CSG) était régressif, en raison essentiellement des très nombreuses niches fiscales et dérogations, qui permettent à une minorité d'échapper à la contribution commune... Ce qui n'empêche pas d'entendre des commentateurs patentés affirmer que l’impôt sur le revenu repose surtout sur les plus riches, sur la base d'un chiffre porté en étendard : près de 10 % des foyers les plus aisés paient 74 % de l'impôt collecté... Mais curieusement, les mêmes restent très silencieux sur la question de l'évasion fiscale, dont je vais parler au mois d'avril lors d'une conférence à Metz !
D'où la proposition faite par Piketty de fusionner la CSG et l'impôt sur le revenu selon un barème progressif et d'en faire un impôt unique sur le revenu, prélevé à la source.
Le prélèvement à la source : comment ça marche ?
Disons-le d'emblée : le prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu existe depuis longtemps chez certains de nos voisins :
[ Source : Les Échos ]
En France, ce n'est pas faute d'avoir essayé à plusieurs reprises de passer à ce système (en 1973 avec Valéry Giscard d’Estaing, en 1991 avec Michel Rocard, en 2006 avec Dominique de Villepin), mais les réserves de l'administration fiscale, l'opposition d'une majorité de parlementaire et la peur de perdre des voix aux élections ont eu raison des velléités de réforme fiscale.
Le prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu consistera, dès 2018 vraisemblablement, à prélever tous les mois un montant sur la fiche de paie du salarié. Mais cette réforme s'appliquera aussi aux retraités et aux indépendants, de sorte que seront concernés certes les salaires, mais également les revenus de remplacement (retraite ou chômage par exemple) et les revenus fonciers.
[ Source : Centre presse Aveyron ]
Comme le montre l'infographie ci-dessus, c'est l'employeur qui jouera le rôle d'intermédiaire en prélevant les sommes sur le salaire et en les reversant à l'administration fiscale. Bien entendu, pour les retraités ce rôle sera tenu par les caisses de retraites et pour les chômeurs par l'assurance-chômage. Cela ne devrait donc pas changer grand-chose pour la plupart des contribuables dont les revenus ne varient pas beaucoup d'une année à l'autre.
En revanche, pour les indépendants, les choses sont un peu plus compliquées et il est donc prévu le versement d'un acompte calculé en fonction des revenus des mois précédents, que l'administration pourra ajusté en fonction des revenus effectivement perçus.
Avantages et désavantages de la retenue à la source
C'est là les principaux points noirs de cette réforme fiscale, à savoir qu'il faudra faire en sorte que les entreprises ne disposent pas d'informations trop personnelles sur les revenus des salariés, et que ce nouveau mode de prélèvement ne conduise pas à une usine à gaz au sein des entreprises (d'autant qu'il aura un coût pour elles).
A contrario, le principal avantage est bien entendu de collecter l'impôt pour ainsi dire en temps réel, c'est-à-dire au fur et à mesure de la perception des revenus. Cela dans le but d'éviter qu'un salarié au chômage ne subisse une double peine, en devant s'acquitter d'un montant d'impôt calculé sur ses revenus de l'année passée. On peut aussi en attendre une amélioration de la transmission de la politique fiscale, en ce sens qu'une loi fiscale pourra entrer plus rapidement en application après avoir été votée au Parlement.
Quoi qu'il en soit, le prélèvement à la source de l'impôt nécessitera tout de même de remplir une déclaration annuelle, afin de faire connaître à l'administration fiscale l'état exact de ses revenus et de sa situation professionnelle mais aussi familiale. En retour, le FISC transmettra à l'intermédiaire-préleveur le taux d'imposition à appliquer.
Une année blanche ?
Le principal problème soulevé par ce changement de système fiscal reste bien entendu la taxation des revenus de l'année 2017. C'est précisément ce que l'on appelle "l'année blanche" :
[ Source : Ouest France ]
Elle pourrait conduire à des effets d'aubaine pour certains foyers fiscaux dont les revenus vont baisser entre 2017 et 2018. En effet, dans le cas d'un salarié qui prend sa retraite en décembre 2017, la réforme lui permettra d'être imposé dès 2018 sur sa pension et non sur ses revenus perçus en 2017, lorsqu'il était encore actif. Il en va de même pour ceux qui perdront leur emploi durant l'année 2017. Quant aux personnes qui décéderont à partir de 2018, elles ne laisseront plus de dette fiscale à leurs héritiers comme actuellement. A contrario, les jeunes qui entrent sur le marché du travail après 2017 ne bénéficieront plus du bonus de trésorerie qu'offrait l'actuel système, où ils ne payaient des impôts qu'un an après avoir commencé à percevoir des revenus.
Mais ce qui m'inquiète le plus est la possibilité d'optimisation fiscale (qu'en termes élogieux ces basses oeuvres sont présentées...) que permet cette année blanche. Il suffit en effet d'anticiper un peu pour faire en sorte d'augmenter considérablement ses revenus autres que salariaux en 2017 (revenus exceptionnels !), à des fins d'évitement de l'impôt. L'État, par la voix de Michel Sapin, a promis de prendre les mesures nécessaires pour que cela n'arrive pas, mais on sait bien qu'il y a loin de la coupe aux lèvres en politique... Au demeurant, en 2018, l'État devra par conséquent fonctionner avec les recettes fiscales de l'année en cours et espérer qu'elles soient à la hauteur de ce que l'ancien système aurait permis d'engranger !
D'autres économistes, quant à eux, pensent que l'année blanche sera, au contraire, une puissante incitation à la consommation et à l'investissement des ménages, et qu'elle permettra dès lors d'augmenter les recettes fiscales suivant une version positive de l'affirmation de Laffer (trop d'impôt tue l'impôt). Ils s'appuient sur le cas de l'Islande, qui a mis en place un tel prélèvement de l'impôt sur le revenu à la source en 1987, et qui a connu ensuite une hausse marquée de l'emploi et de la croissance.
Mais est-on certain que le contexte économique qui prévalait à cette époque ressemble à celui moribond de la zone euro d'aujourd'hui ? Et faut-il rappeler que la France pèse économiquement bien plus que l'Islande et ne dispose plus de tous les outils de politique économique, ce qui au demeurant est une litote ?
En définitive, ce changement de système fiscal ne l'est qu'en apparence. Certes, il change le mode de prélèvement de l'impôt sur le revenu, mais il ne modifie en rien l'injustice (impôt régressif, niches fiscales, etc.) et l'illisibilité du système actuel.
En revanche, sa mise en place au moment où la crise fait tant de dégâts, s'accompagnera nécessairement de difficultés comme c'est le cas pour toute transition de cette ampleur. Hélas, je crains que cela ne débouche sur une hausse du ressentiment et de la colère des contribuables, ce qui ne manquera pas de déliter encore un peu plus le consentement à l'impôt...
N.B : l'image de ce billet provient d'un article de l'Union.