Le dernier film des frères Coen est une farce. Non pas qu’il constitue un affront pour le spectateur, bien au contraire, mais parce qu’il emprunte les chemins de la comédie loufoque, à l’instar d’autres réalisations du duo, telles que The Big Lebowski, Intolérable cruauté ou Burn After Reading. Une grande différence est cependant notable entre ce film et les précédents : le personnage principal ne porte pas spécialement de ressort comique en lui-même et ses actions sont plutôt le produit contradictoire de tourments intérieurs associés à une conduite qui, par contraste, semble menée par une forme de suspension du jugement.
Ce personnage, nommé Eddie Mannix, est responsable de la bonne marche au quotidien des studios hollywoodiens d’une grande compagnie de production cinématographique des années 1950. Parmi ses tâches, il doit rationaliser l’occupation des locaux et des équipes, mais aussi effacer les traces des frasques de ses vedettes ou bien encore assurer les relations avec la presse. Plusieurs soucis l’accablent simultanément, mais il prend bien soin d’en isoler les tenants et les aboutissants.
Tout d’abord l’acteur principal d’un péplum en cours de tournage se fait enlever par un groupe de comploteurs communistes qui cherchent à en tirer une rançon. D’autre part, il a du mal à tenir son engagement de sevrage tabagique promis à sa femme et dont les écarts le minent de culpabilité. Enfin, une offre alléchante d’embauche par une firme aéronautique en pleine expansion lui donne quelques doutes quant au fait de poursuivre sa carrière dans l’industrie cinématographie, qu’il vit comme une sorte de sacerdoce.
Autour de Mannix (plus exactement tenus ensemble par l’exercice de son activité) gravitent un certains nombres de figures – de masques de caractère pourrait-on dire – de cet âge d’or d’Hollywood. Un cow-boy d’opérette reconverti en jeune mondain aux sentiments confus, une sirène de ballet aquatique, un marin danseur de claquettes… et bien sur le centurion romain touché par la grâce christique qui fait l’objet de l’enlèvement évoqué.
L’enquête menée par Mannix pour le retrouver est un fil narratif très allégé. Elle est plutôt le prétexte à l’enchaînement de sketchs où sont reconstitués des scènes typiques d’un cinéma produit à la chaîne et datant de l’époque où il ne partage pas encore avec d’autres moyens audiovisuels ce rôle d’usine à images alimentant la société du divertissement.
On pourrait voir dans ce film-sur-des-films une sorte d’hommage des frères Coen aux formes canoniques du cinéma de cette époque. Mais si la forme oscille entre reconstitution méticuleuse et parodie à peine cryptique, le contenu est bien plus explicitement du coté de la critique d’une industrie dont les ressorts profonds sont toujours à l’œuvre aujourd’hui.
Hollywood, au travers du personnage de Mannix, est dépeinte comme saisie par l’angoisse permanente et souterraine de sa propre vacuité. Car finalement, peu importe les images dès lors qu’elles sont le produit d’une usine. Cinéma ou aéronautique ne sont plus que des options dans un choix sans réel enjeu et qu’il faut trancher en se donnant le beau rôle. Pour cela, il suffit d’invoquer, véritable deus ex machina, un principe transcendant qu’on ravive en rejouant passagèrement, pour se donner du cœur à l’ouvrage, la crise de foi.
Eric Arrivé
Ave, César !, une comédie de Joel et Ethan Coen, 106 min., 2016