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Sobrement défini comme "un groupe de pression" par le dictionnaire Larousse, le lobbying reste un sujet brûlant en France. Pour preuve, alors que le groupe de travail sur les lobbies réuni le 27 février 2013 à l’Assemblée Nationale dénombrait 141 organisations référencées sur la base du volontariat dans le registre des lobbyistes, et déjà 162 un an plus tard, l’ONG Transparency International en recensait 4.635 après une étude menée entre 2007 et 2010. Peu de transparence et peu de clarté.
Pourtant, si le lobbying est constamment apparenté à une image négative de l’entreprise, il peut parfois résulter d’une initiative saluable, comme l’a expliqué le ministre des Finances, Michel Sapin sur BFMTV "ce terme apparaît comme négatif en France, mais on a parfaitement le droit de faire valoir un avis". Un fait prouvé par de nombreuses organisations comme l’association sénégalaise de protection de l’environnement Océanium qui ne se cache pas de faire du lobbying auprès de l’État en médiatisant ses actions.
Mais l’océan est parfois rempli de requins et la situation est bien souvent aussi trouble que l’eau contre laquelle se bat l’association africaine. Relations politiquement incorrectes, corruption, évolution des lois, les médias ne peuvent échapper aux pressions exercées par certaines entreprises et gèrent différemment la tentation de la corruption.
Que faire lorsque le lobbying des grandes entreprises réside en les médias eux-mêmes? Car si Bertelsmann est concentré sur le journalisme, les autres grands rois médiatiques français tels que Dassault, Lagardère, Bouygues, le groupe média Altice ou encore Vivendi ont des intérêts économiques diversifiés. Ainsi, leur neutralité et leur éthique sont perpétuellement et légitimement remises en cause, notamment à cause de leurs relations politiquement douteuses. Pour Jean-Dominique Giuliani, "le lobbyiste est un marchand d'information". Mais qui sont les marchands de l’information?
La télévision, les relations ambiguës, le pouvoir et la morale sont les thèmes du documentaire de Pierre Carles "Pas vu pas pris". Point de départ de ce film qui a failli ne jamais voir le jour, une conversation privée de 8 minutes entre François Léotard, à l’époque ministre de la Défense, et Étienne Mougeotte, ancien directeur des programmes de TF1, datant du 6 juin 1994. Alors que Canal+ commande à Pierre Carles un reportage de 13 minutes sur le sujet, Alain De Greef, l'ancien directeur des programmes de la chaîne, en empêche la diffusion. Finalement, le réalisateur parvient à sortir un documentaire entier, révélant les coulisses du monde médiatique et l’hypocrisie qui l’habite. Si les méthodes de collecte de témoignages de Pierre Carles ne sont pas très déontologiques, les témoins n’étant pas forcément avertis d’être enregistrés, les propos recueillis n’en sont pas moins resplendissants de morale. Parmi les nombreux intervenants, le journaliste Karl Zéro tient un discours des plus étonnants, "ça ne se fait pas (évoquant les méthodes de Pierre Carles pour recueillir des propos) j’essayais de te faire rentrer dans la machine (…) Parfois il faut mentir par omission. Soit tu veux intégrer l’équipe soit tu ne veux pas. Tu es d’une naïveté extraordinaire".
Plus récemment, le documentaire "Les Nouveaux Chiens de Garde", adapté de l'essai du même nom de Serge Halimi, a exploré les relations entre les médias et les responsables politiques. Étonnamment, le film a reçu de nombreuses critiques positives des médias tels que l’Obs ou Télérama mais n’a pas échappé aux remarques acerbes de certains comme le montre une critique publiée dans Le Monde. Jacques Mandelbaum, journaliste du quotidien, évoque le "parti-pris" des auteurs, le "montage d'archives, témoignages à charge et discours-maître en voix off qui constituent une structure peu favorable à l'expression du pluralisme des opinions et de la complexité du réel" ainsi que "des procédés contestables". Est-ce une critique argumentée, exprimant le point de vue d’un journaliste intègre souhaitant défendre son métier? Ou est-ce le discours d’un employé d’un journal plusieurs fois accusé, tantôt pour son fervent soutien envers Édouard Balladur en 1995, pour l’histoire embarrassante de l'Inavouable: la France au Rwanda de Patrick de Saint-Exupéry ou encore pour la censure de l’éditorialiste Laurent Mauduit pour un article à propos des Caisses d'épargne? Le doute installé dans les esprits même en l’absence de preuves concrètes montre l’importance des lobbies et la remise en cause de l’intégrité des journalistes liés à ceux-ci.
4.635, c’est le nombre de représentants d’intérêts recensés par l’ONG Transparency International après une étude menée entre 2007 et 2010. Si le Parlement a fourni des efforts depuis 2009 en mettant en place un registre des représentants d’intérêts, inscrits sur la base du volontariat, à l’Assemblée comme au Sénat, Michel Sapin, ministre des Finances, souhaite encadrer plus fermement la corruption grâce à une loi baptisée "Sapin 2". Après une première loi contre la corruption portée en 1993 sous le Gouvernement de Pierre Bérégovoy, Michel Sapin continue son combat et présente son projet en conseil des ministres le 23 mars 2016. Au programme de la loi Sapin 2, un registre plus clair pour identifier les lobbies.
C’est la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique qui devra surveiller et gérer ce registre, référençant les objectifs, les sommes dépensées et les honoraires perçus au titre de leur mission de représentation à l'Assemblée des représentants d’intérêts. Pour le ministre des Finances, "on a parfaitement le droit de faire valoir un avis" mais ce sera "fini pour les voyages, les avantages, les petits cadeaux, offerts par les lobbies à tel ou tel responsable public", d’après Le Parisien. Un projet de transparence de la vie publique puisque le registre sera disponible sur internet. Michel Sapin souhaite également lutter contre la corruption à l’étranger en instaurant une agence nationale de prévention et de détection de la corruption, basée sur l’actuelle Service central de prévention de la corruption.
Si la loi prévoit de s’attaquer à la fraude aux allocations chômage et à la publicité pour le trading en ligne, elle compte également protéger les lanceurs d’alerte en mettant en place un guichet unique vers lequel les lanceurs d’alerte pourront s’adresser. Cette volonté de concentrer la protection des lanceurs d’alerte en une loi est partagée par Yann Galut, député (PS) du Cher spécialiste de la lutte contre la fraude fiscale qui présentait une proposition de loi relative à la protection des lanceurs d’alerte à l’Assemblée nationale le 3 décembre 2015. Pour le député, il est certain que "s’ils contribuent au bon fonctionnement de notre démocratie, toutes les histoires montrent qu’ils le payent au prix fort dans leur vie professionnelle et personnelle".
Si les médias doivent rester forts face au lobbying négatif et à la corruption pour ne pas entraver la loi, ils doivent également être irréprochables pour leurs publics. Car en plus de ces détracteurs de la presse libre, les médias font face à une méfiance grandissante des publics. Ceux-ci vont en effet privilégier le web aux médias, prétextant éviter toute forme de complot. Une difficulté pour les journalistes, renforcée par l’apparition massive de pseudo médias autoproclamés qui décrédibilisent le métier.