Note : 5/5
À L’ENCRE DE FILM
Premier film de Hou Hsiao Hsien depuis huit ans, première incursion du grand maître taïwanais dans le genre du film de sabre et d’arts martiaux chinois, le wu xia pian, The Assassin constitue le grand événement cinématographique de ce début d’année 2016. Précédée d’une réputation de film incompréhensible, la nouvelle œuvre de Hou Hsiao Hsien est en réalité un film à l’argumentation scénaristique ténue, sobre, et efficace. En pleine période de tension entre la province de Weibo et l’empire, Nie Yinniang, élevée par une nonne qui l’a initiée aux arts martiaux et au maniement du sabre, se voit confier par sa mentor l’ordre d’assassiner Tian Ji’an. Ce dernier, gouverneur de la province rebelle, est aussi le cousin de Yinninang, ainsi que son ancien amour à qui elle était promise.
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Film d’époque, film de wu xia pian, The Assassin est aussi et avant tout un drame intime, celui d’une jeune femme confrontée à un choix difficile : celui de renier son éducation et son identité de membre de l’« ordre des assassins », et celui de laisser la vie sauve à celui qu’elle aima, le fils de sa tante tant aimée, le cousin grâce à qui sa province natale est alors synonyme de stabilité et de puissance. En creux, et c’est là aussi que brille l’histoire de « HHH » et de sa fidèle scénariste Chu T’ien Wen, se joue une fiction politique, de lutte de pouvoir dont la compréhension vient après un temps de maturation – une réflexion qui poursuit le spectateur plusieurs jours après la projection. Car The Assassin est de ces grands films qui ne se dévoilent pas facilement, dont les nœuds dramatiques secondaires sont difficiles à démêler, mais qui ont le don de créer une émotion esthétique, une admiration plastique, et de replacer la mise en scène au centre du dispositif cinématographique. Véritable joyaux, le dernier film de HHH est une splendeur comme il ne nous en a pas été donné de voir depuis longtemps, dont chaque détail est choyé pour plonger le spectateur dans la Chine du IXème siècle. Ainsi, Hou Hsiao Hsien se démarque de la narration pour entrer dans l’observation.
On connaissait l’œuvre de Hou Hsiao Hsien comme minimaliste, contemplative, laissant « la vie s’écouler devant la caméra pour que le cinéma reproduise la sensation de vie ». Ici, et sans trahir son esthétique habituelle, il se tourne vers un cinéma de genre qu’il distend et manie avec habileté, se démarquant de la représentation habituelle des films de « chevaliers errants » (qui est l’une des traductions du wu xia). Tranchant sèchement avec la langueur des scènes de vie et de conversations qui fonde la dimension intime et politicienne du film, les combats que mène Yinniang sont autant de déflagrations aussi soudainement arrivées qu’évanouies. Et c’est aussi dans ce rythme particulier que The Assassin atteint sa dimension esthétique exceptionnelle, non seulement impressionnante par sa direction artistique hors norme, mais aussi par une véritable maestria dans l’art du rythme et du montage.
Secs et intenses, les combats sont des révélateurs. Révélateurs de l’émotivité de l’héroïne, de son identité auprès de ceux qu’elle doit tuer ; révélateurs de ses limites, non pas physiques, mais compassionnelles. Car The Assassin est une grande œuvre mélancolique dans laquelle l’héroïne revient là où elle a grandi pour tuer mais aussi pour se rappeler. Il y a, dans le personnage de Yinniang, une dimension fantomatique, celle de sa condition de souvenir réduit à l’anneau de jade qui symbolisait l’union qui devait être la sienne avec Tian Ji’an. En adoptant quasi-intégralement son point de vue d’observatrice dissimulée, HHH choisit toujours de faire planer la caméra, légèrement, accompagnant la douceur des voilures de soie qui filtrent souvent les scènes d’intérieur. Il y a quelque chose, dans la durée des plans couplée à leur composition plastique, qui crée cette atmosphère à la fois effervescente et très réaliste, rappelant avec force l’art des estampes chinoises.
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Entre un récit romanesque évanescent, une représentation réaliste délicate de l’époque, un portrait délicat et subtil d’une héroïne dense et magnifiquement interprétée, une science du montage impressionnante, The Assassin est une grande œuvre poétique esthétique et jamais esthétisante, incroyablement séduisante.
Simon Bracquemart
Film en salles depuis le 9 mars 2016