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Baisse du taux directeur au Maroc : Un coup d’épée dans l’eau ?

Publié le 28 mars 2016 par Unmondelibre
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Le 22 mars dernier, le directeur de la banque centrale marocaine (Bank Al-Maghrib, BAM) a décidé de réduire le taux directeur de 25 points de base pour le ramener à 2,25%. Une décision qui vient, nous dit-on, pour donner un coup de fouet à une croissance économique atone. Le raisonnement de la BAM consiste à dire : du moment que le taux directeur représente le loyer de l’argent pour les banques commerciales, la baisse de ce taux réduira le coût du refinancement de ces banques, ce qui les incitera à distribuer plus facilement des crédits aux ménages et aux entreprises, lesquels vont en profiter pour consommer et investir davantage, ce qui in fine stimulera la croissance économique surtout dans une année aussi difficile. Le raisonnement est implacable sur le papier, mais la réalité est tout autre…

La « potion » du directeur de la BAM part de deux prémisses pour le moins discutables : d’une part, le principal problème des banques commerciales est supposé être le coût de la liquidité, et d’autre part, la répercussion de la baisse du taux directeur est supposée être automatique que ce soit en termes de baisse des taux débiteurs (ceux facturés aux clients) ou en termes de volumes de crédits distribués. Or, le coût moyen de liquidité n’est pas très élevé car plus de la moitié des ressources des banques, soit 900 milliards, provient de dépôts non rémunérés. Autant dire, que le loyer de l’argent ne constitue pas pour les banques l’obstacle principal lors de l’octroi des crédits. De même, quand les perspectives économiques ne sont pas bonnes, les ménages et les entreprises n’empruntent pas, même si le coût du crédit est bas. Autrement dit, le directeur de la BAM se trompe de diagnostic. Et comme l’a si bien dit le célèbre psychologue américain Maslow : « Si votre seul outil est un marteau, vous tendez à voir tout problème comme un clou ».

Concernant la seconde prémisse supposant la répercussion automatique de cette baisse du taux directeur dans les taux débiteurs, rien n’est moins sûr. D’abord, parce que pour que ces baisses soient répercutées de manière substantielle, il faudrait que l’essentiel du refinancement des banques soit fourni par la BAM, ce qui n’est pas le cas puisque les avances à 7 jours du BAM ne représentent que 5% de leurs ressources. Ensuite, il existe historiquement une asymétrie dans le comportement des banques qui sont plus enclines à répercuter les hausses que les baisses du taux directeur. Enfin, rappelons que la concentration du secteur bancaire n’aide pas. Puisque les trois principales banques, s’accaparant 68% des dépôts et près de 64% des crédits, préfèrent se répartir le marché en le compartimentalisant (chacun a son territoire) et s’aligner sur le taux des banques les moins importantes (généralement le taux plus élevé), plutôt que de se concurrencer en faisant baisser leur taux débiteurs pour attirer ou du moins garder des clients. Le directeur de la BAM me rétorquera certainement, oui mais vous oubliez que les banques ont baissé leur taux de 60 points de base depuis les deux dernières baisses en 2014. Soit ! Mais je lui retourne la question : ces baisses des taux débiteurs ont-elles relancé la distribution des crédits?

Pas vraiment puisque, de son propre aveu, en 2015, les créances à l’économie n’ont en effet progressé que de 2,8 %. Le directeur de la BAM attribue la décélération de la distribution des crédits à la faiblesse de la léthargie de la demande émanant des ménages et des entreprises en raison d’une conjoncture morose. Certes,  la crise de certains secteurs comme les BTP, l’immobilier, le tourisme et l’industrie manufacturière, sans oublier le manque de confiance et de visibilité à l’approche des échéances électorales peuvent nourrir l’attentisme des ménages et des entreprises, et donc expliquer en partie cette léthargie. Néanmoins, il faudrait reconnaître que la faiblesse des volumes distribués est un problème plus structurel que conjoncturel. Il trouve son origine dans le manque de solvabilité de l’économie réelle et l’augmentation de la composante risque, d’où le rationnement du crédit par les banques.

En effet, la multiplication, en trois ans, des créances en souffrance par 1,5 n’est pas pour tempérer l’aversion des banques au risque. Une aversion qui n’est pas que conjoncturelle, mais structurelle au regard de l’absence ou du moins du manque de protection juridique suffisante du créancier au Maroc. Effectivement, selon le classement Doing business 2015, publié par la Banque mondiale, malgré la création par la BAM d’un bureau de crédit, l’étendue et l’accessibilité de l’information sur la solvabilité restent encore limitées (21%). De même, les droits légaux des créanciers et des débiteurs, les lois sur le nantissement et les garanties ainsi que sur la faillite ne sont pas performantes (indice de fiabilité de 2/10 contre 6/10 en OCDE). Un autre point noir est le risque lié à la procédure d’insolvabilité dans la mesure où les créanciers au Maroc ont peu de chance de récupérer leurs créances (taux de recouvrement de 28 cents/$ contre 72 en OCDE). Échaudées par ce niveau élevé du risque, les banques préfèrent soit prêter seulement aux clients à faible risque (généralement des PME drainant au moins 150 MDH de chiffre d’affaires ou des grands groupes), soit chercher à placer leurs liquidités dans les bons de Trésor, lesquels s’avèrent un bon filon que les banques exploitent à merveille puisqu’elles empruntent des liquidités à un taux de 2,25% pour acheter des bons du trésor à court terme à un taux de 2,5% en moyenne, ce qui leur laisse une marge confortable d’au moins 0,25%. Le grand perdant c’est les entreprises car si en 2015 les crédits ont augmenté de 2,8%, les crédits aux entreprises ont reculé de 2,2%. Autrement dit, on est dans une situation d’effet d’éviction de l’investissement privé caractérisée où l’État et les banques s’échangent les amabilités : l’État, via la banque centrale, soulage la trésorerie des banques, et celles-ci le lui rendent bien en finançant son déficit.

Somme toute, l’on voit donc pourquoi la « potion » magique proposée par le Directeur de la BAM ne peut fonctionner car un faux remède ne peut soigner un vrai mal. La racine du mal réside dans le niveau de risque entourant l’opération de crédit et le manque de pression concurrentielle sur les banques. En conséquence, la solution ne peut être apportée uniquement par la politique monétaire, en l’occurrence l’ajustement du taux directeur, mais d’abord, dans la coordination de la politique budgétaire et monétaire, pour garantir la liquidité des banques, ce qui suppose déjà une coopération entre le gouvernement et la Banque Centrale. Ensuite, il est besoin d’accélérer les réformes structurelles, notamment en renforçant la mise à niveau du tissu productif national pour plus de productivité et de compétitivité non seulement pour relancer la demande de crédit, mais aussi l’offre en rassurant les banques via l’amélioration de la solvabilité. Enfin, il est impératif de renforcer la protection juridique des emprunteurs et des prêteurs sans oublier de consolider la concurrence dans le secteur bancaire pour inciter les banques à être au service de leurs usagers et non l’inverse. Faute de quoi, cette dernière baisse du taux directeur et les autres qui seront décidées par le directeur de la BAM, ne seront que de simples coups d’épées dans l’eau.

H. El Moussaoui, Maitre de conférences en économie à l’université Sultan Moulay Slimane (Maroc). Le 28 mars 2016.


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