Jarvis se réveille au fond de sa grotte.
Sa barbe a tant poussé, ses cheveux sont si longs…
Il respire dans l'obscurité.
Une lointaine présence l'a tiré de sa longue torpeur.
L'étincelle.
Mais oui, bientôt 7 ans.
Elle revient des éthers.
Et bientôt ira prendre corps…
Jarvis soulève péniblement sa carcasse hibernante.
Il écarte son linceul et respire.
Un temps, il ne pense à rien, mais ressent l'apaisement de l'air frais en son sein.
Dehors le vent gémit et, semble-t-il, la Terre tourne, lentement.
Oh, petit !
Te voilà de retour, hein ?!
Petit !
Encore assoupi dans la glèbe, tu t'imagines déjà arbre, non ? Permets-moi de te le dire. C'est là non seulement ta jouissance, mais ton devoir.
Tu vois des branches jaillir de ton ventre et porter tes feuilles joyeuses et affairées.
Tu sens en toi la puissance de ces membres qui fonceront aveuglément dans la glaise et iront cueillir les nourritures du sol et s'agripper aux côtes minérales du monde.
C'est plus que ton destin, petit, c'est ton contrat, c'est ton… devoir.
Prends-y plaisir, repais-toi de ta propre sente, ta route et toi ne faites qu'un.
Et alors, combien d'hivers a duré ton hiver, petit ?
Combien de temps passeras-tu à rêver ton écorce, à te dandiner dans la brise sous le bleu lisse, sous la douce averse ? As-tu perdu ton lien au corps du temps ?
Il est l'heure.
Accomplis-toi.
Ce caillou, loin dans la vase, cette pierraille qui t'empoisonne, te taillade et te torture, casse-là. Rompt-là et fais-en une poussière que les courants sous-terrains emporteront ailleurs. Ce sable empoisonné peut être utile au-delà des sources, dans le lointain. Son destin n'est pas de te barrer la route. Le tien n'est pas de le laisser nécroser ta chair.
Écrabouille sans pitié la caillasse qui t'enferme de l'autre côté de ton rêve.
Petit, petit.
Je te parle, petit.
Ton avènement n'est pas hasard.
Tu es bourgeon.
Mais tu seras toi.
Au dessus de toi, une vallée morte attend ton sourire pour éclore et revivre.
Ton dessein la ressuscitera.
Entends-tu ?
Petit.
Les neiges dures entament leur fonte.
Leurs doigts agiles au clavier des ruisseaux.
Et bientôt viendra l'orage et ta longue soif sera étanchée au-delà de tes attentes.
Rêve-toi, petit.
Rêve-toi.
Monte, étire-toi, bientôt tu peupleras la lande de ta verte semence.
Et ta jouissance sera mère.
Et de tes songes naîtront des songes.
Tes pensées seront chair.
Et ces chairs songeront à leur tour.
Et les coteaux frémiront du bruissement des rêves de tes rêves.
Et le vent portera la chanson chuchotante de tout un peuple calme et résolu.
Jouis-toi !…
Petit, tu m'entends ?
Imagine-toi.
Va !…
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